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Chypre: six questions pour comprendre la crise

Le Vif

Menacée de faillite bancaire, Chypre, qui craignait une fuite des capitaux russes, a refusé le plan de sauvetage européen. Comment en est-on arrivé là? Quels étaient les termes du débat? Quels sont les risques?

Chypre inquiète les Européens. Au bord du défaut de paiement, l’île de 850 000 habitants, entrée dans l’Union européenne en 2004 et dans la zone euro en 2008, avait sollicité une aide européenne. Bruxelles avait imposé, en contrepartie, la taxation des comptes bancaires du pays, une solution rejetée le 19 mars par le Parlement de Nicosie. Sur place, afin d’éviter les effets de paniques, les banques sont fermées, en principe jusqu’au 26 mars.

Pourquoi Chypre a-t-elle besoin d’aide?

C’est en réalité le système bancaire chypriote qui se porte mal. Pour attirer les capitaux étrangers, les banques de l’île offrent des taux de rémunération très attractifs, sensiblement plus élevés que dans les autres pays de la zone euro. Et elles ne se montrent pas très regardantes sur l’origine des capitaux. S’ajoute à cela une fiscalité très favorable. Résultat: les banques chypriotes sont devenues, au sein de la zone euro, un havre pour les capitaux étrangers, et notamment ceux des oligarques russes. Le secteur bancaire de l’île a grossi démesurément au point que les dépôts bancaires représentent aujourd’hui 750% du PIB du pays. Ce « business model » aurait sans doute pu fonctionner longtemps encore sans la crise grecque. Mais les banques chypriotes ont investi une grande partie des fonds qui leur était confiés en Grèce. Du coup, entre l’effacement de 53,5% de la dette publique grecque de mars 2012 et les créances douteuses accumulées, elles ont perdu beaucoup d’argent et se retrouvent aujourd’hui au bord de la faillite. Chypre estime avoir besoin de 17 milliards d’euros, ce qui correspond à peu près à son PIB.

Que lui a-t-on proposé ?

Les négociations avec le Mécanisme européen de stabilité qui dépend de l’Eurogroupe -les pays membres de la zone euro- et le FMI ont été entamées il y a déjà près d’un an. Elles se sont accélérées ces dernières semaines. Rapidement balayé: le haircut, qui revient à imposer aux créanciers l’abandon d’une partie de leurs créances et la mise à la disposition de Chypre, sans contreparties, de la somme demandée. Les Européens s’étaient engagés, après avoir imposé le haircut dans la crise grecque, à ne plus avoir recours à cette pratique, véritable chiffon rouge pour les marchés.

Par ailleurs, plusieurs des Etats de l’Eurogroupe, ainsi que le FMI, s’opposaient catégoriquement à l’idée de donner à Chypre un chèque de 17 milliards d’euros, à la fois pour une raison économique – éviter que l’économie de l’île ne soit submergée par une dette qu’elle aurait été incapable de rembourser- et pour une raison politique- ne pas avoir à payer pour sauver les comptes d’oligarques russes qui savaient au demeurant qu’on plaçant leur argent à Chypre ils prenaient un risque. Une position notamment défendue par l’Allemagne: en pleine campagne électorale Angela Merkel aurait eu du mal à faire admettre aux électeurs allemands qu’ils allaient devoir voler au secours de milliardaires russes dont certains auraient choisi les banques chypriotes pour blanchir des fonds provenant d’opérations douteuses. Il a donc été décidé de proposer à Chypre un prêt de 10 milliards d’euros, en échange de quoi Nicosie s’engagerait à taxer les dépôts bancaires- dont ceux des Russes- pour un montant global de 5,8 milliards d’euros.

Comment se sont déroulées les discussions?

C’est dans la nuit du vendredi 15 au samedi 16 mars, au cours d’une très longue réunion des ministres des Finances de l’Eurogroupe qu’a été élaboré un plan adopté à l’unanimité, y compris donc par le ministre des Finances chypriote. Le projet consistait à taxer la totalité des comptes, au taux de 6,75% pour les dépôts inférieurs à 100 000 euros, et 9,9% au dessus. Au départ, les ministres européens avaient plaidé pour une taxation plus élevée frappant uniquement sur les comptes de plus de 100 000 euros. Mais cette solution avait été rejetée par les autorités chypriotes, celles-ci ne voulant pas entendre parler d’un taux à deux chiffres, de peur de faire fuir les capitaux étrangers – qui représentent 40% des 38 milliards de dépôts-et de mettre à jamais en péril leur business model. A l’aube, donc, tout le monde s’est rallié à l’idée d’une taxation générale, en oubliant la règle adoptée par l’Union européenne qui veut que les dépôts bancaires soient garantis jusqu’à 100 000 euros…

Pourquoi le Parlement chypriote a-t-il rejeté le plan de l’Eurgroupe?

La décision prise à Bruxelles a suscité une forte émotion de la part de tous les Chypriotes qui se sont réveillés en apprenant qu’ils avaient, en l’espace d’une nuit, perdu une partie de leurs économies. La décision, une première en Europe, a surpris et inquiété aussi en Grèce, en Espagne ou en Italie… Parallèlement, les Russes, qui ne manquent pas de moyens de pression à Chypre, ont fait savoir leur désaccord. Les autorités ont finalement présenté au Parlement un plan amendé exemptant les dépôts inférieurs à 20 000 euros. Le texte a été rejeté par le Parlement, y compris par les députés du parti au pouvoir.

Que peut-il se passer maintenant?

La Commission européenne, au lendemain du vote du Parlement, a souhaité que l’idée d’une taxation soit reprise, pour les seuls dépôts supérieurs à 100 000 euros, qu’il faudrait alors taxer davantage pour obtenir les 5,8 milliards d’euros requis. Mais les autorités chypriotes continuent de s’y opposer, de peur de faire fuir les capitaux. D’autres solutions sont évoquées. Parmi elles, l’idée d’un emprunt russe gagé sur les réserves potentielles de gaz au large de l’île. Ce qui renforcerait l’influence de Moscou à Chypre et ne manquerait pas d’inquiéter les Européens. Certains évoquent aussi des privatisations, sans que cela semble très convaincant, ou une aide de l’Eglise orthodoxe, fort riche.

Quels sont les risques ?

Les banques sont fermées jusqu’au mardi 26 mars. Mais que se passera-t-il après? Personne ne peut exclure une ruée des épargnants et, si les détenteurs des plus gros dépôts y participaient un effondrement des banques. Au-delà de Chypre, certains observateurs craignent que l’inquiétude gagne d’autres pays, notamment l’Italie ou l’Espagne.

Dominique Lagarde

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