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« Comment ça adultère? Tinder, c’est pour les célibataires »

Le Vif

Lennart Schirmer, le grand patron de Tinder Europe, s’exprime sur le grand commerce en ligne de l’amour, les habitudes de rencontre de la génération Z et la protection de nos données personnelles.

Tinder, qui a débuté en 2012 comme une application de rencontres à Los Angeles, est aujourd’hui disponible dans 190 pays. Tinder fait partie du groupe américain coté en bourse Match Group. La compagnie refuse de dévoiler le nombre d’utilisateurs Tinder. Ce que nous savons, c’est que 5,2 millions de clients dans le monde paient pour des services supplémentaires sur l’application en principe gratuite. Entretien avec Lennart Schirmer, le patron de Tinder Europe qui a 34 ans à peine.

N’y allons pas par quatre chemins. Selon les sociologues, le nombre de partenaires potentiels lors des rencontres en ligne émousse notre sensibilité.

C’est le contraire qui est vrai. Tinder a été inspiré par la génération Z, c’est-à-dire les 18-25 ans. Ils représentent la moitié de nos utilisateurs. Cette génération a grandi avec les réseaux sociaux. Elle communique plus visuellement, plus rapidement et de manière plus fugace que les quadragénaires. Mais elle est plus ouverte et tolérante.

Et elle est plus sélective : swipe et adieu ?

Je ne dirais pas ça. Une étude a montré que le nombre de mariages interculturels a augmenté depuis les rencontres en ligne. 50% des homosexuels font leur outing en ligne. Pour la génération Z, le sexe, les idéaux de beauté et les croyances religieuses ne jouent plus guère de rôle.

Selon une étude américaine, 40% de tous les couples hétérosexuels se rencontrent en ligne, et pour les couples homosexuels, cela représente même les deux tiers. Il est plus facile pour les gens de tomber amoureux en ligne qu’au travail, à l’école ou entre amis. Qu’est-ce qui ne va pas ?

La génération Z semble penser que c’est une idée étrange de parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas.

Tinder vehicule une image un peu scabreuse, comme un marché pour aventures d’un soir et d’écarts amoureux.

C’est l’image que les médias véhiculent de nous, mais elle est fausse.

Une étude de Global Webindex a montré qu’environ 40 % des utilisateurs de Tinder ont une relation fixe. Que font-ils là s’ils n’ont pas l’intention de commettre l’adultère?

Cela ne correspond pas à nos chiffres. Tinder, c’est pour les célibataires.

On pourrait dire que Tinder a fait de l’amour un jeu de téléphone portable. Si vous swipez à droite, vous gagnez un rendez-vous.

Rencontrer des gens n’est pas un jeu !

Les personnes sont jugées sur la base de leurs photos de profil. C’est tout de même assez superficiel, non?

Qu’est-ce que cela signifie exactement, superficiel ? Un utilisateur m’a dit un jour qu’il swipe vers la gauche dès qu’une personne s’affiche avec le mauvais modèle de téléphone portable. Il trouvait ça idiot de sa part, mais au moins il y a réfléchi.

Combien de temps faut-il aux utilisateurs pour décider s’ils sont intéressés ?

De combien de temps avez-vous besoin dans la vie réelle pour former une certaine image de quelqu’un ? Vous savez ce que vous pensez de quelqu’un en deux secondes, 30 secondes plus tard vous pensez autre chose et cinq minutes plus tard, encore autre chose. Combien de temps me faut-il pour choisir quelqu’un sur Tinder ? Regardez, c’est mon profil.

C’est vous : Lennart, 34 ans, a étudié en Norvège, se trouve à moins d’un kilomètre d’ici, aime le chocolat Ritter Sport, et aime lire les romans de Juli Zeh.

Je commence maintenant.

Voici, Thess, 35 ans.

Elle me semble intéressante. Je jette un coup d’oeil à son profil. Oh, Thess n’a rien rempli ! Non, je n’aime pas ça, j’aimerais en savoir un peu plus sur elle. Je continue. Voici Eva, elle a un profil : elle vient de Berlin, smart people only, hétéroflexible, relation libre… Non, ce n’est pas pour moi. J’ai eu besoin de combien de temps ? Cinq secondes ? Dix ? Il y a aussi des gens qui le font encore plus vite : oui, oui, non, non, non…

C’est comme les achats en ligne. À la différence qu’ici ce sont des gens et pas des aspirateurs.

