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Bientôt un chargeur universel pour les téléphones portables en Europe

Charly Pohu Journaliste

La Commission européenne a présenté jeudi un projet de directive sur les câbles de chargement des « équipements radioélectriques ». Téléphones portables IPhone, Android, écouteurs sans fil, consoles de jeux portables, appareils photos: tous ces objets auront, à partir de 2024, un seul et même câble, l’USB-C. L’intérêt serait avant tout d’ordre pratique et écologique.

« Quelqu’un a un chargeur IPhone? », « Non, j’ai un Android »: c’est un échange que tout le monde a déjà eu, lors de soirées ou au travail, par exemple. Dès 2024, ce dialogue pourrait tomber en désuétude: la Commission européenne présente l’instauration d’un câble de chargement universel.

Le câble choisi pour charger, dans le futur, les téléphones portables, casques, appareils photo, consoles de jeu etc. est celui au port USB-C, utilisé aujourd’hui par les téléphones ayant comme système d’exploitation Android. Ce port est notamment plus largement répandu, et le brevet est réputé abordable.

Le projet de directive de la Commission veut également que les produits soient vendus sans câble, pour éviter que les consommateurs doivent tout de même en accumuler. « Mais il faut voir si les marques adoptent cette idée, et ne vont pas vendre un modèle sans et un avec câble, et voir s’il y a un incitant à acheter le modèle sans, comme un prix moins élevé », relativise Enguerrand Marique, docteur en droit et chargé de cours à l’université de Nimègue, Saint-Louis et l’UCLouvain.

Selon la Commission, un tiers des chargeurs ne sont pas utilisés. Cependant, tous les ans 2,4 milliards d’euros sont dépensés pour en acheter des nouveaux. Via un chargeur universel, cette dépense pourrait être réduite de 250 millions d’euros. L’impact des câbles de chargement est également écologique: ils représentent 11.000 tonnes de déchets par an. Qui seraient alors réduites de 1000 tonnes avec l’introduction du câble universel.

Visé sans être nommé: Apple

La marque à la pomme a toujours eu du matériel spécifique et des logiciels exclusifs. « Cette décision s’inscrit dans un contexte plus général, une entreprise avec une position forte ou un monopole va tout mettre en oeuvre pour capter un marché. La même chose compte pour les logiciels d’ordinateur, que vous ayez Microsoft ou Apple, il y a de nombreuses incompatibilités, et de programmes exclusifs. Les entreprises s’entendent en aval, et cela créé des dépendances à un système en particulier. La Commission a déjà essayé de trouver une solution universelle pour ce genre de situation à de maintes reprises », explique Marc Fallon, professeur en droit matériel de l’Union européenne à l’UCLouvain.

Les téléphones Apple fonctionnent avec le port de chargement appelé lightning. Que les fans de ce câble soient rassurés: les téléphones Apple pourront continuer à être produits avec un port à part, pour ce câble. Ils devront cependant contenir également le port USB-C.

L’universalisme tue-t-il l’innovation?

L’argument utilisé par Apple pour dénoncer cette décision est que cet univeralisme tuerait l’innovation, car personne ne chercherait plus à trouver une solution plus innovante. « Il y a évidemment beaucoup de lobbying, les intérêts sont énormes pour les entreprises« , ajoute Marc Fallon. La technologie d’Apple est effectivement une manne financière pour la marque, contrairement aux autres acteurs qui paient des brevets pour implémenter les ports micro USB sur leurs appareils.

« Ironiquement, l’histoire a donné raison à Apple: le port USB-C a été inventé qu’après 2014 », compare Enguerrand Marique. Le spécialiste en droit note que le projet a aussi des clauses qui laissent place à l’innovation, et que le câble choisi peut être changé si la technologie se développe.

Un long procédé de négociations

Le sujet de l’universalisme des câbles de chargement est venu sur la table une première fois en 2009. Il avait été proposé aux producteurs de s’autoréguler, et le nombre de câbles est effectivement descendu de 30 à deux-trois. Mais la bataille entre ces dernières têtes de chargeurs semblait interminable. Interpellée à plusieurs reprises, l’entreprise Apple a toujours refusé d’adopter un autre câble.

« Il était difficile pour la Commission européenne de légitimer de pouvoir imposer un type, car il s’agit de standards privés« , explique Enguerrand Marique. « Il y a des brevets, et il était difficile d’en choisir un parmi d’autres, et pour quelles raisons donner l’exclusivité à un plus qu’à un autre, la Commission a donc décidé de d’abord laisser décider les acteurs entre eux ».

En 2014, les acteurs avaient réduit le choix à deux technologies : micro USB et lightning. Mais les négociations n’ont rien donné depuis. « Parce que le secteur n’a pas trouvé de compromis, l’intervention de la Commission européenne devient plus légitime« , continue Enguerrand Marique.

En janvier 2020, les eurodéputés ont voté une résolution non-contraignante pour une législation sur les câbles de chargement universels. Le projet de la directive devra encore être voté par le Parlement et le Conseil, où il sera normalement adopté, et ce au premier semestre 2022. Le temps que le texte soit transposé dans les droits nationaux des pays membres, et que les fabricants s’adaptent, il faut attendre 2024 pour que la mesure entre effectivement en vigueur.

« Mais ce n’est pas encore sûr si le projet pourra être adopté. Via les différents pays présents dans le Conseil, Apple peut encore essayer de faire pression et de miner le projet. Ou après l’adoption, la marque peut ensore faire des questions procédurales pour annuler la législation, comme sur la discrimination par rapport à ses propres câbles, par exemple. Ce sera intéressant de voir, en termes de droit », estime Enguerrand Marique.

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