lula
Une victoire mâtinée de sérieux doutes sur sa marge de manœuvre dans la conduite du pays pour le nouveau président du Brésil. © AFP via Getty Images

Brésil: pourquoi malgré sa victoire, Lula reste menacé par Bolsonaro

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le nouveau président devra faire valoir tous ses talents de négociateur pour forger des majorités après sa victoire étriquée et la résistance vigoureuse du bolsonarisme.

Un peu plus de deux millions de votes d’écart sur cent vingt-quatre millions de votants, 50,9% contre 49,1%: le 30 octobre, Lula est redevenu le président du Brésil avec la plus faible marge jamais enregistrée lors d’une élection suprême dans le pays. Et son concurrent, Jair Bolsonaro, est le premier président sortant à manquer sa réélection. L’étroite marge de manœuvre du nouveau chef de l’Etat, privé de majorité au Parlement, et l’enracinement du bolsonarisme promettent un mandat agité. Décryptage avec Frédéric Louault, codirecteur du Centre d’étude des Amériques (AmericaS) de l’ULB.

L’étroitesse de la victoire de Lula, l’absence de majorité au Congrès et l’accession au poste de gouverneur dans des Etats importants de proches de Bolsonaro compliqueront-elles la conduite du mandat de Lula?

Etre élu avec moins de 51% des voix réduit sa légitimité électorale, même s’il a obtenu la majorité. S’ajoute à ce constat l’inquiétude quant à la possibilité que Jair Bolsonaro se saisisse de cette victoire étriquée pour contester le résultat. C’est surtout au regard du rapport entre l’exécutif et le législatif que les conciliations que Lula devra mener seront importantes. Il est minoritaire au Congrès. Le Parti des travailleurs ne contrôle que quatre-vingts sièges sur les 513 de la Chambre des députés, et l’alliance qui l’a porté au pouvoir ne regroupe que 120 députés. Pour construire une majorité, il devra se déporter vers la droite et le centre de l’échiquier politique. Même si Lula a une solide expérience de la négociation, cette situation risque de créer une certaine frustration au sein de la gauche parce que le Lula de 2022 a les mains encore plus liées que le Lula de 2002, qui n’avait déjà pas réussi à mettre en œuvre un programme très ambitieux en matière de réformes politiques. Il ne faut donc pas s’attendre à une transformation profonde du Brésil. Tout ce qu’il pourra faire, c’est mettre un terme au rouleau compresseur bolsonariste à l’échelon de l’exécutif et normaliser la politique brésilienne pour reconstruire un lien de confiance avec les administrés, et pour relancer la machine économique. Par rapport aux gouverneurs, les trois principaux Etats du Brésil, São Paulo, Rio de Janeiro et Minas Gerais, sont effectivement contrôlés par des proches de Bolsonaro. Mais deux des trois gouverneurs ont annoncé qu’ils ne s’engageraient pas dans une opposition de principe au gouvernement de Lula.

Le Lula de 2022 a les mains encore plus liées que le Lula de 2002.

Est-ce sur les dossiers économiques et sociaux qu’il aura le plus de difficultés à trouver une majorité?

La politique économique du nouveau président n’est pas encore tracée. Stratégiquement, Lula n’a pas voulu s’engager trop vite, justement pour essayer de bien penser les rapports de force entre les différents secteurs et pour limiter les contradictions du grand écart de Bolsonaro, qui a mené une politique extrêmement libérale de privatisation et de déstructuration de l’Etat tout en adoptant à la fin de son mandat une approche plus axée sur le développement et des programmes d’assistance et de redistribution. Lula va remettre l’Etat au cœur du projet économique. Mais on ignore comment il articulera cette aspiration avec la défense des secteurs les plus dynamiques de l’économie, auxquels il devra donner des gages. Forger cette posture intermédiaire qui lui permettra d’avoir l’appui du Congrès sera plus compliqué sur ces questions économiques. Pour le reste, Lula ne pourra pas engager, et ne cherchera peut-être même pas à engager, des réformes de fond polarisant la société. Sur les questions de politiques éducative et environnementale, il va se heurter à une opposition très virulente au Congrès. En rapport avec ces thèmes, deux anciens membres du gouvernement de Jair Bolsonaro, Damares Alves, l’ex-ministre de la Famille, et Ricardo Salles, l’ex- ministre de l’Environnement, ont été élus assez facilement au Congrès et s’emploieront à bâtir des blocs pour empêcher Lula de revenir sur les déstructurations engagées sous Bolsonaro.

A l’image du trumpisme, le bolsonarisme est-il durablement ancré dans la société brésilienne?

Oui. Le score de l’élection est très serré comme il l’a été aux Etats-Unis lors de la présidentielle de 2020. Et l’ancrage du bolsonarisme dans les Etats les plus puissants confirme ce constat. Par-delà la figure de Jair Bolsonaro et par- delà son échec électoral, le bolsonarisme en tant que projet politique est entré dans les institutions brésiliennes pour durer.

Le «retour du Brésil sur la scène internationale» et la réaction positive de nombreux dirigeants étrangers à l’annonce de son élection peuvent-ils servir ou desservir Lula au plan intérieur?

Cela le servira. Lula est encore fortement apprécié par les dirigeants qu’il a côtoyés par le passé mais aussi par de nouveaux, comme le président du Chili, Gabriel Boric, ou son homologue de Colombie, Gustavo Petro. Il pourra réconcilier le Brésil avec l’Union européenne sans se mettre à dos les Etats-Unis ou la Chine. En revalorisant l’image du pays, il servira aussi les intérêts de certains secteurs économiques qui en tireront profit. Sur les questions environnementales, importantes dans les négociations internationales, les partenaires du Brésil considèrent à juste titre qu’il est un partenaire incontournable pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique. Mais sur ce point, Lula s’attachera également à faire respecter la souveraineté du Brésil sur la gestion de son territoire amazonien. Il posera certaines limites. On peut enfin anticiper une pierre d’achoppement en raison de la position adoptée par Lula pendant la campagne électorale sur la guerre en Ukraine. Il a renvoyé dos à dos Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. Il a aussi affirmé que les Etats-Unis et l’Otan avaient une responsabilité dans le déclenchement de la guerre. Il se présente donc comme un acteur prêt à contribuer à des négociations de paix. Mais il n’endossera pas de manière systématique le point de vue des Occidentaux.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire