Thierry Fiorilli

C’est beau comme la Dream Team des sacrés lascars (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Ce sont quatre grands gamins. Entre 17 et 18 ans. On dit parfois d’eux, affectueusement, qu’ils forment une association de malfaiteurs. Quand ils peuvent, chacun depuis son chez-lui, ils jouent à Fifa 2022, en ligne. Ensemble. Ils ont fondé leur propre équipe, avec leur joueur perso, ils ont créé le reste du noyau, avec un nom, un numéro et une apparence. Soit une bonne quinzaine de types et de filles, que l’ordinateur de la console guide. Ils disputent un vrai championnat, contre d’autres, qui jouent quelque part depuis leur chez-eux, partout dans le monde. Ils ont démarré l’automne dernier, dans la division la plus basse, la dixième. Ça allait jusqu’à la sixième. Où ils ont du mal: relégation en D7, puis retour en 6 puis redescente… Yo-yo depuis des semaines. Et 84 défaites, pour 52 victoires et 34 nuls. Dream Team, hein.

Zemmour, Zemmour, oui, oui, oui, Zemmooour, mais noooon, comment il loupe ça, bon, il est trop nul, on l’enlève, on met Mandela à la place!

D’ici, on n’entend que le gamin maison: comme il a ses écouteurs, on ne capte pas la voix des trois autres. Mais c’est déjà tout un poème (souvent sur volume fort, il faut le dire). Entre les exclamations – « Tire, mais tire » ; « Fais ta passe, gros » ; « Arrête de tirer tout le temps » ; « Ouiiiiii, oh quel goal de malade mec » ; « Non, mais c’est quoi ça, y font une attaque et y marquent » , les rires, les réflexions sur autre chose – « C’est ton chien qu’on entend? » ; « Romain il est trop fort à ce jeu, y a interro demain ou pas finalement? » ; « Le dernier Orelsan, c’est du caca » , les hurlements – « Siuuuuu », le cri de Cristiano Ronaldo, en vrai, quand il marque, donc souvent -, il y a des instants de grâce – « Oh mon dieu, quel but! » ; « Mais il me suit jusqu’en enfer celui-là! » ; « Non je peux pas, ma maman ne veut pas ; « En Chine, ils visent les boys bands et les tatouages, maintenant, quand les jeunes comme nous seront grands, ils les renverseront, comme à la révolution russe. » Un mélange étrange, dont on n’a pas tous les ingrédients ( because le casque et du gamin et leur multivers), mais qui est fascinant. Gamins, gamers, aucune affinité pour les journaux papier, école bof, candides, mais ça lit des romans, c’est informé, ça s’exprime bien et ça a l’art de la dérision, autant pour soi-même que pour le reste.

En haut (de g. à dr.): Carey, Damso, Monsieur Delplace et Staline. En bas: Etchebest, Escobar, Mandela et Zemmour. Quelques stars d'Inazuma Italia.
En haut (de g. à dr.): Carey, Damso, Monsieur Delplace et Staline. En bas: Etchebest, Escobar, Mandela et Zemmour. Quelques stars d’Inazuma Italia.© DR

Ainsi, l’équipe s’appelle Inazuma Italia, mélange de manga et de racines familiales. Leur joueur avatar s’appelle Dieu Swaloué ou Jouer de la guitare (c’était Seigneur Jésus, avant). Les autres, ils les ont baptisés Mariah Carey, Bob Marley, Shrek, Mandela (avec des dreadlocks), Escobar (mais Sirius, pas Pablo, parce qu’ils ont oublié de changer le prénom), Dems (le surnom de Damso), l’humoriste youtubeur Babac, Monsieur Delplace (le prof de français), le rappeur Lil Nas X, Omar Sy, le chef Philippe Etchebest et Staline (mais avec deux « l », on n’est pas parfait). Il y a même Zemmour, qui joue attaquant, avec les cheveux roses mais c’est rasta-iroquois blanc maintenant, et barbe noire. Et quand on entend « Zemmour, Zemmour, oui, oui, oui, Zemmooour, mais noooon, comment il loupe ça, bon, il est trop nul, on l’enlève, on met Mandela à la place! », on rigole vraiment à chaque fois.

Ils sont bien, ces gamins. Peut-être au fond qu’on n’a pas tout raté.

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