Avortement aux Etats-Unis: l’heure du test à la Cour suprême

Le Vif

La Cour suprême des Etats-Unis, profondément remaniée par Donald Trump, se réunit lundi pour examiner une loi qui depuis deux mois limite drastiquement le droit des Texanes à interrompre leur grossesse et représente le coup le plus dur porté au droit à l’avortement en près de 50 ans.

Reflet des immenses enjeux du dossier, des manifestants pro et anti-avortements ont commencé à se réunir au petit matin devant le temple du droit, qui compte six magistrats conservateurs sur neuf dont trois nommés par l’ex-président républicain.

« L’avortement est essentiel » contre « laissez leurs coeurs battre », chaque groupe se faisait face, armé de pancartes et bannières, sous l’oeil vigilant des forces de l’ordre.

L’influente juridiction doit entendre à partir de 10H00 (14H00 GMT) deux recours distincts contre une loi du Texas qui interdit d’avorter dès que les battements de coeur de l’embryon sont perceptibles, soit vers six semaines de grossesse, même en cas d’inceste ou de viol.

Ce seuil intervient bien plus tôt que la limite fixée par la Cour suprême elle-même. Après avoir reconnu en 1973 le droit des femmes à avorter, la haute Cour a précisé en 1992 qu’il s’appliquait tant que le foetus n’est pas viable hors de l’utérus, soit vers 22 semaines de grossesse.

Ces arrêts historiques, bien qu’ayant autorité sur tout le pays, ne passent toujours pas auprès d’une partie de la population – surtout à droite et dans les milieux religieux.

Pour satisfaire leurs électeurs, les élus locaux républicains adoptent donc régulièrement des lois qui bafouent ouvertement la jurisprudence de la haute cour. Mais jusqu’ici, les tribunaux ont toujours empêché leur mise en oeuvre.

« Délation »

Le Texas, véritable laboratoire des idées les plus conservatrices, a toutefois imaginé un dispositif inédit qui complique l’intervention de la justice fédérale.

Sa loi confie en effet « exclusivement » aux citoyens le soin de faire respecter cet interdit, en les encourageant à poursuivre au civil les personnes et organisations qui aident les femmes à avorter au-delà de six semaines.

En cas de victoire devant le juge, ces citoyens obtiendront 10.000 dollars de dédommagements, prévoit la loi. Ses détracteurs y voient une « prime à la délation ».

Saisie en urgence une première fois, la Cour suprême s’était abritée derrière ces « questions nouvelles de procédure » pour refuser, à une courte majorité, de bloquer l’entrée en vigueur de la loi le 1er septembre.

Son inaction, perçue comme le signe de l’influence des magistrats nommés par Donald Trump, avait été vivement critiquée à gauche, le président démocrate Joe Biden fustigeant une décision qui crée « le chaos » et « insulte l’Etat de droit ».

Depuis, la bataille judiciaire s’est intensifiée avec l’intervention du gouvernement fédéral et des décisions contradictoires d’un juge de première instance et d’une cour d’appel.

Le 22 octobre, la Cour suprême a finalement décidé de se jeter dans la mêlée et d’agir vite: elle a planifié une audience dix jours plus tard, une célérité qu’elle n’avait pas manifesté depuis son intervention pour attribuer la présidentielle contestée de 2000 à George W. Bush.

Allié improbable

Lundi, les neuf sages entendront les arguments des parties. Ils ne devraient pas aborder le droit à l’avortement mais seulement le mécanisme légal créé par le Texas.

Pour qu’elle ne perde pas de vue les énormes enjeux humains du dossier, la puissante organisation de Planning familial leur a transmis une compilation de témoignages recueillis dans ses cliniques texanes.

Elle cite notamment une fille de 12 ans enceinte, dont la mère n’a pas les moyens de voyager hors de l’Etat, qui lâche lors de la consultation: « Maman, c’était un accident, pourquoi veulent-ils que je le garde ? »

La Cour suprême pourrait rendre sa décision assez rapidement.

Même si les magistrats conservateurs sont majoritaires, les défenseurs du droit à l’avortement affichent un optimisme prudent car le mécanisme texan suscite des critiques même à droite.

Ils ont en effet reçu le soutien d’alliés improbables: dans un argumentaire transmis à la Cour, la Firearms Policy Coalition, qui défend le droit au port d’armes, a souligné que le mécanisme retenu par le Texas pourrait être adopté dans d’autres Etats pour s’attaquer à d’autres droits.

Quelle que soit l’issue de cette bataille, la guerre ne sera pas terminée: la Cour suprême doit examiner le 1er décembre une loi du Mississippi qui interdit d’avorter après 15 semaines de grossesse. Pour les observateurs, elle pourrait profiter de ce texte de facture plus classique pour commencer à détricoter sa jurisprudence, en revenant a minima sur le critère de « viabilité du foetus ».

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