Kim Jong-un et Donald Trump © Reuters

Comment Donald Trump peut remporter le Nobel de la Paix

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

Le président nord-coréen Kim Jong-un rencontrera son homologue sud-coréen Moo Jae-in vendredi, et rien que cette rencontre signifie déjà une percée historique. En mai ou juin, il discutera avec le président américain Donald Trump. Jonathan Holslag, professeur en relations internationales à la VUB, estime qu’une réconciliation entre les ennemis jurés est possible.

C’était comme une crise au ralenti. Une partie de bras de fer entre deux personnalités politiques marquantes : le leader nord-coréen Kim Jong-un et le président américain Donald Trump. Pendant plus d’un an, nous avons suivi intensément la surenchère entre les deux camps, les lancements de missiles, les coups de griffe sur Twitter, et les porte-avions. Si un jour on découvre le processus décisionnel secret, on verra vraiment à quel point Washington et Pyongyang ont été proches d’un affrontement armé.

« Quand notre président disait que les missiles pour la Corée du Nord étaient prêts », m’a raconté un contact à la Maison-Blanche, « c’était le cas. Les préparatifs de guerre étaient en cours. »

C’est alors que les Nord-Coréens se sont mis à parler. D’abord avec la Corée du Sud. Ensuite, à un niveau élevé, avec les États-Unis. Des échanges fructueux : deux rencontres historiques sont planifiées. Cette semaine, Kim Jong-un et le président sud-coréen Moon Jae se rencontreront ; en mai ou juin, Kim et Trump se regarderont dans les yeux.

Comment a-t-on pu en arriver là ?

« Cela n’arrivera pas ! »

Avant même que Donald Trump prête serment, le 20 janvier 2017, Pyongyang avait déjà un message pour le nouveau président : le lancement d’un nouveau missile s’annonçait. « Cela n’arrivera pas ! », a tweeté Trump. Et c’est tout de même arrivé. D’abord, Pyongyang a lancé quatre missiles à moyenne portée. Ensuite, en mai, c’était un Hwasong-12. Et le 4 juillet, le jour de la Fête nationale américaine, un Hwasong-14. Ces missiles sont capables d’atteindre une hauteur considérable (utile pour intercepter les missiles antiaériens américains) et leur portée est beaucoup plus grande qu’auparavant : tant l’île de Guam (une base militaire américaine près des Philippines) qu’Hawaï (leur principale base d’opérations dans le Pacifique) étaient à leur portée.

« Dégonflé », tweetait Trump. « Il n’y a vraiment qu’en mer que tu oses envoyer des missiles? » Après Kim Jong-un, il s’en prend également aux Chinois : Pékin ferait trop peu pour arrêter le programme nucléaire nord-coréen.

Entre-temps, le Pentagone et la Maison-Blanche travaillaient à une nouvelle stratégie pour s’en prendre aux Nord-Coréens. Alors que le prédécesseur de Trump Barack Obama se montrait surtout patient, une nouvelle évaluation politique avait indiqué qu’il fallait une approche dure à l’égard de Kim. D’après cette évaluation interne, sous la houlette du vice-président Mike Pence, les armes nucléaires nord-coréennes représentaient une réelle menace pour les États-Unis. C’était une question de temps, avant que le pays lance des missiles à moyenne portée sur le continent américain. Il est coûteux de se défendre contre ce type d’armes, et si les Américains autorisaient une telle capacité, ce serait un signe d’affaiblissement – surtout contre la Chine. « Kim doit être arrêté », affirmait Pence. À coup d’isolation diplomatique, de dissuasion militaire et de sanctions, les Américains devaient exercer une pression maximale. Et la Chine jouerait un rôle primordial.

L’étau s’est resserré. En juin, Washington a ajouté des mesures de sanction à la résolution 2356 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, qui visait tant les banques que les responsables politiques contre les entreprises chinoises et russes qui continuaient à faire du commerce avec la Corée du Nord. En août, une nouvelle résolution a coupé un tiers de l’exportation nord-coréenne, et en septembre une troisième résolution a restreint l’importation de pétrole.

L’économie nord-coréenne gémissait: les soldats nord-coréens affamés ont même bénéficié d’une permission pour chercher de la nourriture dans les champs. Entre-temps, les Américains avaient déployé des bombardiers B-1 dans la région, et approvisionné les dépôts de munitions sur Guam. Pourtant, Kim a tout simplement continué ses tests de missiles.

