© Image Globe

Boris Johnson, maire de Londres, sera-t-il le grand vainqueur des JO ?

Les Jeux olympiques ont attiré tous les projecteurs sur Londres et son maire, Boris Johnson. Ambitieux, cet incorrigible gaffeur est soupçonné de vouloir la place de David Cameron au 10 Downing Street. Malgré une cote de popularité qui grimpe dans les sondages, les jeux ne sont pas faits.

Qui est donc ce drôle d’oiseau qui, bloqué à mi-parcours sur une tyrolienne à plusieurs mètres du sol, continue d’agiter fièrement deux Union Jack sous les rires bienveillants de la foule à Victoria Park ? N’importe quel Londonien vous aurait répondu sans une once d’hésitation, ni la moindre surprise: c’est Boris, le maire (conservateur), que tous appellent par son prénom.

L’arrivée des Jeux olympiques dans la capitale anglaise a permis de braquer les projecteurs sur Boris Johnson, son maire hors du commun. Sa popularité est telle qu’il a éclipsé le Premier ministre, David Cameron, alors que le Royaume-Uni vit son heure de gloire. Boris ne rate pas une occasion de vanter l’organisation des Jeux « Bolympiques » (« Bolympics », contraction de « Boris » et d' »olympics »). A mettre à son actif, bien sûr. En vue de préparer un prochain emménagement au 10 Downing Street? Outre-Manche, les spéculations vont bon train.

Ses pitretries et ses sorties fracassantes auront en tout cas égayé ces Jeux. Téméraire, Boris a invité le président russe Vladimir Poutine, ceinture noire de judo, à monter « torse nu » sur un tatami. Et que dire de sa réponse au candidat républicain à l’élection présidentielle des Etats-Unis, Mitt Romney, qui a exprimé des doutes sur l’avancement des préparations peu avant le début des Jeux? « J’ai entendu dire qu’un type qui s’appelle Mitt Romney voulait savoir si nous étions prêts. Sommes-nous prêts? », a lancé la rock star d’une soirée à une foule galvanisée de 60 000 personnes réunie à Hyde Park, scandant son nom.

« Je suis très fier de la manière dont se déroulent les choses », a-t-il récemment déclaré. « Il n’y a aucun problème de transport, s’est-il réjoui, oubliant, semble-t-il, qu’une importante panne sur la Central Line du métro, la ligne qui relie la capitale au village olympique, a failli perturber le début des épreuves d’athlétisme le 3 août dernier.

Peu importe. Le triomphe est total. Les émeutes qui, il y a presque un an jour pour jour, embrasaient Tottenham, dans le nord de la capitale, semblent oubliées. Vivement critiqué pour son refus initial de rentrer de vacances, Boris Johnson a su préserver sa réputation: il jouit aujourd’hui d’une popularité inédite au sein du Parti conservateur, alors que ce dernier pâtit de la politique d’austérité du gouvernement Cameron. Un sondage récent de YouGouv (l’équivalent d’Ipsos) pour le Sun indique que 36% des Britanniques verraient bien Johnson devenir le prochain Premier ministre. Un bond de 12% par rapport à mai.

Un érudit sous un masque de pitre

« Pour n’importe quel autre homme politique que Boris, se retrouver bloqué sur une tyrolienne aurait été un désastre. Mais pour lui, c’est un triomphe absolu. Il s’affranchit de toute gravité, dans tous les sens du terme », a déclaré David Cameron, après la mésaventure de Victoria Park. En effet, Boris Johnson semble pouvoir tout exploiter à son avantage

Le maire de la plus grande ville d’Europe ne laisse aucun de ses administrés indifférent. Tous le connaissent, témoin cette scène mémorable: Boris, qui a fait de la sécurité un des axes principaux de son discours politique, décide un matin d’assister à une descente de police au domicile d’un trafiquant de drogue. Les hommes en uniforme enfoncent la porte, pénètrent à l’intérieur, l’édile sur leurs talons, et mettent la main au collet du dealer encore dans son lit. Le malfrat, brutalement tiré de son sommeil, aperçoit son maire et, sans courtoisie excessive, l’interpelle: « Qu’est-ce-que tu fous ici, Boris? »

Ce dernier cultive sa proximité avec les Londoniens, avec ou sans casier judiciaire. Se déplaçant quasi exclusivement en vélo, il n’hésite pas à s’arrêter pour discuter, ce qui lui permet d’entretenir une image « démotique », comme le dit lui-même cet expert en grec ancien, soit « proche du peuple ». Son premier mandat reste associé, entre autres, à la mise à disposition en libre-service des Londoniens de deux-roues surnommés « Boris Bikes », bien que le projet ait été annoncé par son prédécesseur…

Cependant, personne ne lui en tiendra rigueur, comme toujours. « Je devrais détester Boris, mais je n’y arrive pas », se lamente ainsi DavidByrne85, un internaute, commentant une vidéo dans laquelle l’actuel maire de Londres, fraîchement réélu, refusait de répondre à une question posée à douze reprises par un journaliste, en pleine campagne électorale pour son premier mandat.

