Sevilay Altintas © Karoly Effenberger

« Beaucoup de gens assimilent le cancer à la mort. C’est le contraire qui est vrai »

« Elle est née dans une famille d’immigrés turcs, elle est l’une des principales oncologues du pays et elle est membre du conseil communal d’Anvers pour la N-VA depuis cette année. Sevilay Altintas nous parle de son parcours. « Vous seriez étonné d’entendre combien on rit dans un service d’oncologie. »

« J’ai toujours de l’énergie,’ dit-elle en riant. Je ne suis jamais fatiguée, je travaille toujours. Je ne dors jamais plus de quatre ou cinq heures. En plus d’une impressionnante carrière d’oncologue et d’une vie de mère seule avec quatre enfants, elle est conseillère municipale de la N-VA à Anvers depuis cette année. Et comme si tout cela ne suffisait pas, elle a un punching-ball géant dans le jardin, sur lequel elle se défoule de temps à autre.

Altintas est la deuxième fille d’une famille d’immigrants turcs. « Notre histoire est particulière, parce que ma mère est d’abord venue toute seule en Belgique, et que mon père n’est venu qu’ensuite avec ses enfants ». Elle a grandi à Oud-Berchem, souvent dans des conditions précaires. « Je me souviens de jours où j’allais à l’école avec un trou dans ma chaussure parce que nous n’avions pas assez d’argent pour en acheter de nouvelles. Dès l’âge de treize ans, j’allais nettoyer avec ma mère afin de joindre les deux bouts. Nous dormions à quatre dans une chambre, j’étudiais à lueur d’une bougie pour ne pas réveiller mes soeurs. Mais nous y sommes arrivés, grâce à un travail acharné. Je n’ai rien reçu en cadeau. J’ai n’ai pu compter que sur moi. »

Comment avez-vous eu l’idée de devenir médecin ?

Depuis que j’ai six ans, je me lève tous les jours avec l’idée de devenir médecin. J’ai été m’inscrire seule à l’Athénée, je signais mes bulletins moi-même. Jusqu’à ce que mon père vienne me dire en cinquième qu’il était temps de se marier. À l’époque, il y avait encore l’idée que les filles devaient épouser un membre de leur famille originaire de Turquie pour que la famille puisse venir grâce au regroupement familial.

Vous vous êtes rebellée contre ça ?

Oh, non, au début j’étais d’accord. À l’époque, tout le monde autour de nous épousait ses cousins. Je ne savais pas que c’était de la consanguinité ! La seule chose que j’ai regrettée, c’est d’avoir dû abandonner mes études. Je réussissais très bien à l’école, mais j’ai décidé de m’inscrire dans une section technique. C’est là que j’ai eu la chance de ma vie. Après une semaine, un des professeurs m’a pris à part et m’a dit de retourner immédiatement en latin sciences. C’est ce qui m’a sauvée.

Comment ont réagi vos parents ?

Je suis allée voir mon père en lui disant: laissez-moi continuer mes études ou je m’en vais. (rires) Je dois dire qu’il a toujours respecté ce choix. Malheureusement, mes soeurs n’ont pas été en mesure de lui imposer ce choix. En troisième année d’université, mon père m’a dit pour la première fois qu’il était fier de moi. Que j’avais eu raison de ne pas me marier et de poursuivre mon rêve. Aujourd’hui, il est atteint de la maladie d’Alzheimer et ne reconnaît presque plus personne. Pourquoi je ne te reconnais plus, me demande-t-il.

Quel est le cliché autour du cancer que vous aimeriez réfuter ?

L’idée que le cancer est incurable. Dans la plupart des cas, le cancer est guérissable. Et même s’il y a des métastases, de nombreux patients ont encore de nombreuses années devant eux. Les patientes atteintes d’un cancer du sein peuvent vivre de nombreuses années avec une bonne qualité de vie, même en présence de métastases grâce aux traitements hormonaux. Beaucoup de gens assimilent le cancer à la mort. C’est le contraire qui est vrai. Vous seriez étonné d’entendre combien on rit dans un service d’oncologie. Les patients cancéreux ne savent que trop bien ce que vaut une journée de vie supplémentaire.

Vous devez annoncer à vos patients qu’ils ont un cancer.

L’important, c’est de ne pas tourner autour du pot et d’être honnête. Je commence cette conversation par un message clair : « Vous avez une maladie grave ». Je dis toujours à mes patients qu’ils sont un individu, pas une courbe de Gauss. Avec un peu de chance, vous êtes dans la queue de la courbe et vous aurez de bonnes chances de survie.

Comment réagissez-vous face aux patients qui demandent l’euthanasie ?

Je ne fais pas d’euthanasie moi-même. Je ne peux pas, tout simplement. Mais je reste avec mes patients jusqu’au dernier moment.

Essayez-vous parfois de dissuader les patients de demander l’euthanasie ?

Je les soutiens dans leurs choix, quels qu’ils soient. Si toutes les conditions médicales sont réunies, je ne vois pas pourquoi je devrais empêcher l’euthanasie. Les gens qui demandent l’euthanasie sont plus courageux que moi. Je n’oserais jamais le faire.

Le cycliste Lance Armstrong a noté dans sa biographie qu’en tant que patient cancéreux, vous n’avez aucune influence sur vos chances de survie. Est-ce que c’est vrai ?

En effet, votre attitude n’influence pas vos chances de survie. Mais pour ceux qui vous entourent, c’est mieux d’adopter une attitude combative. Si vous vous mettez la tête dans le sable et que vous négligez votre vie de famille, c’est extrêmement difficile. Je n’hésite pas à dire aux patients de ne pas pleurnicher, s’ils ont un stade un et 95% de chances de survie.

Autre chose : quelles ont été les réactions quand vous avez choisi la N-VA ?

En général, les gens réagissent très positivement. Au début, je me suis également pris des commentaires négatifs. Quand j’ai rejoint la N-VA, une amie de jeunesse m’a dit que je devrais avoir honte de me retourner contre le système social qui m’avait permis d’arriver où je suis. Pour moi, c’est l’inverse : de nombreux immigrants de première génération sont justement victimes de notre système social. Ma mère a dû travailler extrêmement dur pour subvenir aux besoins d’une famille de six personnes parce que mon père pouvait bénéficier du système social. Il travaillait dans la construction, mais il a cessé de travailler après 42 ans parce qu’il était diabétique. Si le système avait permis à mon père de travailler aussi dur que ma mère, nous aurions vu notre mère à la maison de temps à autre.

Pensez-vous que la N-VA a un problème d’image auprès de la communauté musulmane ?

Je ne vois pas ce problème. Je ne vois pas pourquoi, en tant qu’enfant de parents turcs, je ne pourrais pas être favorable à une politique migratoire plus stricte.

Le problème n’est-il pas dans le ton que votre parti adopte parfois ? De nombreux musulmans sont parfaitement d’accord avec l’histoire de la N-VA sur les droits et les devoirs. Mais le ton de certains de vos collègues du parti n’est pas toujours très chaleureux, n’est-ce pas ?

Pour citer mon ancien chef de service : aux grands maux, les grands remèdes. C’est également le cas pour la politique. Il doit toujours y avoir des gens qui pensent différemment, et vous ne pourrez jamais convaincre les électeurs anti-N-VA. On pourrait peut-être obtenir quelques voix supplémentaires avec quelques ajustements mineurs, mais je ne pense pas que nous devrions le faire. La N-VA est un parti qui met le doigt sur la plaie. Si cela ne plaît pas à certaines communautés, tant pis.

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