Une douzaine de pom-pomgirls

Fin octobre, l’USS Ohio est arrivé devant la côte coréenne, un sous-marin ayant à son bord 154 missiles et troupes d’élite. Il a été suivi de bombardiers simulant une invasion et de trois porte-avions. Kim-Jong-un a qualifié Donald Trump de « fou de guerre », et Trump a traité Kim de « chiot maladif ».

Le 28 novembre, la Corée du Nord a lancé un Hwasong-15 : pour la première fois un missile capable d’atteindre le continent américain. « La Corée du Nord peut frapper partout dans le monde », mettait en garde le ministre américain de la Défense James Mattis.

Washington a été pris d’un doute. « Alors que chacun se préparait pour Noël », me racontait un diplomate, « d’importantes discussions ont été menées sur le cap à prendre. Que nous restait-il à faire ? Devions-nous prendre l’initiative de lancer les négociations ? Ou devions-nous continuer à jouer le jeu durement ? » Le ministre des Affaires étrangères de l’époque Rex Tillerson était convaincu par l’idée de dialogue. Mais le conseiller de sécurité de ce temps-là Herbert McMaster, le ministre de la Défense Mattis, et le président n’étaient pas de cet avis : la pression a été intensifiée, à coup de sanctions et de nouveaux exercices.

Rapidement des F-22 ont atterri en Corée du Sud.

C’est alors que Kim Jong-un a signalé subtilement qu’il souhaitait améliorer ses relations avec la Corée du Sud. D’abord en indiquant qu’il n’entraverait pas les Jeux olympiques d’hiver à Pyeongchang. Ensuite en autorisant l’envoi aux Jeux d’une douzaine de pom-pomgirls. Et finalement en entamant des négociations informelles avec le Comité olympique international sur la participation aux Jeux d’hiver.

Dans son discours de Nouvel An, Kim a déclaré officiellement que son pays était une « puissance nucléaire » et à nouveau qu’il était ouvert au dialogue. Peu après, il y a eu la nouvelle que Pyongyang souhaitait participer aux Jeux d’hiver.

Et à nouveau, Washington a été pris de doutes. « Kim veut semer la discorde entre les États-Unis et la Corée du Sud », disait-il. Pourtant, ce sont les Jeux d’Hiver qui des semaines durant ont donné aux deux parties l’espace d’un jeu diplomatique subtil alors qu’ils ont renoncé temporairement aux opérations militaires à grande échelle et aux lancements de missiles. Par le biais des Sud-coréens, les Nord-Coréens ont montré qu’ils voulaient une discussion sérieuse avec les Américains.

Ces négociations ont eu lieu. D’abord en Finlande, et durant le week-end de Pâques en Corée du Nord, directement entre le directeur de la CIA Mike Pompeo et Kim Jong-un.

Kim est-il sérieux?

Les entretiens ont été décisifs. Les Nord-Coréens ont confirmé qu’ils voulaient discuter de l’abandon de leurs armes nucléaires : une possible révolution diplomatique. Depuis, il y a eu un contact direct ininterrompu. La Corée du Nord a également répété en public qu’elle était prête pour une dénucléarisation complète et qu’en compensation les Américains ne devaient pas retirer leurs 28 500 soldats en Corée du Sud.

La question cruciale à présent, c’est Kim Jong-un est-il sérieux ?

Les Américains ont une peur bleue d’une nouvelle débâcle. En 1994, Pyongyang a promis de cesser la construction de réacteurs en échange de pétrole américain, et la garantie que Washington n’entamerait pas de guerre nucléaire. En 2003, le ministre américain des Affaires étrangères, Colin Powell, a répété que le nouveau gouvernement de George W. Bush était prêt à offrir des garanties de sécurité si la Corée du Nord renonçait à ses armes nucléaires. Peu après, tout l’accord s’est effondré, notamment suite au langage agressif de Bush.

Les Américains veulent éviter ce scénario coûte que coûte. Ils se ménagent une porte de sortie : et si le rapprochement était une manoeuvre de façade ? Et si Pyongyang voulait se profiler comme la partie accommodante, mais souhaite faire échouer les négociations pour ensuite se rendre à Pékin et Moscou en disant : « Tout est de la faute de Washington » ?

Il y a des raisons d’en douter. Déjà rien que le fait que ces dernières années Kim a pu voir ce que faisaient les Américains de leurs rivaux incapables de se défendre, voir Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi. Mais il y a aussi des raisons de se montrer optimistes. Kim sait bien qu’une percée dans le développement de missiles à têtes nucléaires capables de toucher le continent américain signifiera probablement sa fin, car le gouvernement Trump n’hésitera pas user de violences pour bannir ce genre d’armes.

