Boris Johnson en conversation avec Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Des ajustements de l'accord devront se faire en fonction de l'évolution de la nouvelle relation entre l'Union et le Royaume-Uni. © belga image

Brexit, surveiller l’exécution de l’accord

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le traité avec le Royaume-Uni, qui doit encore être ratifié par le Parlement européen, ne règle pas tout, manque de garde-fous et pourrait réserver des surprises. Les eurodéputés veulent être impliqués dans le monitoring de l’exécution de l’accord.

Rideau sur le Brexit? Pas tout à fait. Les Vingt-Sept ont donné leur feu vert pour une application anticipée de l’accord conclu le 24 décembre dernier entre Bruxelles et Londres, mais le traité entré en vigueur le 1er janvier est un document provisoire. Toutes ses versions – il a été publié en anglais, puis dans les 23 langues officielles de l’Union – subissent actuellement un toilettage juridico-linguistique. Une clause insérée dans l’accord prévoit que cette période de révision des textes s’étendra jusqu’au 28 février, avec une prolongation possible jusqu’en avril si nécessaire. Ce délai est mis à profit par les eurodéputés pour décortiquer les 1 246 pages (plus les annexes) de l’accord. En raison des retards et blocages accumulés lors des négociations euro-britanniques, ils n’ont pu se pencher sur le traité et l’adopter avant la fin de la période de « transition ».

Des inquiétudes européennes concernent la coopération policière et judiciaire.

La ratification parlementaire aura probablement lieu le 23 février, ou lors de la session de mars. Les élus européens ne peuvent amender l’accord – c’est un traité international, pas une loi communautaire -, mais ils ont le droit de le rejeter, ce qui mettrait fin à son application provisoire. Toutefois, même si certains points du texte posent question et suscitent des inquiétudes, le scénario d’un rejet est très improbable. D’autant que le Parlement a été étroitement associé par Michel Barnier, le négociateur en chef de l’Union, à toutes les étapes de la négociation.

Faire confiance à l' »ami » britannique?

« Nous serons vos amis, vos alliés et votre premier marché », a clamé Boris Johnson après la conclusion, le 24 décembre dernier, de l’accord de partenariat commercial post-Brexit avec les Européens. Curieux « amis » qui, un mois plus tard, cantonnent l’ambassadeur de l’Union à Londres à un statut diplomatique de second rang. Joao Vale de Almeida et son équipe ne peuvent bénéficier de l’immunité diplomatique complète prévue par la Convention de Vienne, au même titre que les diplomates d’un Etat souverain, a décidé le gouvernement britannique. Ils doivent se contenter de l’immunité conférée aux organisations internationales, telles l’ONU et l’Otan. Tobias Ellwood, un député du Parti conservateur au pouvoir, y voit la « mesquinerie » des brexiters de l’entourage de Boris Johnson. « Ce premier signal adressé par le Royaume-Uni depuis son départ augure assez mal de la suite des événements », a estimé le chef de la diplomatie des Vingt-Sept, Josep Borrell, exaspéré par ce qu’il qualifie de « geste inamical ».

Un accord évolutif

Si des zones de flou persistent, c’est en partie parce que de nombreux détails de la nouvelle relation entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ne seront connus qu’une fois achevé le travail de retouche des juristes-linguistes. « Par ailleurs, certains compromis conclus entre les deux partenaires sont provisoires, prévient un expert européen. Des ajustements devront se faire en fonction de l’évolution de la relation. Plusieurs questions sont soumises à analyses et examens et renvoyées à un règlement ultérieur. »

L’accès au marché unique pour les services financiers britanniques (assurance, services bancaires…) ne figure pas dans l’accord. La Commission européenne choisira unilatéralement d’attribuer des décisions d' »équivalence » au cas par cas. En outre, le Royaume-Uni n’a pas voulu inclure dans le traité les questions de politique étrangère, de défense et de développement. L’ accord sur la pêche, qui prévoit de laisser aux flottes européennes un accès aux eaux britanniques, n’est garanti que jusqu’au 30 juin 2026. Dans cinq ans et demi, il faudra renégocier annuellement un accès réciproque. « On ne sait pas quelle sera alors la position des Britanniques, qui auront un autre gouvernement, relève un membre de l’équipe des négociateurs européens. S’ils décident, sous la pression des nationalistes, de rompre le statu quo, les Européens ont toujours la possibilité de remettre en cause d’autres accords, comme celui qui permet au Royaume-Uni d’importer de l’énergie européenne à des prix avantageux. »

Échanges d’informations moins fluides

Ceux qui, parmi les députés européens, ont pris la peine ces jours-ci d’éplucher le texte provisoire du volumineux traité ont voulu vérifier si le diable ne se cachait pas dans les détails. Les inquiétudes européennes se focalisent notamment sur le « nouveau cadre » prévu en matière de coopération policière et judiciaire. Un partage des données – ADN, empreintes digitales, immatriculation des véhicules, informations relatives aux passagers aériens… – est prévu entre les deux parties pour lutter contre la criminalité transfrontalière, le terrorisme et la cybercriminalité.

Toutefois, le Royaume-Uni, devenu un pays tiers, ne disposera plus d’un accès direct et en temps réel aux bases de données sensibles. Les liens seront moins étroits et les échanges d’informations perdront en fluidité. L’avenir dira si l’accord conclu permet une coopération efficace entre les services répressifs britanniques et européens par l’intermédiaire de l’agence Europol.

