Manifestation contre le régime d'Omar el-Béchir au Soudan. © Belga

« A l’avenir, la flamme de la liberté et de la démocratie brillera surtout en Afrique »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Nous, Européens, ne sommes pas conscients de la valeur de notre liberté politique », écrit Jonathan Holslag, professeur en relations internationales à la VUB.

Ces derniers temps, la flamme de la liberté s’éteint en Occident et brille en Afrique. Alors que les gens d’ici se plaignent que notre démocratie paralyse et ralentit et qu’il est financièrement trop difficile pour eux de s’inquiéter des valeurs politiques, partout en Afrique des jeunes montent au créneau. Des jeunes qui ne possèdent pas une fraction de nos richesses et de nos droits. Des jeunes pour qui la vie est placée sous le signe d’un but supérieur et qui sont prêts à lui donner leur jeune vie inachevée.

Il y a peu, j’écoutais, le souffle coupé, l’histoire de Luc Nkulula sur Arte, un militant congolais de quatre ans de moins que moi, qui luttait pour des élections libres dans son pays. Au cours de l’été 2018, il est mort dans un incendie suspect. « Oui, nous avons peur », disait-il. Mais il y a des choses auxquelles nous ne pouvons pas renoncer, telles que notre liberté, nos droits, nos acquis et notre avenir. Aujourd’hui, il semble que les jeunes d’ici n’aient plus le droit de rêver, comme si notre environnement ne nous donnait pas l’espace pour poursuivre nos rêves. Donc, oui, nous avons peur. Mais nous taire parce que nous avons peur ? Jamais. »

Ailleurs aussi, des jeunes descendent dans la rue. En Guinée, pour protester contre l’absence de résultats des élections locales, au Soudan contre le régime d’Omar el-Béchir, au Togo pour des réformes constitutionnelles et une restriction du mandat de l’actuel président, au Zimbabwe contre la victoire électorale de l’homme de paille de Robert Mugabe, etc.. Il y a une lutte pour la liberté politique et la démocratie en Afrique, mais aussi une lutte contre les dirigeants corrompus qui, au cours des dernières années de croissance, ont surtout attiré les profits vers leur clan et ont laissé des milliards de dettes à la population.

Les rêveurs et les combattants comme Luc Nkulula nous confrontent, nous Européens, à une réalité impérieuse. Que souvent nous ne sommes pas à moitié conscients de la valeur de notre liberté politique. Que la destruction de la démocratie et de la liberté d’expression vise généralement à maintenir l’exploitation et à priver les citoyens de leur prospérité et de leur dignité. Et que s’il y a des raisons réelles de restreindre les libertés pour des raisons de sécurité nationale ou d’intérêt général, tôt ou tard l’intérêt général sera réduit à l’intérêt de la minorité au pouvoir. La disparition de la liberté signifie la montée de l’exploitation et de l’oppression. Nous n’en sommes souvent conscients que lorsqu’il est trop tard.

Prenons l’exemple de la Hongrie, où Viktor Orban restreint les libertés – officiellement pour préserver l’unité nationale et protéger le pays contre les étrangers, mais grâce à son pouvoir, comme l’a rapporté l’Office européen de lutte antifraude, il offre des milliards d’euros de fonds publics et autres avantages à ses proches. Et puis il pérore que ces critiques ne sont qu’une campagne de dénigrement contre la Hongrie. Ses compatriotes le savent bien. Ils votent avec leurs pieds. Depuis l’arrivée d’Orban au pouvoir, 211 000 citoyens, pour la plupart des jeunes, sont partis. Ainsi, la Hongrie semble plus submergée par un raz-de-marée d’émigrants que par un tsunami d’immigrants.

La migration est un luxe que la plupart des citoyens africains ne connaissent pas. La possibilité de migrer se limite souvent au quartier voisin. Avec 2 dollars par jour, on ne va guère plus loin. Des centaines de millions d’Africains sont ainsi enfermés dans des États autoritaires et mal gouvernés. Ils n’ont que deux choix : subir la dictature et ses épreuves, ou la combattre. Il n’est donc pas inconcevable qu’à l’avenir la flamme de la liberté politique et de la démocratie brille surtout en Afrique.

Et non, comme les lecteurs sceptiques le remarqueront, il n’est pas vrai que la liberté et la démocratie sont une garantie de progrès – il suffit de regarder une démocratie dégénérée comme la nôtre. Et pourtant. Machiavel l’a écrit : si un grand nombre de personnes respectent leurs droits et leurs règles, il y aura plus de progrès que si un seul homme détermine les règles. Et que si la loi est piétinée, il y a plus de risques d’abus et de violence de la part de l’autocrate que de la part des masses, parce que ce sont surtout les masses qui subissent les désavantages et ont donc davantage intérêt au redressement.

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