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Bataille entre États: qui aura accès aux premiers vaccins contre le coronavirus ?

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Le besoin d’un vaccin contre le coronavirus est universel. Mais dans la réalité, c’est chacun pour soi : la compétition fait rage entre les nations pour sceller dès maintenant des accords avec les firmes pharmaceutiques pour se réserver les premières doses. Au risque de laisser les pays moins favorisés sur le carreau.

Six mois après avoir décrété l’urgence mondiale, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est sans appel: le monde doit se préparer à lutter pendant très longtemps. Autrement dit : jusqu’au vaccin, au moins.

Accords à la pelle

Le vaccin contre le coronavirus est vivement attendu par tous les États du monde touchés par la pandémie. Il est d’ailleurs considéré comme un « bien public mondial ». Mais le nombre de doses disponibles ne saura pas couvrir directement l’ensemble de la population mondiale. Faut-il dès lors réserver les vaccins aux pays où l’épidémie continue de flamber lors de sa mise sur le marché ? Ou favoriser les populations à risques, comme les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités ? Comme pour les commandes de masques et autre matériel médical au printemps, c’est plutôt du chacun pour soi.

Accord pour 60 millions de doses avec le Royaume-Uni, 100 millions de doses financées pour les États-Unis, 300 millions de doses réservées pour l’Union européenne… Le candidat-vaccin développé conjointement par la firme française Sanofi et le britannique GSK n’est pas encore sur le marché qu’il fait déjà le plein de contrats.

Sanofi anticipe de lancer son essai clinique de phase I/II en septembre, avant l’étude de phase III (la toute dernière étape avant une mise sur le marché) d’ici à la fin de l’année, pour une approbation qui pourrait avoir lieu au premier semestre 2021.

Qui sera le premier ?

La compétition fait déjà rage depuis plusieurs semaines, voire mois, et s’intensifie au fur et à mesure que les entreprises pharmaceutiques livrent les premiers résultats de leurs essais.

Le projet Sanofi-GSK a été sélectionné pour le programme américain « Opération Warp Speed » visant à assurer aux Américains l’accès à un vaccin anti-Covid le plus rapidement possible. Dans le détail, Sanofi et GSK vont recevoir jusqu’à 2,1 milliards de dollars des États-Unis contre la fourniture initiale de 100 millions de doses. Sanofi recevra la majorité du financement du gouvernement américain et précise que ce dernier dispose en outre d’une option pour la fourniture de 500 millions de doses supplémentaires à plus long terme.

L’Union européenne n’est pas en reste: elle a annoncé vendredi avoir sécurisé la réservation de 300 millions de doses de vaccins auprès de Sanofi et GSK pour 2021. Le montant de ce futur contrat sans obligation d’achat n’a pas été divulgué. Selon Bruxelles, « le contrat envisagé avec Sanofi fournirait une option à tous les États membres pour acheter le vaccin ». L’exécutif européen poursuit en outre « des discussions intensives » avec d’autres fabricants de vaccins.

Pas tous ses oeufs dans le même panier

Sanofi et GSK sont loin d’être les seuls à travailler sur un vaccin anti-coronavirus. Et il n’est pas dit qu’ils seront les premiers à obtenir sa mise sur le marché. Trois vaccins développés dans des pays occidentaux sont dans la dernière phase de leur essai clinique, sur l’homme : un de la société américaine Moderna, un mis au point par l’université britannique d’Oxford en partenariat avec le laboratoire AstraZeneca et un de l’alliance germano-américaine BioNTech/Pfizer. C’est pourquoi certains États diversifient leur portefeuille de soutiens pharmaceutiques.

Les États-Unis ont ainsi déjà dépensé plus de 6 milliards de dollars depuis mars pour financer des projets concurrents, chez des laboratoires établis comme Johnson & Johnson, Pfizer et AstraZeneca, et chez deux petites sociétés de biotechnologie, Novavax et Moderna. Le portefeuille de vaccins constitué dans le cadre du programme Operation Warp Speed augmente les chances de disposer d’au moins un vaccin sûr et efficace d’ici à la fin de l’année.

Le Japon a de son côté signé avec l’alliance germano-américaine Biontech/Pfizer pour s’assurer 120 millions de doses d’un vaccin potentiel.

Recherche de vaccin sur fond de rivalité politique

La course au vaccin fait aussi ressurgir de vieilles rivalités. L’immunologue américain Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des maladies infectieuses, a par exemple émis des doutes devant le Congrès américain sur la sécurité des vaccins actuellement développés par la Russie et la Chine.

La Russie a proclamé dès avril sa volonté d’être parmi les premiers pays, voire le tout premier, à créer un vaccin contre le virus. Des chercheurs ont toutefois exprimé leur préoccupation face à la rapidité de la mise au point des vaccins russes, en estimant que les certaines étapes pourraient être sautées afin d’accélérer le travail sous pression des autorités, qui ont comparé cette course au vaccin au lancement par l’URSS en 1957 du premier satellite artificiel, Spoutnik. Jusqu’ici, la Russie n’a pas publié d’étude détaillée des résultats de ses essais permettant d’établir l’efficacité des produits qu’elle dit avoir développés.

Plusieurs projets de vaccin ont affiché des résultats encourageants, parmi lesquels un chinois conçu conjointement par un institut de recherche militaire et le groupe pharmaceutique CanSino Biologics. L’armée chinoise en a autorisé fin juin l’utilisation dans ses rangs, alors même que les dernières phases de test n’avaient pas démarré.

Lire aussi : Coronavirus: crainte d’un manque de seringues pour le vaccin

Partager les risques et la part du gâteau… entre élites ?

Des opérations similaires se multiplient à travers le monde. Car dans la lutte contre la pandémie, les laboratoires sont amenés à accélérer les étapes de développement du vaccin, et à préparer leurs unités de production sans même connaître les résultats des essais cliniques, donc sans savoir si le vaccin verra effectivement le jour. Passer des accords avec des États leur permet de partager les risques, tandis qu’en échange, les gouvernements s’assurent d’un approvisionnement en vaccins si les recherches aboutissent.

Mais cette compétition fait polémique, car elle pose la question de l’accès des pays en voie de développement au vaccin: ils n’ont, eux, pas les moyens de financer des contrats si importants. Seront-ils dès lors servis en dernier, faute de moyens financiers ? Pour le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, ce serait inacceptable. Il a d’ailleurs adopté une résolution soulignant que tout vaccin contre le Covid-19 devait être considéré comme un « bien public mondial », a insisté sur la nécessité d’un « accès rapide, équitable et sans entrave à des médicaments, vaccins, diagnostics et thérapies sûrs, abordables, efficaces et de qualité ».

(avec AFP)

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