(avec insistance) Mais on n’offre pas de gens sur Tinder ! Tinder est comme un café, j’entre et il y a des gens qui cherchent aussi une relation. Si je swipe la photo d’un utilisateur à gauche sur Tinder, je ne suis pas intéressé par cette personne. Si je l’aime bien, je glisse vers la droite. Si elle me glisse également vers la droite, on a un match. Comme quand vous avez un contact visuel avec quelqu’un dans un café. Ce n’est qu’alors que nous pourrons discuter.

Combien d’utilisateurs publient une photo de quelqu’un d’autre sur leur profil parce qu’ils ne se trouvent pas beaux?

Je ne sais pas. En tout cas, cela va à l’encontre de nos règles. En Amérique, nous avons une équipe qui part dans le monde entier à la recherche de violations de nos règles. Chaque utilisateur peut être signalé par un autre utilisateur. Parfois, cela se produit à tort. Un chanteur très populaire a déjà été bloqué parce que des gens pensaient que c’était un faux profil. Nous l’avons rapidement réactivé.

Que savez-vous des utilisateurs ?

L’âge de la personne et où elle vit. C’est l’information que nos membres mettent à notre disposition et dont nous avons besoin pour faire fonctionner Tinder.

En 2017, une journaliste française a demandé toutes les données stockées la concernant. Elle a reçu pas moins de 800 pages de renseignements personnels. Par exemple, l’âge hommes qu’elle voulait connaître et de quoi elle avait parlé avec eux. Que faites-vous de toutes ces informations?

(évasif) Nos utilisateurs sont protégés. Les données sont codées, il n’y a qu’un petit cercle de collaborateurs Tinder qui peuvent consulter ces données.

Combien d’argent gagnez-vous avec ces données ?

Nous ne vendons pas de données et nous ne faisons pas d’argent avec elles. Plus de 95 % de nos revenus proviennent d’utilisateurs premium (l’application de base est gratuite, mais les formules payantes offrent plus d’options, ndlr). Leur nombre augmente de façon spectaculaire. En 2018, ce chiffre était de 800 millions de dollars, soit le double de celui de l’année précédente. Nous n’avons que 5% de recettes publicitaires.

Avez-vous déjà lu secrètement des conversations d’utilisateurs ?

Non ! Toutes les informations dont je dispose sont anonymes. Tout au plus, je peux identifier certaines tendances. Quels sont les éléments les plus courants dans les profils d’utilisateurs ? Nourriture, voyages et « pas de coup d’un soir ». Quels sont les jobs les plus populaires ? Les femmes aiment les directeurs marketing, les publicitaires et les avocats. Les hommes les hôtesses de l’air, les avocates et les cheffes (de cuisine).

De nombreux utilisateurs se retrouvent sur Tinder via Facebook. Cela signifie-t-il que vous détournez les données de mes amis Facebook ? Et que Facebook a accès aux données des utilisateurs de Tinder?

Les deux ne se font pas.

En Russie, il est devenu impossible pour les entreprises de protéger les données personnelles des clients. Une nouvelle loi leur impose de divulguer les données des utilisateurs à la demande des services secrets. Si je flirte avec quelqu’un de Moscou, Vladimir Poutine peut-il lire mes messages?

Il est vrai que le gouvernement russe s’est engagé dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Les entreprises doivent se présenter à ces services. Nous l’avons fait, mais nous n’avons partagé aucune donnée avec le gouvernement russe, et nous n’avons pas l’intention de le faire.

Si vous deviez vous renseigner auprès des utilisateurs de Tinder, il s’avérerait probablement que l’on utilise souvent l’appli Tinder la nuit, par des gens qui rentrent seuls chez eux après être sortis en boîte.

Manifestement, l’heure la plus populaire pour « swiper » est le lundi soir à 20h. Je ne sais pas pourquoi. Ce n’est pas une heure où je suis ivre en tout cas.

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