S’il est toujours à l’affut d’un bon mot – lors de sa première campagne électorale pour la Mairie de Londres en 2008, il avait rebaptisé Ken Livingstone, l’édile sortant, Ken « Leavingsoon » (sur le départ) – le sérieux n’est jamais loin.

Car sous ses airs de joyeux bouffon, Boris Johnson, fils d’un ancien député, a la politique dans le sang. De nombreux observateurs le soupçonnent de feindre la spontanéité afin de s’attirer la sympathie des électeurs. L’humour est une arme politique redoutablement efficace au Royaume-Uni, explique l’écrivain Christian Roudaut, dans Ils sont fous ces Anglais. Le résultat est là: depuis le début des JO, Boris Johnson n’est plus seulement comparé à Rowan Atkinson (alias Mr. Bean), mais aussi à Winston Churchill. Machiavélique, Boris? Peut-être. Intelligent, sans aucun doute. Né à New-York en 1964, Alexander Boris de Pfeffel Johnson est un pur produit de l’élite sociale et culturelle du pays. Il a ainsi côtoyé l’actuel Premier ministre au Eton College, puis à Oxford, dont il est sorti diplômé de lettres classiques.

Il écrit autant qu’il ébouriffe ses cheveux blonds d’une main. Outre une chronique hebdomadaire dans le quotidien conservateur Telegraph, Boris Johnson a, entre autres, signé un ouvrage sur l’Empire romain ainsi que des essais sur la vie politique britannique.

Il s’est également constitué un réseau d’amis fidèles parmi lesquels on trouve le magnat australien Rupert Murdoch ou encore Michael Bloomberg, le maire de New York. Ce dernier aurait demandé, en plaisantant, au maire de Londres de soutenir publiquement son adversaire lors de la dernière élection municipale de la métropole américaine, convaincu que le soutien d’un tel excentrique ne pourrait que refroidir ses partisans.

Trop drôle pour être élu?

Boris Johnson présente un double avantage aux yeux de son parti. C’est d’abord un conservateur traditionnel, opposé au mariage gay, qu’il a une fois comparé à l’ « union entre trois hommes et un chien », qui entretient d’excellents rapports avec la City. S’il pense que la « société britannique est très inégalitaire », il estime « qu’on ne peut pas rendre les pauvres plus riches en rendant les riches plus pauvres ». Non content de séduire l’électorat conservateur de la base au sommet, Johnson prétend aussi détourner une partie de l’électorat travailliste. Son attitude décomplexée -contrastant avec la réserve de David Cameron- lui a permis en 2008 de ravir Londres aux travaillistes, et de confirmer en 2012, alors que le Parti conservateur a connu, dans son ensemble, un net recul aux élections locales.

Mais Boris Johnson, l’homme qui avait irrité le dragon chinois en 2008 en allant chercher le drapeau olympique à Pékin la veste déboutonnée, une main dans la poche, peut-il détrôner David Cameron? Cette entreprise pourrait s’avérer difficile pour plusieurs raisons. Pour être éligible, il faut en effet être membre du Parlement. Or, le mandat municipal de Johnson n’arrive à son terme qu’en 2016, et il est impossible de cumuler les deux. Quitter trop tôt la Mairie pourrait jouer en sa défaveur, et trahir un désir mesquin d’avancement. Trop tard, il verrait passer le siège sous son nez.

De plus, la vie privée du Premier ministre est attentivement scrutée, au pays des tabloïds rois. Or, Johnson a déjà payé, en 2004, ses infidélités conjugales en étant évincé du cercle dirigeant du Parti conservateur. Beaucoup rient encore au souvenir de Boris expliquant devant son domicile à des journalistes que tout s’arrangeait entre sa femme et lui, avant de se retourner pour constater que celle-ci avait refermé la porte à clé sur lui.
Certains observateurs estiment qu’il a pu se hisser à la tête de la capitale car le maire de Londres n’a pas de pouvoir réel, hormis en matière de police et de transports. « Les électeurs sont sûrement très amusés et adorent son authenticité, mais ils pourraient avoir quelques hésitations à le laisser piloter la politique fiscale et à lui confier la force de frappe nucléaire du pays », soulève Iain Martin, chroniqueur au Telegraph. « Son défi, au cours des deux prochaines années, sera de prouver qu’il est assez fiable pour se voir confier la responsabilité suprême ».

Enfin, sa popularité, bien que réelle, pourrait chuter une fois le village olympique démantelé. Aujourd’hui, « Boris Johnson agit comme un paratonnerre » qui canalise l’enthousiasme entourant les Jeux, analyse pour le Guardian Tony Travers, de la London School of Economics. « Mais lorsque nous retournerons à la dure réalité en septembre, nous aurons besoin de solutions pour permettre à la Grande-Bretagne de retrouver une économie dynamique ». L’intéressé a d’ailleurs déclaré, dans une interview à l’Evening Standard, que « l’adulation est une bonne chose (sic). Mais nous savons tous que ces phénomènes sont cycliques ». En attendant, il a programmé une tournée à l’étranger après les Jeux. Au cas où.

Gokan Gunes, L’Express.fr

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire