Anversois d'origine, Tyas Huybrechts est devenu Tyas Sosen au Japon. © PHILIPPE CORNET

Ce Belge est devenu maître et instructeur de thé à Kyoto

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Tyas incarne la saga d’une plante ancestrale qui met aussi la culture japonaise dans une forme intemporelle de zénitude.

On pourrait être au xixe siècle. C’est l’impression dégagée par cette ancienne maison de bois dans un quartier excentré de Kyoto. Ici, le calme tapisse les murs et quelques meubles épars. Une vitrine où des porcelaines montent la garde, une longue table robuste et guère plus qu’un comptoir garni d’ustensiles au repos. La fenêtre donne sur un jardin, forcément japonais, et une bibliothèque. Le volume sonore de l’extérieur, filtré par les vieux murs, nous éloigne du monde. Nous sommes chez Tyas Huybrechts, rejaponisé en Tyas Sosen. Mince, drapé dans un élégant kimono, la boule à zéro fendue d’un sourire qui lui donne un air de personnage exoplanétaire inédit de Star Wars.  » Le fait d’avoir ce genre de lieu est nécessaire pour créer un environnement différent. Il faut connaître la sensation d’être dans une sorte de capsule. C’est la tradition. On la pratique ici autour d’un comptoir de bar, qui constitue un espace entre l’hôte et l’invité. Une sorte de bulle ignorant complètement les bruits de la rue ou d’ailleurs. Là, je fais la cérémonie du thé où je prépare notamment le matcha, le thé vert en poudre, dans un véritable rituel codifié.  »

La cérémonie du thé, c’est la culture japonaise.

Cet Anversois, né à l’été 1987, gère deux établissements semblables à Kyoto – l’autre plus au centre-ville, à l’arrière d’un temple – qu’il dirige comme maître et instructeur de thé. Ex-ado rebelle qui parle volontiers de sa  » mauvaise jeunesse « , Tyas prolonge naturellement sa curiosité pour l’archipel par un premier séjour japonais, il y a une douzaine d’années. Venu y pratiquer le kendo – avec le judo, l’art martial suprême -, il se rend compte que la cérémonie du thé emballe bien plus l’essence du Japon que le simple combat physique.  » J’ai compris, confie-t-il, que cette façon d’amener le thé dans une forme de cérémonie était bien plus globalisante puisqu’elle permettait d’intégrer toutes sortes de disciplines. Celles de l’épée, du drame, de la stratégie, de l’architecture, de l’art de la poterie, des fleurs et du jardin, de la calligraphie, du travail du bambou, de la laque. En fait, la cérémonie du thé, c’est la culture japonaise.  » Lorsqu’on se concentre sur le thé, on découvre un monde complètement extensible. A l’université d’Osaka, le citoyen belge tente – en langue japonaise – un master en littérature japonaise du xviie siècle qu’il n’achèvera pas. En revanche, tout cela laissera des traces.

Historiquement, thé et Japon sont liés dans un même parcours agité.
Historiquement, thé et Japon sont liés dans un même parcours agité.© getty images

Tradition samouraï

Historiquement, thé et Japon sont liés dans un même parcours agité. Traversé par des personnages comme Miyamoto Musashi (1584 – 1645), influence majeure sur Tyas. Guerrier, calligraphe, peintre et philosophe, Musashi incarne le Japon féodal, société qui, de 1603 à 1868, est connue sous l’appelation Epoque d’Edo . Pendant plus de deux siècles, l’archipel se ferme à toute intrusion étrangère, n’admettant des liens commerciaux qu’avec la Chine et les Provinces-Unies (futurs Pays-Bas), condamnant à mort ceux qui s’aventurent sur ses terres sans y être invités. Dans ces circonstances extrêmes où le confinement renforce les pratiques locales, le thé, importé de Chine au ixe siècle, devient un repère national essentiel. Un ancrage, une seconde nature obligatoire.  » Avant 1868, explique Tyas, la cérémonie du thé était une habitude quotidienne des samouraïs (NDLR : en grande partie détenteurs du pouvoir), des officiels, des classes supérieures japonaises. En entrant dans l’Ere Meiji (1868- 1912), le Japon a voulu s’occidentaliser. S’il le faisait de lui-même, pensait-il, aucune autre puissance ne pourrait l’obliger à changer de civilisation. Et donc, le pays a abandonné une série de traditions, adopté en grande partie les habits occidentaux, voulu construire le même type d’habitations et écarté la pratique des geishas et des cérémonies de thé.  »

Mais la résistance s’organise : des maisons de thé désertées sont récupérées pour un discret prolongement des traditions, la femme devenant le vecteur sauveur d’une coutume tirée de plusieurs siècles.  » Au fil du temps, il s’est avéré que la femme japonaise devait également acquérir un niveau d’éducation pour pouvoir s’insérer dans la société des xviiie et xixe siècles. C’est passé par l’art floral et la cérémonie du thé. Particulièrement lors de la guerre russo-japonaise (1904-1919) où les hommes étant au front, les femmes étaient obligées de gagner de quoi nourrir la famille.  »

Question bio

En 2020, la société japonaise est plus que jamais duelle. Entre hyper- modernité et traces prégnantes de patrimoine, où se place le symbole du thé ? Dans un espace-temps qui quitte la frénésie japonaise obligatoire : chez Tyas, l’ambiance consiste à ralentir le tempo, se pencher sur l’eau qui bout, humer les parfums, dialoguer dans des gestes calibrés, choisir ses matériaux précieux. Une forme de résistance à la frénétique (pseudo)modernité à tout prix. Si l’Anversois de 33 ans n’hésite pas à s’affirmer heureux, il le doit aussi à sa vie familiale – une femme et deux enfants japonais – et ses choix commerciaux.

Tyas est aussi sélectionneur d’espèces. Avec sa société The Tea Crane, il choisit les thés biologiques, malgré un contexte japonais favorisant l’industrialisation. Vendant des produits organiques, évitant fertilisateurs et pesticides.  » Jusqu’il y a environ un demi-siècle, il n’y avait pas de substances chimiques liées au thé, produit au Japon depuis au moins 1 200 ans ! Aujourd’hui, le thé se répand dans les machines de distribution partout dans le pays, mais en même temps, ce qui semblait une habitude en voie de disparition commence à revenir. Que ce soit dans l’achat des thés produits de façon organique ou dans les cérémonies que je pratique, étant sans doute le seul Occidental du pays à détenir le titre de maître et instructeur de thé.  » Un credo pour le meilleur du thé et du zen réunis.

Reportage réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

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