Quarante-sept ans après son adhésion à l'Union européenne, le Royaume-Uni quitte l'UE le 31 janvier 2020. Conformément à l'accord de retrait, le Royaume-Uni est désormais officiellement un pays tiers et ne participe dès lors plus au processus décisionnel de l'UE. L'UE et le Royaume-Uni sont toutefois convenus d'une période de transition, qui durera jusqu'au 31 décembre 2020.
Quarante-sept ans après son adhésion à l’Union européenne, le Royaume-Uni quitte l’UE le 31 janvier 2020. Conformément à l’accord de retrait, le Royaume-Uni est désormais officiellement un pays tiers et ne participe dès lors plus au processus décisionnel de l’UE. L’UE et le Royaume-Uni sont toutefois convenus d’une période de transition, qui durera jusqu’au 31 décembre 2020.

Le dispositif sera-t-il activé?

L’ accord garantit aux Britanniques un accès sans droits de douane ni quotas au marché européen. En échange, ils s’engagent à respecter des normes de concurrence équitable. Le Royaume-Uni accepte de ne pas revoir à la baisse les législations et standards sociaux, environnementaux et climatiques européens en place le 31 décembre 2020 et de s’adapter à leur évolution. En cas de non-respect de ces engagements, l’Union peut appliquer des mesures unilatérales de rééquilibrage si les divergences entraînent une hausse des coûts de production.

« Ce dispositif novateur, qui va dans les deux sens, est un bel outil, reconnaît Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts. Il pourrait même servir de précédent pour de futurs accords de libre-échange signés par l’Union. Mais sera-t-il activé en cas de régression britannique? S’il n’est pas mis en oeuvre dans toute sa rigueur, ce sera un tigre de papier! Il ne faudrait pas que la Commission européenne détourne le regard pour des raisons politiques ou juridiques. Je m’attends d’ailleurs à ce que Boris Johnson teste sa réactivité. Si le Premier ministre britannique constate que son pays risque peu d’être frappé par des mesures de rétorsion commerciales, Londres osera diverger, comme l’automobiliste qui se permet des excès de vitesse parce qu’il ne craint pas la sanction! »

Comment éviter le dumping fiscal?

Surtout, comment contraindre le Royaume-Uni à ne pas pratiquer le dumping fiscal, alors que les Etats membres de l’Union se livrent eux-mêmes entre eux à de la concurrence déloyale? « Le coût de la crise économique conduira sans doute les pays européens à harmoniser leurs systèmes fiscaux, estime Philippe Lamberts. Si, dans cinq ans ou six ans, l’impôt des sociétés est harmonisé en Europe, il faudra prendre des dispositions pour empêcher la concurrence fiscale déloyale que pourrait nous faire le Royaume-Uni. »

Entre-temps, Londres sera- t-elle déjà devenue un « Singapour sur Tamise », une capitale de la dérégulation? Le gouvernement britannique a confirmé récemment la création d’une dizaine de ports francs dans les prochains mois sur l’estuaire de la Tamise et ailleurs au Royaume-Uni. L’Union européenne ne peut lui faire la leçon: elle compte elle-même plusieurs dizaines de zones de ce type, qui ressemblent à des centres financiers offshore, avec, à la clé, blanchiment d’argent et risque d’évasion fiscale.

Philippe Lamberts (Verts):
Philippe Lamberts (Verts): « Je m’attends à ce que Boris Johnson teste la réactivité de la Commission européenne. »© belga image

Pas de chèque en blanc

Le traité ratifié, qui surveillera sa mise en oeuvre? Le Parlement européen craint d’être tenu à distance. « C’est une préoccupation largement partagée par les euro- députés, convient Philippe Lamberts. Nous voulons pouvoir exercer, au même titre que les autres institutions de l’Union, nos prérogatives de supervision de la nouvelle relation. Le Parlement va négocier son implication dans le monitoring de l’exécution de l’accord. De nombreux points n’ont pas été résolus. Ils le seront, ou pas, ces prochaines années. »

En clair, pas question pour les eurodéputés de donner un chèque en blanc à la Commission européenne. « Souvenons-nous qu’en septembre 2018, elle a renoncé à ses mesures antidumping sur les panneaux solaires chinois, ajoute le député Vert. La décision a été vivement critiquée par les fabricants européens menacés par une concurrence chinoise très compétitive. A propos du traité, le Parlement européen doit pouvoir tirer la sonnette d’alarme en cas de divergence significative de la législation britannique. »

Poissons (et étudiants) à la sauce anglaise

La question de la pêche a été le dernier point d’accrochage des négociations, laissant planer jusqu’au bout la menace d’un no deal. Britanniques et Européens ont durement bataillé à coups de harengs et de maquereaux, comme les Gaulois du village d’Astérix. Le secteur ne représente pourtant que 0,1% du PIB britannique et 1,5% de celui de l’Union. « Le dossier a été infecté par le virus du nationalisme anglais, qui en a fait le symbole du retour à la souveraineté britannique, raconte un membre de l’équipe des négociateurs européens. En fin de compte, l’accord conclu ne fait que des mécontents parmi les premiers concernés: les pêcheurs européens devront renoncer progressivement à 25% de leurs quotas dans les eaux britanniques et leurs homologues britanniques réalisent que leur accès au marché européen se complique du fait des formulaires administratifs et des mesures d’inspection désormais inévitables. Or, le poisson frais n’attend pas! Le deal qui existait avant le traité était win-win. » Selon notre interlocuteur, la décision des Britanniques de quitter le programme Erasmus d’échange d’étudiants a été, elle aussi, décidée pour des raisons idéologiques, et non financières comme l’a prétendu Boris Johnson: « Erasmus est un puissant moteur de l’émergence d’une identité commune européenne. Les hard brexiters et autres nationalistes anglais tenaient à ce que les étudiants britanniques ne soient plus biberonnés à ces idées. Ils savent que ces jeunes-là seraient devenus des militants du retour de leur pays dans le giron communautaire. »

Brexit, surveiller l'exécution de l'accord
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