
Crise politique au Canada: il ne fait pas bon être trumpiste en 2025
Un ancien banquier d’affaires, Mark Carney, devrait succéder temporairement à Justin Trudeau. Un tremplin avant des élections législatives dont le trumpiste Pierre Poilievre était favori?
A quelques jours de l’élection du successeur de Justin Trudeau par les militants du Parti libéral du Canada (PLC) et après deux débats télévisés entre quatre prétendants, les jeux sont faits. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, fait la course en tête pour être le nouveau Premier ministre le 9 mars. Selon tous les sondages, sa principale rivale, l’ex-numéro deux du gouvernement Trudeau, Chrystia Freeland, est largement distancée .
Le parcours de Mark Carney parle pour lui. Star internationale de la finance, ce catholique pratiquant a piloté la Banque du Canada en pleine crise financière en 2008, puis celle d’Angleterre, une première pour un étranger, au moment du Brexit, de 2013 à 2020. Très respecté des milieux financiers, l’ex-grand argentier se lance en politique à un moment où Ottawa a affiché à la fin décembre 2024 un déficit budgétaire de 62 milliards de dollars. La ministre des Finances était alors une certaine… Chrystia Freeland. Les ministres les plus influents accordent leur confiance à Mark Carney et, sauf coup du sort, il devrait être largement couronné par ses pairs le 9 mars. Sa rivale, pourtant très combative et ayant une expérience contrastée à son actif, est trop associée à la décennie Trudeau, même si elle renie aujourd’hui des mesures qu’elle a mises en place avec ce dernier. Mark Carney a enfoncé le clou lors du premier débat en français: «Je ne suis pas un politicien de carrière. Je suis un pragmatique. Lorsque je vois des problèmes, je les règle. J’ai géré des crises.»
Originaire de Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest, aux confins de l’Arctique canadien, Mark Carney, fils de modestes professeurs, a travaillé au sein de la banque d’affaires Goldman Sachs à Londres, Tokyo et New York. Son parcours sans faute rassure les Canadiens en ces temps troublés où les Etats-Unis, devenus un pays ennemi sous Donald Trump, veulent annexer le Canada. Rassurer, voilà le maître-mot du très posé Carney avec ses promesses de réduire les impôts pour les classes moyennes. Le financier privilégie les grands travaux d’infrastructure. Il plaide pour la construction de maisons préfabriquées à coût modique pour résoudre la crise du logement. Avec pour credo: «J’ai une règle, dépenser moins, investir plus.»
Le joker des libéraux
En fin stratège, Mark Carney a bien compris que sa nomination comme Premier ministre n’est qu’une étape fragile. Le vrai test interviendra lors des élections générales. Elles se tiendront probablement au printemps, lorsqu’il devra affronter le chef conservateur Pierre Poilievre. Afin de déstabiliser son adversaire, Mark Carney fait siennes quelques idées du conservateur et droitise son programme en supprimant l’impopulaire taxe carbone sur les ménages, l’une des rares mesures environnementales du Canada. Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, puisque le banquier, nommé en 2020 envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique, s’est présenté pendant des années comme le champion de la lutte contre le changement climatique.
Afin de séduire l’électorat de droite, Mark Carney a annoncé que l’ex-Premier ministre conservateur Stephen Harper avait même tenté de le recruter comme ministre des Finances il y a une douzaine d’années. La stratégie du libéral fonctionne parfaitement jusqu’ici. Avec Mark Carney, 59 ans, le PLC a trouvé un joker pour relancer un parti promis à une défaite certaine il y a encore deux mois. Au point que le PLC mène désormais face au Parti conservateur pour les prochaines élections, selon un sondage Ipsos publié le 25 février.
Poilievre en désamour
Le leader conservateur a longtemps caracolé dans les sondages, avec une avance constante dans les intentions de vote depuis 2023 grâce à l’impopularité de son meilleur ennemi, Justin Trudeau. Avec la démission annoncée de ce dernier depuis début janvier, Pierre Poilievre a perdu sa cible préférée. Continuer à dénigrer le fils de Pierre-Eliott Trudeau alors que les Canadiens eux-mêmes ne s’y intéressent plus n’a pas de sens.
Pendant de longs mois, la stratégie du conservateur a été de marteler que le Canada de Trudeau était «un pays brisé», son expression favorite, non sans vanter les mérites de Donald Trump. Aujourd’hui, c’est le pire des messages possibles alors que le président américain menace d’annexer le «51e Etat», sans que les Canadiens ne sachent si cela se fera en écrasant l’économie canadienne ou en envahissant le pays. Jamais ces derniers n’ont été aussi unis face à Washington. L’élection de Donald Trump, plus détesté que jamais, a changé la donne politique au Canada. Pire, le slogan de Poilievre depuis deux ans, «le gros bon sens», a été utilisé par l’autocrate américain lors de sa campagne électorale. Radio-Canada notait récemment: «Le chef conservateur, qui a passé les derniers mois à insulter les leaders des autres partis, le Premier ministre de la Colombie-Britannique, et les maires de plusieurs grandes villes, doit d’un seul coup devenir l’unificateur en chef, le général qui rassemble les troupes derrière le drapeau.» Ce sera un immense défi.
Pierre Poilievre reste très combatif et cible l’économiste Mark Carney tous les jours, car il sait que celui-ci est le seul chez les libéraux qui peut le faire chuter. Il lance, vachard, «Carney essaye d’être le type normal jouant au hockey avec des chaussures à 2.000 dollars». La référence à un Carney portant des chaussures de luxe lors d’une esquisse de match de hockey fait mouche. Le financier, dont le français reste laborieux, un sérieux handicap qui pourrait le faire chuter lors d’un débat avec un Pierre Poilievre parfaitement bilingue, ne pourra pas se contenter de la stratégie de l’évitement dans son nouveau costume de politicien. Il devra prouver qu’il sait rendre coup pour coup.
La campagne électorale n’a pas encore commencé et l’opposition s’en donne à cœur joie contre le successeur pressenti de Trudeau. «Show Canadians where your money is» («Montre aux Canadiens où est ton argent»), a lancé le député néodémocrate Matthew Green, accusant le banquier de conflits d’intérêts en n’ayant pas dévoilé publiquement ses avoirs financiers dans des entreprises et sa présence dans des conseils d’administration. Une sérieuse erreur de jugement pour celui qui se voit déjà à la tête du Canada pour de longues années.
Jamais les Canadiens n’ont été aussi unis face aux Etats-Unis.
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