La police française anti-émeutes et des migrants à Calais alors que les autorités françaises bloquent leur accès à un point de distribution alimentaire. © REUTERS/Pascal Rossignol

Calais : la police traque les derniers migrants qui rêvent d’Angleterre

Stagiaire Le Vif

La majorité des migrants ont quitté Calais depuis le démantèlement de la jungle, le 24 octobre dernier. Pourtant, quelques centaines d’irréductibles sont encore en transit dans la région, ce qui n’est pas du goût des autorités. La répression policière s’intensifie, selon les médias français et le Défenseur des droits français, Jacques Toubon. Presque huit mois après le démantèlement, où en est-on exactement ?

« Les exilés sont épuisés et tendus. Ils sont écoeurés par la France. » Vincent De Coninck ne mâche pas ses mots. Au micro de StreetPress – magazine d’enquêtes sur le web, le chargé de mission pour le Secours catholique dans le Pas-de-Calais dresse un portrait sombre de la situation calaisienne actuelle. Pour comprendre comment le contexte s’est envenimé ces derniers jours, un retour en arrière s’impose. On démarre le jour du démantèlement de la jungle.

À l’aube, les premiers bus quittent le camp de La Lande, du nom officiel de la jungle de Calais. Ce 24 octobre 2016, les chaînes de télévision couvrent massivement l’événement et suivent le départ de quelque 7.000 migrants. Forcés de quitter la jungle après l’ordre de démantèlement du ministre de l’Intérieur français de l’époque, Bernard Cazeneuve. Ces exilés sont redirigés vers l’un des 280 centres d’accueil et d’orientation (CAO) répartis dans toutes les régions de France – à l’exception de la Corse et de l’Île-de-France. L’opération dure alors plusieurs jours.

Depuis, la situation ne s’est pas franchement apaisée aux alentours de la commune des Hauts-de-France. Dès décembre 2016, on constate que de nombreux migrants reviennent sur les lieux. Souvent, soutient France Bleu Nord, ils ont déserté leur CAO pour revenir au plus près de Calais. Là, ils peuvent toucher du doigt leur objectif : traverser la Manche et rejoindre l’eldorado britannique. Dans le froid du mois de décembre, les migrants se rassemblent dans des camps de fortune, de petite taille et plus ou moins clandestins.

Les mois qui suivent confirment la recrudescence perçue en décembre. Le nombre de migrants revenus tenter de traverser la frontière ne cesse d’augmenter. Parmi eux, Le Monde distingue ceux qui ont quitté les centres d’accueil de ceux qui, primo-arrivants, découvrent ébahis que la Jungle n’est plus. Dès janvier, les associations se remettent à travailler d’arrache-pied. Pour le quotidien français, Amin Trouve-Baghdouche, coordinateur des actions de Médecin du Monde dans le Nord, estime à l’époque qu’il y a « de plus en plus de retours, dont beaucoup de mineurs et de jeunes adultes« . Seulement, « personne ne parvient à en estimer vraiment le nombre « . Aujourd’hui, le nombre de migrants oscillerait entre 500 et 600.

LES AUTORITÉS CONTRE-ATTAQUENT

Face à ce nouvel afflux, il n’y a pas que les associations qui réagissent. Les forces de l’ordre ont pour mission de procéder à des interpellations dès qu’ils en ont l’occasion. Et ce en vertu de la politique de « tolérance zéro migrant  » mise en place par les autorités. Pour exemple, le 2 mars dernier, Natacha Bouchart, maire de Calais estampillée Les Républicains, signe un arrêté visant à interdire la distribution de repas aux migrants. Au Figaro, elle déclare vouloir éviter de « revivre ce qu’on a vécu pendant des mois  » et d’empêcher de « nouveaux points de fixation« . Rapidement sollicitée par les associations qui défendent les intérêts des migrants, la Justice a annulé cette décision. Les associations ont alors pu reprendre leur rôle de cuisine populaire : au rythme d’un repas par jour – le soir, « ce qui ne permet pas de nourrir tous ceux qui le souhaiteraient« , regrette Jacques Toubon, le Défenseur des droits, du nom de l’autorité constitutionnelle indépendante dont le titulaire est nommé par le président de la République pour un mandat de six ans.

Début juin, la situation dans la Calaisis a pris un nouveau tournant. Les médias de l’Hexagone s’en sont emparés. Mais c’est surtout Jacques Toubon qui a donné le plus gros coup de pied dans la fourmilière. Dans un communiqué publié sur le site officiel de l’organisme, M. Toubon demande expressément qu’un terme soit mis « aux atteintes aux droits fondamentaux les plus élémentaires dont sont victimes les exilés, notamment les mineurs, et qui demeurent à ce jour sans précédent « . Après sa visite sur place, il « exhorte les pouvoirs publics à ne pas s’obstiner dans ce qui s’apparente à un déni d’existence des exilés« .

« ILS VEULENT NOUS ÉPUISER »

La situation, si elle pèse essentiellement sur les migrants qui sont, selon plusieurs médias, traqués et pris à parti jour et nuit par les forces de l’ordre, met les associations « sous pression « . Elles seraient empêchées dans leur aide quotidienne aux exilés. Le Défenseur des droits constate qu’elles sont « entravées et menacées« . Et il poursuit en listant des exemples : « verbalisation des véhicules garés devant les locaux associatifs, injonction de mettre aux normes la cuisine d’une association présente de très longue date à Calais, menaces de poursuites pour aide au séjour irrégulier« .

En réponse aux observations de terrain de Jacques Toubon, la préfecture du Pas-de-Calais a réaffirmé son objectif qui est « d’éviter sur ce territoire la réapparition de campements permanents, afin de préserver l’ordre public et la sécurité« . Cette politique de « tolérance zéro migrant  » prend des allures de répression policière. Le Défenseur des droits et son équipe ont recueilli des témoignages allant de ce sens : « {Les migrants} disent être traqués jour et nuit dans plusieurs sous-bois de la ville. Les migrants ne peuvent dès lors plus dormir, ni même se poser ou se reposer et restent constamment sur le qui-vive. « 

Dans la presse française, il ne faut pas chercher loin pour trouver des exemples de ces témoignages édifiants. Libération raconte ainsi l’expérience de Youssef, jeune Érythréen de 22 ans. Il explique au quotidien français avoir été tabassé une nuit par des policiers. « Je boite depuis trois jours à cause de la police. Ils m’ont aspergé de gaz lacrymogène dans le visage, ils m’ont frappé sur tout le corps et sur les genoux, et ils sont partis ». Et il ajoute : « Ils riaient en frappant ». StreetPress, de son côté, a rencontré Anghosm (nom d’emprunt). Le jeune Éthiopien dévoile à peu près la même histoire : « Chaque nuit, la police vient et asperge de lacrymaux les gens qui dorment, les sacs de couchage. Ils veulent nous épuiser. » Écoeurés par la France, selon Vincent De Coninck, leur rêve est plus que jamais d’actualité : débarquer en Angleterre.

Rodrigue Jamin

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