Fin du droit à l’IVG: l’Amérique se rue sur la pilule du lendemain

Le Vif

Le jour où la Cour suprême américaine a abrogé le droit constitutionnel à l’avortement, Julie Crowe, à Nashville dans le Tennessee, s’est immédiatement rendue en ligne pour commander dix pilules contraceptives d’urgence.

A 52 ans, elle n’est pas la seule à avoir ainsi réagi à cette volte-face historique, le 24 juin. Afin d’éviter d’être pris de court et par crainte de futures restrictions dans leurs Etats respectifs, de nombreux Américains se sont empressés d’acquérir la pilule du lendemain, parfois par dizaines.

Dans les 24 heures suivant la décision, la plateforme de vente de médicaments en ligne Wisp a connu un pic de ventes historique de 3.000% sur ses produits contraceptifs d’urgence. Cette tendance à la hausse a perduré pendant plusieurs jours, battant record après record, avant de se stabiliser.

Les professionnels de santé déconseillent pourtant d’acheter la pilule du lendemain — un contraceptif à prise unique — en multiples exemplaires. Cette mesure, jugent-ils, est au mieux inutile, et au pire, contre-productive.

Julie Crowe était, elle, curieuse de voir si son Etat du Tennessee, très conservateur, allait « bloquer la livraison » des pilules. Mais elle voulait surtout pouvoir aider quiconque autour d’elle souhaiterait reprendre « le contrôle sur sa vie. »

« C’est complètement hallucinant de voir notre pays revenir en arrière en termes de droits civiques et d’autonomie de son corps, » a-t-elle raconté à l’AFP.

La pilule du lendemain est différente d’autres produits qui permettent de réaliser une IVG dite médicamenteuse, bien plus tard au cours de la grossesse. Elle est prise en une dose dans les cinq jours suivant un rapport sexuel non protégé. Plus elle est prise rapidement, plus elle est efficace.

Suite à la décision de la Cour suprême, les appels de citoyens à faire le plein de pilules du lendemain ont contraint le géant de l’e-commerce Amazon et la première chaîne pharmaceutique américaine CVS à plafonner brièvement les achats.

Stocks limités

Si les professionnels de santé reproductive ainsi que le planning familial américain recommandent d’avoir une pilule dans son armoire à pharmacie « au cas où », ils déconseillent en revanche de constituer une réserve chez soi.

L’idée de ne pas pouvoir mettre fin à une grossesse non souhaitée peut provoquer chez certaines personnes un « sentiment très viscéral d’avoir son corps utilisé contre son gré, » a dit à l’AFP Hayley McMahon, chercheuse en santé reproductive aux Etats-Unis. 

Mais, face à des quantités limitées dans chaque pharmacie, « personne ne veut vider le stock d’un commerce alors qu’une de ces pilules aurait pu dépanner le client suivant » qui n’aurait pas le luxe d’attendre, explique-t-elle.

Hayley McMahon estime que cette ruée est favorisée par la désinformation en ligne et les confusions entre pilule du lendemain et pilule abortive, permettant de pratiquer une IVG.

Certains Etats ont interdit ces dernières pilules dans la foulée de la décision de la Cour suprême. Mais les contraceptifs d’urgence ne sont touchés par aucune interdiction aux Etats-Unis.

Savannah Norvell, une nounou de Richmond (Virginie, est), a, elle, commandé six pilules du lendemain sur internet afin de les redistribuer aux personnes dans le besoin –- elle vit dans un quartier populaire à forte population étudiante.

L’accès à la santé reproductive est un combat très personnel pour la jeune femme, qui a eu recours à l’avortement après avoir été violée à 18 ans. Elle « avait honte » et se sentait seule. Elle ne savait pas où se procurer une pilule d’urgence, avant qu’il ne soit trop tard.

Les personnes qui, comme elle, constituent ces réserves sont bien intentionnées mais mal avisées, selon les médecins.

« Du moment que les contraceptifs d’urgence sont disponibles dans les commerces, il n’est pas bénéfique que des citoyens envoient ces pilules par courrier privé à d’autres personnes dans différents Etats, » explique Caroline Moreau, spécialiste en santé reproductive au sein de l’université Johns Hopkins.

« Nul besoin de réinventer le système, » selon la spécialiste Hayley McMahon, qui salue le travail d’organismes locaux visant à maintenir ces produits accessibles facilement.

Un collectif d’étudiants de l’université de Boston a ainsi récemment installé un distributeur de pilules du lendemain sur son campus, et espère pouvoir étendre l’initiative ailleurs.

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