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Affaire Cassez: enquête sur trois hommes et un mystère

Le Vif

Deux mois après la libération de la Française, il reste difficile de comprendre pourquoi elle s’est retrouvée dans un tel cauchemar. Trois protagonistes négligés -son ex-compagnon, son frère et l’ancien associé de ce dernier- détiennent-ils la clé de l’énigme?

« Florence! Avez-vous été innocentée? » Lorsque, le 24 janvier, la jeune femme, tout à la joie de sa libération survenue la veille à Mexico, débarque dans la salle de presse de l’aéroport de Roissy, cette question la cueille à froid. Un peu éberluée, Florence Cassez répond: « Oui, bien sûr… », avant de se tourner, désabusée, vers son avocat.
Libérée pour « vices de procédure » après sept années passées dans les geôles mexicaines à clamer son innocence, cette rescapée n’en revient pas que, embrayant sur ses « tortionnaires », les journalistes français raniment à leur tour la flamme de la suspicion.

Sur le plan juridique, celle-ci ne repose sur aucun fondement, puisque la Cour suprême mexicaine a réduit à néant les bases de l’accusation avant d’annuler sa condamnation à soixante ans de prison pour « enlèvements, port d’armes et crime organisé ». Et pourtant, Florence Cassez, quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse, n’y peut rien: le doute subsiste, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique.
Pourquoi? Parce que cette affaire, qui mêle mafia et politique, police et corruption, crime et diplomatie, est toujours un mystère. Une énigme dont les véritables protagonistes sont, volontairement ou non, restés dans l’ombre. D’abord Israël Vallarta, l’ex-compagnon présenté par les autorités et les médias comme un grand criminel et qui croupit depuis sept ans en prison. Toujours pas jugé.

Ensuite, le frère -Sébastien Cassez-, rentré en France dès 2007, désormais entrepreneur et pompier volontaire dans le Midi, à l’origine de l’installation de sa soeur au Mexique. Enfin et surtout, Eduardo Margolis, l’ancien associé de ce dernier, homme d’influence à la réputation sulfureuse que tout désigne comme le pivot de l’affaire. Quoi qu’il prétende, si quelqu’un détient les clefs du mystère, c’est bien lui.

Flash-back. Nous sommes en 2004 et Florence Cassez se trouve depuis un an à Mexico quand son frère, installé sur place depuis huit ans, lui présente Israel Vallarta. « C’est quelqu’un en qui tu peux avoir confiance », lui dit-il. Sans prévoir que ce sera le début d’une histoire que leur entourage verra d’un mauvais oeil. « Il était agressif, possessif », souffle un ami de Florence Cassez. Elle ne le contredira pas, mais évoque aussi les moments simples passés à deux.

La confession de Vallarta a été obtenue sous la torture

Toutes ces années l’ont fait douter, mais elle le répète: elle ne sait pas. Elle ne sait pas si elle n’a pas vu ou s’il n’y avait rien à voir. Elle ne sait pas si l’homme avec qui elle est sortie durant quelques mois était ou non un kidnappeur. « Il était revendeur de voitures. Au Mexique, c’est forcément louche », affirment d’anciens collègues et d’ex-flics. « Il venait d’Itzapalapa », ajoutent d’autres, comme si avoir vécu dans ce quartier malfamé était une preuve de culpabilité.

Pour ces Mexicains bien comme il faut, Israël n’est qu’un « naco », autant dire un beauf. Pour sa famille, en revanche, c’est le petit dernier, celui dont chacun parle avec tendresse, fou amoureux de sa « novia » (fiancée) française. Dans le hameau de Topilejo, au sud de Mexico, où il loue une maison, les voisins aussi l’adorent: « Il nous laissait les clefs. On faisait des fêtes mémorables. » Lorsqu’en décembre 2005 Florence Cassez et lui sont arrêtés, puis accusés d’enlèvements, ces proches sont-ils tombés des nues avant de devenir à leur tour victimes d’une manipulation qui les dépasse? Ou étaient-ils complices, comme le prétend la police?

