Sébastien Boussois

Boycott politique des JO de Pékin: un effet de manche hypocrite (carte blanche)

Sébastien Boussois Docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient.

Plusieurs pays, à commencer par les Etats-Unis, ont annoncé boycotter les Jeux Olympiques d’hiver qui ont débuté en Chine le 4 février dernier. Pour Sébastien Boussois (ULB), spécialiste des relations internationales, cette posture est hypocrite. Quid des relations économiques ?

Les Jeux Olympiques d’Hiver de Pékin ont donc été inaugurés le 4 février dernier en l’absence globale d’une présence politique occidentale, à commencer par celle des Etats-Unis et de ses alliés anglo-saxons. Pourtant, la plupart des pays du monde verront leurs athlètes concourir et la course aux médailles restera bien une compétition sportive mais aussi politique. La présence de Joe Biden, de Boris Johnson, ou d’un Emmanuel Macron n’y changeraient rien. Alors pourquoi invoquer ce cache sexe du boycott politique des JO ? Pourquoi slalomer en permanence entre nos positions politiques et nos choix économiques ?

De quoi par contre railler la présence de Vladimir Poutine, venu soutenir son allié géopolitique chinois, lui qui en sait quelque chose après l’appel au boycott britannique en 2018, avec celui de la Pologne, à l’approche de la Coupe du monde de football. Mais à quoi bon tout ce barnum et ces effets de manche, à géométrie variable ? Car au fond, on proteste dans le cadre sportif, mais que ferait économiquement l’Occident sans la Chine qu’elle prend un malin plaisir à critiquer constamment (tout en faisant comme l’Europe qui signait de nouveaux accords économiques avec Pékin en pleine pandémie), tout comme sans la Russie et son gaz comme le démontre la crise ukrainienne? Ne pourrait-on pas continuer à protester, via les chancelleries et dans le cadre du multilatéralisme ou du bilatéralisme plutôt que de punir indirectement les délégations sportives qui sont aussi là pour faire vivre leur métier ? Et pourquoi ne pas soigner au plus vite notre dépendance en ne rendant pas les autres toujours responsables de notre démission ?

Le boycott dont fait l’objet la Chine, et qui avait été annoncé depuis longtemps, est à relativiser sans pour autant nier les atteintes frappantes aux droits de l’homme, tant les positions occidentales nous semblent schizophrènes. On peut manifester contre une situation politique donnée, contre une crise, le risque d’une guerre, l’oppression d’une minorité, mais dans un contexte global de radicalisation du monde, l’ilot occidental de paix et de « liberté » qu’est l’Europe, peut-elle continuer à se gausser de ses atouts lorsque la moitié de celle-ci, surtout à l’est, bascule déjà justement du côté anti-européen et antidémocratique de la force ? Les Jeux Olympiques et les manifestations culturelles ne sont-ils pas l’occasion la plus lâche pour s’insurger contre les pays organisateurs et faire passer un message au détriment de sportifs qui n’ont rien demandé ? A croire que tous les pays qui décrochent l’organisation de tels évènements à retentissement mondial ont acheté les instances qui ont justement sélectionné les candidatures et opté pour ce qu’elles considéraient à l’instant T être le meilleur choix à faire ! Tout cela parait assez farfelu et quelque part aussi totalement lâche.

On nous rebat les oreilles avec ces craintes de nouvelle guerre froide, de troisième guerre mondiale à venir, mais l’on ne sait pas mettre entre parenthèses quelques instants la realpolitik, alors que si le sport est éminemment politique aujourd’hui, il est aussi le dernier instrument pour rassembler, fédérer des millions d’êtres humains, et oublier un temps les crispations géopolitiques. Des Jeux Olympiques comme une Coupe du Monde sont aussi une bulle d’air après deux ans d’asphyxie. Il y a de nombreux autres moyens de faire passer le message, sanctionner un pays, et condamner sa politique. Nombre de pays y sont confrontés tous les jours avec des effets souvent limités.

La Chine a déjà été au coeurs de nos attentions depuis le déclenchement de la Covid-19. La pandémie n’est pas indissociable de la politique chinoise, à commencer par celle du mensonge institutionnalisé et on le sait tous. Mais, cela fait des années, que nous nous jetons dans les bras de Pékin, en commençant par ce choix économique totalement suicidaire de la désindustrialisation totale. Les Ouigours pèsent du coup bien peu face à notre dépendance. Mais c’est un choix politique que nous avons fait. Bilan : on critique la Chine, mais on se rend compte aujourd’hui à quel point on ne peut plus faire sans elle. Et par culpabilité, on s’agite tel un épouvantail pour protester contre les JO d’hiver ? Cela semble bien ridicule et l’aveu d’un échec occidental.

La Russie n’est pas aimée, et ce de nous tous, depuis 1991. Elle a non seulement été humiliée, mais isolée. On sait ce que l’Histoire fait des pays frustrés et humiliés. Moscou se rapproche donc de Pékin par solidarité face à l’attitude moraliste et autocentrée occidentale. Quoi reprocher de plus quand le monde ne fonctionne que par grands équilibres et grandes alliances géostratégiques, où chacun cherche à garder ou défendre sa zone d’influence, à l’ouest comme à l’est ? Il serait bon de préparer l’après Jeux Olympiques, oui, mais en trouvant les moyens d’une dynamique qui ne crée par perpétuellement des humiliants et des humiliés, des vainqueurs et des vaincus. Car si l’Occident gagnait ça se saurait : les valeurs qu’il défend se réduisent comme peau de chagrin, c’est à regretter, mais c’est aussi sûrement le signe de quelque chose qui ne fonctionne pas ou ne fonctionne plus chez nous. Le boycott de deux journée dans un évènement sportif mondial est assurément l’arme des faibles du multilatéralisme. Et c’est vers l’essoufflement de ce système international qui faut sûrement chercher quelques premiers éléments de réponse. Et pourquoi le droit international ne fonctionne plus, et peut être contourné.

Sébastien Boussois

Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism)

Le titre est de la rédaction. Titre original: Le boycott politique d’un évènement sportif : l’arme des faibles du multilatéralisme

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