Avantages et coûts

En d’autres termes: le coût de missiles intercontinentaux est trop élevé, alors que les avantages d’un accord sont significatifs. Et s’il y a un président américain qui peut faire passer un tel accord, c’est bien l’actuel. Un accord qui ferait transformerait l’armistice de 1953 en paix ferait de Kim Jong-un le Deng Xiaoping de Corée du Nord. L’homme qui, à l’instar du dirigeant chinois, négociait en égal avec le géant américain. L’homme aussi qui, à l’instar des autres pays d’Asie de l’Est, met la Corée du Nord sur la voie de la croissance industrielle.

Kim respire la confiance en lui, et il a purgé presque tout Parti du travail de ses rivaux. Il s’est également profilé plusieurs fois comme défenseur du progrès, au moyen du basket, de concerts de pop, et d’une Première dame, Ri Sol-ju qui incarne la rupture de style. Difficile de feindre tout cela.

De son côté, Donald Trump n’est pas homme à entamer des négociations et puis à accepter d’avoir été trompé. Il en va de même pour ses conseillers. Si les Nord-Coréens s’en rendent compte, il est peu probable qu’ils tentent de gagner du temps pour poursuivre leur programme nucléaire. Les satellites américains surveillent minutieusement toutes leurs facilités.

Il y a d’autres avantages du côté nord-coréen. Une percée dans les négociations pourrait signifier la fin de la tutelle chinoise. Les Nord-Coréens dépendent pour 90% de leur commerce des Chinois, qui se souvent érigés, mais pas toujours de manière réussie, comme leur grand frère. Et même Kim s’est récemment rendu à Pékin, leurs relations sont tout sauf cordiales. Il trouve également un partenaire complaisant en la personne du président sud-coréen : Moon Jae-ni n’a pas ménagé sa peine pour entamer le dialogue avec les Américains.

Une issue favorable accroîtrait considérablement le prestige de Trump. Imaginez un peu : Kim Jong-un et Donald Trump favoris pour le prix Nobel de la Paix. Mais stratégiquement, les États-Unis aussi ont beaucoup à gagner à un accord. Il éviterait une attaque préventive avec de nombreux morts (surtout du côté nord-coréen), une attaque dont la Chine peut suivre le cours à distance. Et cela permettrait à l’Amérique de se fixer sur ce rival principal.

Après l’entretien entre Kim Jong-un et Moon Jae-in, les négociations entre la Corée du Nord et les États-Unis pourraient bien s’accélérer. Rien n’est sûr, mais j’estime une percée plus probable qu’un échec.

Remous garantis

S’il y a un accord, la péninsule coréenne traversera une période longue et incertaine: au niveau politique, économique, et social. Celle-ci débouchera-t-elle en une Corée forte et unifiée ? Ou les différences gigantesques entre le nord et le sud entraîneront-elles des troubles ? Personne ne peut le prédire.

Au Japon aussi, l’allié principal de l’Amérique dans la région, l’accord exercerait un impact. La menace d’armes nucléaires nord-coréenne disparaîtrait, mais au lieu de cela, ressurgirait l’image d’une Corée unifiée qui mine la position du Japon comme numéro deux régional après la Chine. Tokyo et Séoul sont déjà brouillés au sujet de leur histoire turbulente, et leur poignée d’îles stratégiques.

Et puis il y a la relation américaine avec la Chine. Celle-ci ne s’améliorera nullement. Il y a des intérêts économiques en jeu, et les tiraillements à propos de Taiwan ne manqueront pas de s’aviver : Trump n’a pas du tout l’intention de laisser les Chinois transformer cette île en porte-avions invisible du Pacifique contre la volonté des Taiwanais. La semaine dernière, la Chine a appuyé ses ambitions par un exercice militaire inédit : une gigantesque flotte chinoise a traversé le détroit de Taïwan, et les avions de combat ont encerclé l’île.

Le combat entre la Chine, et les États-Unis, le combat pour le leadership en Asie, et dans le monde demeure le combat de ce siècle. Le ton résolu de la stratégie de sécurité américaine, l’achat américain de nouveaux missiles hypersoniques, les exercices militaires chinois dans les parages de Guam, la rivalité économique : rien n’indique une détente. Sur la ligne de front entre les deux géants, les acteurs tels que la Corée du Nord, mais aussi Taiwan, et les Philippines tentent d’optimaliser leur position. La question dans ce genre de contexte n’est généralement pas s’il y aura des remous, non, la question c’est surtout où, quand, et comment.

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