Christian Makarian

Brésil : « N’est pas Trump qui veut »

La langue portugaise est soudain devenue à la mode en cette fin d’été 2019. D’un côté, un élan spontané, venu des réseaux sociaux et soutenu par l’écrivain brésilien le plus célèbre, Paulo Coelho, a pris la défense de l’épouse du président français, gravement offensée par le président brésilien, Jair Bolsonaro. Un flot d’excuses au moyen d’un simple hashtag : « Disculpa Brigitte » (« Pardon Brigitte »). De l’autre, c’est Brigitte Macron elle-même qui a voulu remercier les Brésiliens par ces mots : « Muito obrigada ! » (« Merci beaucoup ! »).

Macron versus Bolsonaro, chacun est pour l’autre l’adversaire idéal : tout oppose le porte-drapeau du multilatéralisme, avec l’image d’arrogance qu’il véhicule, au leader populiste, chantre du machisme, des méthodes fortes et de la vulgarité en politique. Dès l’élection de Bolsonaro, à la fin de 2018, les piques ont fusé contre le président français (menace brésilienne de retrait de l’accord de Paris sur le climat, attaques personnelles lors de la crise des gilets jaunes…). La tension a culminé lors du G20 d’Osaka, en juin dernier : dans un climat électrique, Bolsonaro s’est alors engagé à respecter l’accord de Paris, condition indispensable afin que la France approuve l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le bloc économique du Mercosur (le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay). C’est cette promesse, rompue par l’autorisation des brûlis agricoles en Amazonie, qui a incité Macron à déclarer que son homologue avait  » menti « .

Depuis, le match fait recette et suit des rebondissements qui ne tournent guère à l’avantage du Brésilien. Ce dernier s’est en effet pris les pieds dans le tapis avec ses déclarations successives, en laissant apparaître désordre et maladresse. Après avoir refusé l’aide de 20 millions de dollars mobilisée par le G7 pour éteindre quelques-uns des innombrables incendies qui ravagent l’Amazonie, il y consentirait à condition de contrôler les fonds et que le président français  » se rétracte  » ; parallèlement, il a décidé d’interdire les brûlis agricoles pendant soixante jours et subit la pression des autres pays amazoniens. Tout cela sans compter les images injurieuses mettant en scène Brigitte Macron via le compte Facebook de Bolsonaro, contenu déshonorant qui a été finalement retiré. N’est pas Trump qui veut ; la pratique de l’offense suppose à la fois d’être en position de force et de respecter certaines limites.

Entre Macron et Bolsonaro se joue une partie à peine cachée. Le président français semble avoir ciblé son adversaire, le sachant faible ; ce faisant, il fait irruption sur la scène intérieure brésilienne et profite, dans le champ politique hexagonal, des attaques dont il fait l’objet en confortant sa position de héraut de la cause environnementale, ce qui lui vaut un regain d’intérêt parmi les écologistes. Face à l’hostilité croissante de ces derniers – et celle, très forte, des agriculteurs – à l’accord entre l’UE et le Mercosur, Macron appuie sur les freins. Il déclare :  » En l’état, je ne signerai pas « , ce qui lui permet d’utiliser le prétexte brésilien pour satisfaire l’opinion défavorable à l’entrée des denrées sud-américaines sur le marché européen.

Bolsonaro, lui, n’a rien gagné, tant s’en faut, à ce calque raté de la ligne Trump ; il risque de précipiter son pays dans une impasse sans précédent depuis les années de la dictature militaire (1964-1985). En s’adressant à la part extrémiste de son électorat, il sape les fondamentaux brésiliens, qui reposent justement sur le multilatéralisme, sans pour autant remporter des points. Affublé d’une popularité en berne, de résultats économiques désastreux et privé d’un vrai soutien parlementaire, le président brésilien s’est isolé ; le nationalisme qu’il a essayé de mobiliser ne lui est d’aucun secours. Il est devenu une proie pour Macron.

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