Myriam Leroy

C’est le moment de…(re)lire « pastorale américaine »

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

En fait, ce serait mentir que d’affirmer que c’est le moment de (re)lire Philip Roth. Car il n’y a pas de moment précis pour le lire. Roth est un compagnon intemporel, toutes les occasions sont bonnes pour parcourir son oeuvre tant tout ce qu’il écrit pose un foisonnement de questions universelles avec une clairvoyance sur laquelle le temps n’a pas de prise.

Il n’empêche, à chaque fois que l’actualité récite sa litanie de noms de jeunes terroristes, que les profs ou voisins des kamikazes expriment leur sidération, la Pastorale américaine ressurgit. Elle est d’autant plus d’actualité que cette fois, chez nous, il est question de femmes fanatisées – soit l’angle mort de la réflexion sur la radicalisation.

Prix Pulitzer 1998, ce roman est probablement le chef-d’oeuvre de Philip Roth (à supposer qu’il n’en ait commis qu’un seul). A partir d’un fait divers, il brosse une fresque immense, que l’on aurait parfaitement pu appeler Symphonie américaine autant que Pastorale américaine, tant ses proportions sont vastes et la mélodie qu’elle joue, l’oeuvre d’une multitude d’instruments – de personnages.

Roth ne parle jamais d’islamisme ni de religion, même s’il a passé sa vie à asticoter la communauté juive de Newark, New Jersey. Mais il a, mieux que personne, raconté la naissance et les ramifications de la colère nihiliste et de la haine dans cette brique de près de 600 pages, premier volet de sa  » trilogie américaine « .

Le narrateur Nathan Zuckerman est un vieil écrivain à succès qui reçoit une lettre d’un ancien camarade de classe souhaitant rendre hommage à son propre père par l’entremise du talent d’écriture de son vieux copain. Entreprise a priori sans grand intérêt pour Zuckerman, sauf que le commanditaire n’est pas n’importe qui. C’est Seymour Levov,  » le Suédois « .

Il faut imaginer Levov gamin : grand blond, baraqué, beau garçon, sportif aguerri, le Suédois était l’idole de l’école. Il détonnait au milieu des adolescents malingres par sa parfaite américanité alors que, comme tous les gosses du coin, il n’en était pas moins juif. Devenu vieux, le Suédois n’a pas perdu de sa superbe : c’est un héros positif comme seuls peuvent en fabriquer les Etats-Unis.

Sauf que ce pur produit du rêve états-unien a engendré une progéniture haineuse : une jeune fille qui, au nom de l’anti-impérialisme américain, a posé une bombe qui a soufflé le magasin général de sa petite ville et tué sur le coup un notable local. Une meurtrière de 16 ans embrigadée dans une secte, scandant des slogans anticapitalistes, ulcérée par la guerre au Viêtnam et justifiant les morts ici par ceux de là-bas.

Roth ne cherche jamais à expliquer les actes de Merry. Elle bégayait : s’est-elle révoltée parce que son trouble du langage contrariait son rapport au monde ? Peut-être, peut-être pas, qui sait. Là où un mauvais scénariste aurait tenté de trouver les racines du mal dans une blessure originelle, Roth expose en effet les souffrances mais ne démontre rien, rien d’autre que l’incommunicabilité entre les êtres et l’opacité de la nature humaine.

 » Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie « , écrit-il.  » L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui et continuer rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous… vous avez de la chance.  »

Pastorale américaine, par Philip Roth, poche (Folio), 580 p.

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