Toujours est-il que cinq hommes de la famille Vallarta sont emprisonnés et torturés dans les années qui suivent. Tous accusés de kidnapping et d’appartenir à la « bande du Zodiaque », présentée par les autorités mexicaines comme un « gang international ». Concernant Vallarta, une seule chose est sûre: son dossier judiciaire est, sinon aussi vide, du moins aussi vicié que celui de Florence Cassez. Son arrestation en présence d’otages, présentée comme du direct sur les principales chaînes de télévision du pays, le 9 décembre 2005, est un montage aujourd’hui reconnu par les autorités.

La véritable arrestation a eu lieu la veille, sur la route. Il n’est donc pas plus que la Française appréhendé en flagrant délit. Les victimes prétendument libérées ce 9 décembre l’accusent d’être leur ravisseur, mais leurs témoignages se contredisent. Restent les aveux d’Israel Vallarta, qui retrace par le menu l’histoire de la bande du Zodiaque, ses meurtres, ses kidnappings, ses rouages, et bien sûr ses noms de code: le Sagittaire, le Bélier, le Taureau… Mais une expertise médicale atteste que cette confession a été faite sous la torture. Le médecin est précis: « Hématomes, marques de brûlure sur les parties génitales… »

Lorsque en 2012 nous parvenons, pour la première fois, à interviewer l’intéressé -dix minutes par téléphone depuis sa prison-, Vallarta revient sur ce moment : « Quand ils m’arrêtent le 8 décembre 2005, ils m’emmènent dans un sous-sol de la police. Là, alors qu’ils me maintiennent nu et qu’ils me frappent, ils m’enregistrent et m’obligent à dire que j’ai kidnappé certaines personnes. Ils me donnent des noms que je dois répéter. Ils me font signer des documents, des feuilles blanches… »

La voix est claire, ferme. « Je n’ai jamais réalisé d’enlèvement, je n’ai jamais touché un centime de qui que ce soit, tout ça est un tissu de mensonges, clame-t-il. Il s’agit de la vengeance sourde et stupide de l’associé. » Les dix minutes d’appel autorisées expirent. « Je dois raccrocher, je vous écrirai. » Israel Vallarta n’est plus jamais sorti de son silence depuis.

Mais qui est donc ce fameux « associé » qu’il met en cause? Eduardo Margolis. Celui-là même qui faisait des affaires avec Sébastien Cassez, et que ce dernier accuse lui aussi, dès le lendemain de l’arrestation de sa soeur, d’avoir monté, en cheville avec la police, cette machination.

« Les policiers m’ont dit qu’il s’agissait d’une vengeance »

A la tête d’une dizaine d’entreprises, l’homme a en effet ses entrées auprès des plus hauts fonctionnaires. Sébastien Cassez commence à travailler avec lui en 2002 quand l’un de ses clients, l’entreprise israélienne Radiancy, décide d’ouvrir une filiale au Mexique. « Ils cherchaient un distributeur: ils ont trouvé Margolis, explique le frère de Florence Cassez. Comme je connaissais le produit -des appareils laser de traitement de la peau-, ils m’ont proposé de devenir directeur et associé. »

Le Français décrit une ambiance bizarre. Surtout, il se souvient de sacs de billets qui circulaient, et explique que les paiements se faisaient parfois en liquide, sous l’escorte d’hommes armés. Illégal? « Bien sûr! » affirme Cassez, qui spécifie qu’il s’agissait pour ces clients de contourner les impôts ou de blanchir de l’argent sale.

