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Comment Jared Kushner a joué le cupidon entre Trump et les Saoudiens

Muriel Lefevre

La loyauté de Trump envers Riyad dans la crise engendrée par la disparition du journaliste Jamal Khashoggi met la crédibilité du président américain à rude épreuve, dit The Guardian. Et de pointer son gendre du doigt.

L’un des acteurs clés des relations américano-saoudiennes joue les filles de l’air alors que le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, était à Riyad pour tenter de désamorcer la crise internationale provoquée par la disparition de Jamal Khashoggi.

Jared Kushner est pourtant l’un des architectes de l’alliance entre les Saoudiens et la Maison Trump. C’est lui, le gendre du président et son principal conseiller, qui a imposé Mohammed bin Salman (MBS) comme étant l’avenir saoudien et a persuadé l’administration américaine d’inscrire sa politique au Moyen-Orient dans les traces de l’étoile montante du prince.

Ensemble, les deux trentenaires que sont MBS et Kushner, ont passé une nuit à refaire la carte du Moyen-Orient avec des idées audacieuses et des montagnes d’argent. Pour l’instant, toutefois, ces plans mirobolants sont au point mort. Le prince héritier saoudien est accusé d’avoir organisé le meurtre de sang-froid d’un journaliste dissident dans son ambassade en Turquie. Kushner se tient coi et Donald Trump, acculé, est obligé de faire de la com’ de crise pour la monarchie saoudienne en laissant entendre qu’ils pouvaient s’agir de « tueurs voyous » agissant à l’insu du prince ou de son père, le roi Salman.

Le meurtre présumé de Khashoggi serait lié à MBS

Des informations du New York Times, photos à l’appui, renforcent les présomptions à l’encontre de Ryad: selon le quotidien, l’un des hommes identifiés par les autorités turques comme faisant partie l’équipe soupçonnée d’avoir perpétré l’assassinat appartient à l’entourage du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, dit MBS, et que trois autres appartenaient aux services de sécurité rattachés au prince.

Au même moment la presse turque publiait de nouvelles révélations accablantes pour Ryad, selon lesquelles Jamal Khashoggi a été torturé et assassiné dans le consulat de son pays à Istanbul le 2 octobre. Le journal progouvernemental turc Yeni Safak, affirmant s’appuyer sur des enregistrements sonores réalisés à l’intérieur du consulat, rapporte mercredi que le journaliste y a été torturé avant d’être « décapité » par des agents saoudiens. Le site Middle East Eye, citant une source ayant eu accès à ces enregistrements, a affirmé que l’assassinat a duré sept minutes et que les agents saoudiens avaient commencé à découper son corps en morceau alors qu’il était encore en vie. Des responsables turcs ont affirmé quelques jours après sa disparition que M. Khashoggi, un collaborateur du Washington Post critique du prince ben Salmane, avait été assassiné au consulat par une équipe de 15 agents spécialement dépêchés par Riyad, qui dément. Les autorités turques avaient effectué une fouille au consulat lundi. Des recherches à la résidence du consul devaient avoir lieu mardi mais ont été reportées à mercredi, les autorités saoudiennes invoquant la présence de sa famille dans la demeure, selon M. Cavusoglu. Selon CNN, Ryad préparerait un rapport concluant que l’opération a été menée « sans autorisation ni transparence », dédouanant ainsi l’Etat saoudien, et que « les personnes impliquées seront tenues pour responsables ». Mais des observateurs mettent en doute l’éventualité qu’une telle opération ait pu être menée sans l’accord de Riyad où ben Salmane exerce un contrôle sans partage sur les services de sécurité, dirigés par des fidèles parmi les fidèles.

On est loin des grands espoirs de mai dernier, lorsque la cour entre Saoudiens et Trump battait son plein.

Love is in the air

Le nouveau président avait fait de Riyad son premier voyage à l’étranger après son entrée en fonction. Kushner avait identifié MBS comme étant le meilleur partenaire. Le département d’État et la CIA soutenaient, eux, Mohammed bin Nayef, le prince héritier de l’époque. Mais le premier gendre insiste, argue qu’il a des « renseignements fiables » – très probablement du président israélien, Benjamin Netanyahou, un ami de la famille Kushner – pour dire que Mohammed Bin Salman est l’homme sur lequel il faut miser. Ce qui n’était alors qu’une prophétie se réalise par la magie d’un soutien inconditionnel de Washington. MBS éclipse et remplace Nayef.

