Gérald Papy

« Aux yeux de l’autocrate qu’est devenu Erdogan, la fin justifie toujours les moyens. Peu importe les conséquences »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le bras de fer engagé par Erdogan avec les Pays-Bas et l’Europe n’est rien d’autre qu’une stratégie déjà maintes et maintes fois utilisée par le leader turc. Celle de la désignation de boucs émissaires afin de ressouder autour de sa personne les divisions au sein de son pays.

Aucun dirigeant européen un peu sérieux ne devrait être surpris par le bras de fer que Recep Tayyip Erdogan a engagé avec les Pays-Bas. Comme à l’accoutumée, le président en difficulté à Ankara se fabrique un bouc émissaire pour ressouder autour de sa personne les divisions de ses obligés islamistes et nationalistes en vue du référendum du 16 avril prochain sur l’extension des pouvoirs présidentiels, dont l’issue peut sembler lui échapper.

En 2015, son parti au pouvoir avait perdu la majorité absolue lors du scrutin législatif de juin sous la montée du parti prokurde HDP. Il n’avait pas hésité à relancer le conflit latent avec les Kurdes à l’été pour reconquérir une majorité aux élections anticipées de… novembre. Aux yeux de l’autocrate qu’est devenu M. Erdogan, la fin justifie toujours les moyens. Peu importe les conséquences.

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Critiqué par les autres partis et jusqu’à l’intérieur de sa formation politique où certains estiment qu’il va décidément trop loin, Recep Tayyip Erdogan a trouvé cette fois-ci, dans l’Européen, l’ennemi présumé arrogant en mesure d’entretenir la fibre nationaliste de ses partisans et bien au-delà, espère- t-il. C’est donc un piège que le chef d’Etat, jadis animé de réelles intentions démocratiques au point de réduire l’influence de l’armée sur les institutions, a tendu à l’Union européenne. Interdisez sur votre sol les meetings en faveur du  » oui  » au référendum et vous apparaîtrez comme des piètres défenseurs de la liberté d’expression tout en vous exposant à une crise avec le pays auquel vous avez sous-traité la gestion des réfugiés syriens de la filière des Balkans. Ne les interdisez pas et vous contribuerez potentiellement à installer à vos portes une  » démocrature  » avec laquelle il vous sera encore plus délicat de traiter dans le futur. Preuve de ce guet-apens délibéré, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que M. Erdogan franchisse le point Godwin dans ses  » échanges diplomatiques  » avec les Européens et renvoie de façon éhontée Allemands et Néerlandais à l’histoire du nazisme.

Toutes proportions gardées, un dictateur en puissance tel que Recep Tayyip Erdogan met à l’épreuve nos démocraties comme l’Etat islamique en teste les fondements avec l’exportation du terrorisme. La protection de la liberté d’expression requiert une politique cohérente. Pourquoi interdire le meeting d’un ministre turc, fût-il dépositaire d’un message auquel on ne souscrit pas, et non la rencontre à visée évidemment politique d’un président rwandais avec la diaspora de son pays ou la réunion dans un château du Brabant wallon de l’opposition congolaise ? L’exercice de cette liberté devrait-elle être soumis désormais à l’adhésion à des opinions partagées ? Dès lors, faute de textes de droit international qui en régissent les pratiques, il n’est pas absurde de laisser l’opportunité de ces activités politiques étrangères à l’appréciation des autorités communales en fonction de la menace objective sur l’ordre public qu’elles pourraient engendrer.

Bien que M. Erdogan tente de nous en détourner, tout est finalement une question de juste mesure. Il en va même du nationalisme turc que d’aucuns voient comme un rempart à l’extrémisme islamiste pour les jeunes de Turquie alors que tant de leurs coreligionnaires du Maghreb y ont cédé. Mesure et clarté. Une fois l’accès de fièvre actuel passé, il ne serait pas superflu d’adopter enfin, à l’égard de la Turquie, un discours de vérité dépourvu d’ambiguïté. Et de lui signifier que pour le bien de la pérennité du projet européen miné dans ses fondements et soumis à trop de turbulences liées à son extension, une adhésion de la Turquie n’est désormais plus envisageable ; ce qui n’empêcherait pas, au contraire, la mise en place d’un partenariat privilégié.

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