Pendant deux ans, les affaires marchent mais, en 2004, les relations se dégradent entre les deux associés. Accusations de vol, intimidations. Un procès s’ouvre. Le climat devient délétère: un ancien collègue de Sébastien Cassez relate les menaces proférées par Margolis, des hommes qui prennent des photos, qui les suivent. Vallarta assure être alors intervenu: « Je suis allé le voir [Margolis] avec un ami avocat, et on lui a dit que Sébastien n’était pas tout seul; la dispute a dégénéré, il y a eu des coups. »

Quelques mois plus tard, le 8 décembre 2005, Israel Vallarta et Florence Cassez sont arrêtés. « Les policiers m’ont dit qu’il s’agissait d’une vengeance », explique le premier. « Margolis va te niquer! » aurait même ajouté un policier s’adressant à Florence Cassez. Le 9 décembre, jour du montage de l’arrestation, un registre d’entrées et de sorties atteste de la présence d’Eduardo Margolis dans les locaux de la police.

Lorsque nous l’avons rencontré, en 2009, à l’étage de sa boutique de voitures blindées située dans le quartier huppé de Polanco, ce dernier préférait en rire: « Mon plus gros client, c’est l’Etat: le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice. Je vais les voir tous les deux mois. Ce jour-là, j’y étais pour ça. » L’homme évoque à tout bout de champ ses liens avec les chefs de la police, autres protagonistes de l’affaire Cassez.

En particulier Genaro Garcia Luna, ministre de la Sécurité de Felipe Calderon, celui que l’on surnomme au Mexique « le Scénariste » pour son appétence à transformer les opérations policières en show médiatique. C’est lui que Florence Cassez, par téléphone, depuis sa prison, traite un jour de menteur en direct à la télévision. Ainsi que Luis Cardenas Palomino, son bras droit -et organisateur du montage-, également soupçonné de liens avec le crime organisé.

Margolis à nouveau accusé de vol et de menaces

Une cigarette à la main, le téléphone dans l’autre, faussement distrait par les petits mots que lui amène sa secrétaire, Eduardo Margolis explique s’être impliqué dans la lutte contre les kidnappings à la suite de l’enlèvement de sa femme. « Ça me coûte de l’argent, mais quand quelqu’un arrive en te disant que sa fille a été enlevée et violée, tu restes assis? » Il dit être devenu, dans la communauté juive de Mexico, celui qui aide les familles à retrouver leurs proches et à mettre la main sur les gangsters.

A propos de l’affaire Cassez, il se dit très bien informé: « Les Vallarta sont des kidnappeurs, ils ont enlevé cinq personnes de ma communauté. J’ai les preuves! » Pour lui, la police a passé un marché avec Israel Vallarta: « Ses aveux contre la liberté de Florence. Mais ils n’ont pas respecté leur deal parce que quelqu’un a eu l’idée de faire ce show! Un chef de bande qui fraie avec une étrangère, c’était tellement tentant. Moi, je pensais qu’ils allaient la relâcher. » D’un rire sec, Eduardo Margolis balaie la question de la vengeance: « Si c’était moi, Sébastien serait en prison et je lui aurais demandé de l’argent. Une vengeance sans argent n’a pas d’intérêt. »

En 2012, à la demande de la famille Cassez, la commission pénitentiaire de l’Eglise catholique mexicaine mène une enquête sur l’affaire. Son responsable, Pedro Arellano, parle à demi-mot et ne montre jamais de preuve -sécurité des témoins oblige, explique-t-il-, mais il pointe lui aussi Eduardo Margolis comme l’instigateur de l’affaire. Et il va plus loin dans l’accusation en affirmant que les trois personnes prétendument kidnappées par Vallarta et Cassez connaissaient Margolis. Et que c’est donc à sa demande qu’elles auraient accusé le couple.

Aujourd’hui, loin de toute cette agitation, Florence Cassez n’a plus qu’une envie: se reconstruire, et retrouver en France une vie normale. Au Mexique, Vallarta attend l’ouverture prochaine de son procès. Et Margolis, quant à lui, était la semaine dernière au coeur d’une nouvelle affaire: accusé par un collaborateur de vol et de menaces. Le remake du même mauvais polar ou un nouveau cauchemar? Au Mexique, tout est possible.

Léonore Mahieux

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