Le Premier ministre britannique Boris Johnson a tenté de convaincre son homologue indien Narendra Modi dont le pays reste très dépendant du charbon. © getty images

Climat: les pays riches devraient soutenir davantage ceux en développement (aussi dans leur propre intérêt)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Pourquoi les pays en développement sont-ils si déçus par l’issue de la COP26? Pourquoi ont-ils raison? Pourquoi les pays riches devraient, dans leur propre intérêt, se montrer plus généreux?

Les pays du Sud représentent près de six milliards de personnes, soit les trois quarts de la population mondiale. Les plus vulnérables d’entre eux, une cinquantaine, se sont regroupés dans le Climate Vulnerable Forum (CVF) pour mieux faire entendre leur voix. Ils affirment n’être responsables que de 5% des émissions tout en étant les premières victimes du réchauffement. Au début de la COP26, ils ont réclamé que les pays riches – principaux responsables du dérèglement – tiennent leur engagement d’alimenter le Fonds vert pour le climat, officiellement lancé lors de la COP17 de 2011 à Durban. Cette enveloppe annuelle est destinée à aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’à s’adapter aux conséquences du dérèglement (inondations, sécheresses, ouragans…). Le Fonds devait voir son montant annuel augmenter graduellement et atteindre cent milliards de dollars en 2020.

Nombre de pays du Sud se demandent si des versements au Fonds vert pour le climat ne sont pas, en réalité, de l’aide publique au développement détournée.

Il se justifie par la responsabilité énorme des pays industrialisés en Europe et en Amérique dans le réchauffement climatique, depuis le XIXe siècle. Aujourd’hui encore, les émissions par habitant sont très inégalement réparties entre les pays du Nord et ceux du Sud, même si l’Union européenne s’en tire a priori mieux que les autres régions riches du globe (voir carte). Et si les émissions des pays émergents comme la Chine ont fortement augmenté ces dernières décennies, elles sont aussi dues à la production de biens consommés par les Occidentaux: c’est le célèbre concept des « émissions importées », pas encore suffisamment prises en compte dans le bilan carbone des Etats, a fortiori ceux du Nord.

Climat: les pays riches devraient soutenir davantage ceux en développement (aussi dans leur propre intérêt)

Quoi qu’il en soit, à Glasgow, les « vulnérables » n’ont obtenu qu’un engagement précaire selon lequel les cent milliards seraient atteints en 2025, puis renégociés à la hausse. Ils demandaient qu’à cette date, le retard pris pour remplir l’enveloppe des autres années de la décennie soit aussi comblé pour arriver, à terme, à un total de cinq cents milliards dans quatre ans, comme prévu. Il n’y a pas eu d’accord sur ce point. Or, selon le dernier décompte disponible de l’OCDE, le financement climatique avait atteint 79,6 milliards en 2019, soit quasi la même somme qu’en 2018. Précision de taille: près des trois quarts du montant constituent des prêts, remboursables donc, et non des subventions.

Ces fonds sont, en outre, censés s’additionner à l’aide publique au développement (APD) versée par les pays de l’OCDE et fixée, depuis les années 1970, à 0,7% de leur revenu national brut mais qui n’atteint que la moitié de ce seuil pour la plupart des donateurs (0,46% en Belgique). Toutefois, nombre de pays du Sud se demandent si des versements au Fonds vert pour le climat ne sont pas, en réalité, de l’APD détournée. De plus en plus de critiques s’élèvent également pour dire que, bien qu’ils soient prévus dans l’Accord de Paris, il est injuste d’inclure les dons privés (soit environ quatorze milliards, ces trois dernières années) dans le décompte du Fonds car ceux-ci sont souvent conditionnés à financer des projets « bancables », pas forcément prioritaires pour les pays concernés.

L’OCDE surévaluée?

En tenant compte de tous ces éléments, Oxfam évalue le montant du Fonds vert à seulement dix-neuf milliards de dollars en 2018, soit soixante milliards de moins que le chiffre avancé par l’OCDE. On comprend dès lors que le compromis mollasson de Glasgow ait déçu. Le problème est qu’aucune clé de répartition n’ayant été fixée, les pays versent leur contribution de manière volontaire. Selon le site britannique spécialisé Carbon Brief, cinq principaux bailleurs de fonds ont contribué à plus de 60% du financement en 2018 et 2019, soit dans l’ordre: le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Les suivants dans la liste sont la Suède, les Pays-Bas, le Canada, la Norvège et la Corée du Sud. A noter: les Etats-Unis restent, malgré tout, un très petit contributeur au vu de leur revenu national brut, sans compter qu’ils avaient retiré leur financement durant les années Trump.

Autre sujet de crispation pour les pays du Sud: le mécanisme de « pertes et préjudices » pour les victimes climatiques, qui permettrait aux plus touchés d’obtenir réparation des dommages subis lors de catastrophes dues au dérèglement. Alors que les pays vulnérables réclament ce mécanisme depuis une décennie, les pays riches – Etats-Unis et UE en tête – ont calé à Glasgow, se contentant de promettre d’entamer un dialogue dans les deux ans à venir. Le sujet est donc sur la table, mais procrastiner est non seulement injuste mais risqué. Selon une étude sérieuse de l’ONG britannique Christian Aid, les pays les plus affectés par le réchauffement, surtout en Afrique, pourraient voir leur PIB chuter de plus de 20% d’ici à 2050 et de 80% d’ici à la fin du siècle, avec des conséquences évidentes pour les pays occidentaux.

Une agriculture plus résiliente

Une petite concession tout de même: le texte final de la COP26 exhorte les Etats industrialisés à doubler d’ici à 2025, par rapport à 2019, leur financement des mesures d’adaptation au climat dans les pays les plus pauvres. Evalué actuellement à environ vingt milliards de dollars, ce financement doit permettre à ceux-ci de gérer le dérèglement sans compromettre leurs objectifs de développement, en déployant par exemple une agriculture plus résiliente. Jusqu’ici, le financement climatique était surtout destiné à l’atténuation des émissions carbones par des investissements directement rentables dans des énergies renouvelables (panneaux solaires, centrales hydrauliques, etc). Mais les mesures d’adaptation, dont le coût annuel pourrait atteindre trois cents milliards de dollars d’ici à 2030, s’avèrent plus essentielles. Bémol: le doublement de l’enveloppe promis à Glasgow fera, ici aussi, l’objet d’un engagement volontaire.

Bref, il en faudra encore des COP avant d’arriver à un résultat tangible pour le Sud. « Pourtant, les pays industrialisés auraient tout intérêt à accélérer le processus car les pays pauvres dépendent davantage du charbon, observe Rebecca Thissen, chargée de recherche au CNCD, présente à Glasgow. Il est facile de s’ériger en défenseur de la neutralité carbone et vouloir bannir le charbon tout en ne respectant pas ses engagements envers des pays en développement et émergents qui en dépendent. Il y a là une grande hypocrisie. » Le blocage tel celui que l’Inde a opposé pour éviter de parler de « sortie » du charbon dans le texte final n’est d’ailleurs pas étonnant. L’Inde, qui est le principal bénéficiaire du Fonds vert climat, peut difficilement se passer aujourd’hui de cette énergie fossile. Et c’est son principal moyen de pression lors d’une COP.

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