Gérald Papy

A Bruxelles, on n’a pas le même sens qu’à Madrid de l’urgence à parer à la montée de l’extrême droite

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Qu’un grand pays européen comme l’Espagne en soit encore réduit à dépendre d’un gouvernement précaire au terme de quatre scrutins législatifs en quatre ans et qu’il rompe avec sa tradition de rejet, depuis la fin de la dictature de Franco en 1975, d’une représentation parlementaire d’extrême droite illustre, s’il le fallait encore, le malaise dans le fonctionnement de la démocratie en Europe. On en connaît les symptômes : essoufflement des partis de la droite et de la gauche traditionnelles, progression concomitante des formations extrémistes, diversification de l’offre politique au centre, difficulté accrue à former des coalitions en raison de l’émiettement des votes…

Le verdict initial de l’élection espagnole a résonné aux yeux de beaucoup comme un avertissement aux responsables politiques belges. Un recours aux urnes, imposé par l’éventuel échec du projet d’alliance arc-en-ciel qui a la préférence de l’informateur Paul Magnette et par l’impossibilité idéologique d’une convergence entre la N-V.A et le PS, ne favoriserait pas l’éclosion d’une solution et est donc à proscrire. L’impuissance des partis de gouvernement à trouver des réponses aux préoccupations des citoyens et a fortiori à former une équipe solide pour y parvenir est en effet du pain bénit pour les formations de la contestation permanente, confortablement installées dans leur position de contre-pouvoir stérile. Ne disposant d’aucun élu il y a encore un an, l’extrême droite espagnole de Vox a bénéficié à plein de cette paralysie et a engrangé 52 députés.

Son succès résulte cependant aussi de la nouvelle crispation observée en octobre dernier en Catalogne après la condamnation par la justice des dirigeants indépendantistes, les protestations qui s’en sont suivies et l’émergence d’une violence inédite. Espagne et Belgique partagent certes des poussées autonomistes d’une partie de leur territoire mais leurs contextes sont diamétralement différents. Dans la péninsule, l’extrême droite prospère en opposition au séparatisme ; chez nous, elle s’épanouit au gré de sa progression. La Catalogne n’est qu’une petite quoique prospère composante de l’Espagne encore très jacobine ; la Flandre a une position dominante dans un Etat largement fédéralisé.

Auteur de L’Hégémonie contestée (Odile Jacob), le géopolitologue Bertrand Badie explique que  » le paradoxe de la mondialisation est qu’elle donne au local une potentialité énorme « . Tel est le destin contemporain de l’Etat-nation, tiraillé entre l’approfondissement des décisions supranationales et l’aspiration à plus de démocratie participative de proximité. Théoriquement, forte de son fédéralisme éprouvé, la Belgique est mieux armée que l’Espagne pour s’en accommoder. Pratiquement, alors que son homologue Pedro Sanchez a réussi à convaincre la gauche radicale de Podemos de sceller un accord de gouvernement auquel devront se rallier d’autres formations, Paul Magnette est confronté à un défi d’une ampleur bien plus grande. Car à Bruxelles ou à Anvers, on n’a ostensiblement pas le même sens qu’à Madrid de l’urgence politique à parer à la montée de l’extrême droite.

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