Le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman lors de sa visite à New York
Le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman lors de sa visite à New York © REUTERS

Le sommet de Riyad s’est lui aussi avéré un succès éclatant. Trump fut flatté et fêté. On lui donna une épée avec laquelle danser, il eut droit à un grand défilé aérien et des chevaux escortaient les limousines. Le roi Salman avait aussi pris soin de réunir d’autres dirigeants arabes du Golfe à Riyad pour promettre de combattre le terrorisme et l’Iran. Trump affirmera alors qu’il avait réussi à vendre pour 110 milliards de dollars d’armes de fabrication américaine aux Saoudiens. Un montant qui va servir d’excuses pour expliquer, la semaine dernière, pourquoi il ne pouvait pas se permettre d’imposer des sanctions à la famille royale saoudienne. Que ces chiffres ne soient que de l’esbroufe importait peu.

Comment Jared Kushner a joué le cupidon entre Trump et les Saoudiens
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D’autant plus que les ventes d’armes n’étaient qu’une partie de la manne que MBS avait promise à Trump. Lorsque le prince héritier a fait une tournée de trois semaines aux États-Unis, en mars de cette année, il s’est fait un point d’honneur de visiter les titans de l’industrie technologique américaine sur la côte ouest. Le Fonds d’investissement public saoudien (PIF) a acheté une participation de 3,5 milliards de dollars dans la société de covoiturage Uber, une participation de 2 milliards de dollars dans le constructeur de voitures électriques Tesla et a investi environ 1 milliard de dollars dans les sociétés spatiales du groupe Virgin.

La nation qui s’est bâtie sur la richesse pétrolière est en train de s’acheter une place dans un avenir à faible émission de carbone. C’est dans ce cadre qu’il faut voir la « Vision pour 2030 » du prince héritier qui comprend une mégapole futuriste appelée Neom. Celle-ci s’élèverait des sables du désert et sera gérée par l’intelligence artificielle et entretenue par des robots. Un marché à énorme potentiel pour la Silicon Valley.

Mains dans la mains

Alors que les économies américaine et saoudienne s’entremêlaient de plus en plus, leurs politiques étrangères s’alignaient elles aussi. L’administration Obama avait cherché à équilibrer l’Arabie saoudite et l’Iran, mais Trump se place aux côtés de Riyad contre Téhéran. En échange, les Saoudiens soutiendraient le grand projet de Kushner: un accord de paix entre Israël et les Palestiniens.

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Lorsque le Congrès a émis des doutes sur la détérioration des droits de l’homme dans le royaume, lorsque Bin Salman a écrasé la dissidence en Arabie saoudite et enfermé ses rivaux princiers dans le Riyad Ritz-Carlton, ou encore lorsqu’il y a eu des civils morts lors de la campagne aérienne de la coalition menée par les Saoudiens au Yémen, de larges donations ont graissé les rouages. Selon le Centre for International Policy, les Saoudiens ont dépensé 27 millions de dollars pour du lobbying à Washington en 2017, soit trois fois plus qu’en 2016. De ce montant, 400 000 $ ont été versés directement aux fonds de campagne des sénateurs et des députés qui ont été priés de fermer les yeux sur les excès saoudiens.

Un amour toxique ?

Les choses auraient pu tranquillement continuer ainsi s’il n’y avait eu la disparition et l’assassinat présumé d’un homme. L’affaire Khashoggi va changer l’ambiance. Il faut dire que ce n’est pas qu’un obscur Saoudien. C’est un résident américain et un collaborateur du Washington Post, dont le propriétaire se trouve être Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon.

Khashoggi
Khashoggi© Reuters

Depuis c’est la débandade générale et l’on ne compte plus les entreprises occidentales qui coupent leurs liens avec Riyad. Les entreprises de technologie et de médias ont également déserté la conférence Future Investment Initiative, le fleuron des aspirations occidentalisantes de Bin Salman, et mieux connue sous le nom de « Davos in the desert ».

Si la loyauté de Trump envers les rois saoudiens ne flanche pas encore, elle met sa crédibilité à rude épreuve, et ce même parmi les plus fidèles républicains au Congrès.

Au point que le congrès pourrait voter contre la vente d’armes prévue vers l’Arabie saoudite. Trump pourrait bien entendu s’y opposer et renverser la désapprobation du Congrès par un veto, mais cela marquerait une rupture majeure entre le président et son parti.

Si cette affaire ne risque pas de faire tomber MBS ou encore Trump, cet amour affiché envers et contre tout pourrait donc ternir durablement le faible éclat qu’il reste à la présidence Trump.

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