Le G20 a validé un impôt minimum de 15% sur le profit des multinationales. Pour 52% des Belges sondés par le CNCD, le taux retenu n'est pas assez élevé. © belga image

72% des Belges veulent taxer les riches (info Le Vif)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les Belges veulent (toujours) une taxe sur les grands patrimoines. Ils adhèrent aux mesures européennes pour le climat. Ils sont divisés sur l’asile et assez solidaires, selon leur niveau de richesse, envers les pays du Sud. Le Vif présente, en exclusivité, le baromètre 2021 du CNCD-11.11.11 et le décrypte avec le directeur du Crisp.

En plein pendant la COP26! Il tombe vraiment à pic, le Baromètre de la solidarité internationale du CNCD. Le bon millier de Belges interrogés par Ipsos, en collaboration avec Le Vif et Knack, y donnent leur opinion sur un grand nombre de thèmes liés aux enjeux climatiques, que ce soit les mesures pour réduire les émissions de carbone et préserver l’environnement, la fiscalité internationale, le soutien aux pays en développement ou la question migratoire.

Il en ressort que les Belges plébiscitent la justice fiscale, surtout lorsque cela ne concerne pas directement leur portefeuille. Ils sont plutôt à fond pour la transition écologique, notamment grâce aux mesures du Green Deal européen. Ils manifestent une relative solidarité envers les pays en développement, face à la crise du coronavirus, et ne sont pas opposés à une annulation de leur dette mais uniquement sous conditions. C’est surtout sur la question de l’asile et des migrations que les avis sont très partagés, en particulier si l’on regarde de part et d’autre de la frontière linguistique. Outre les commentaires d’Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD (qui rassemble nonante ONG), nous avons sollicité l’analyse politique de Jean Faniel, le directeur du Crisp, le Centre de recherche et d’information sociopolitiques.

Les Belges plébiscitent la justice fiscale, surtout lorsque cela ne concerne pas directement leur portefeuille.

Taxer les plus riches? « Oui » franc et massif

En matière de fiscalité, ce n’est pas une surprise, une constante commence à interpeller: les Belges sont majoritairement favorables à une plus grande imposition des gros patrimoines. Selon ce baromètre 2021, 72,5% se disent en faveur d’un impôt européen sur les grands patrimoines pour financer le plan de relance Next Generation de l’UE. Les Flamands le sollicitent même davantage (75%) que les francophones (69%). Près de 65% des sondés sont aussi pour un impôt corona sur les patrimoines de plus d’un million d’euros. Les résultats d’enquêtes d’opinion précédentes ( Millionnaires for Humanity en juin, CNCD en 2019, Knack – VTM en 2014) vont dans le même sens: selon les questions posées, ce sont entre 64% et 85% des Belges qui veulent taxer davantage les plus riches.

« L’adhésion à ce type de mesure fiscale est, une fois encore, très marquée, un peu plus même côté Flandre, constate Jean Faniel. Quand on en arrive à un tel degré et une telle permanence d’adhésion au fil des sondages, il devient interpellant de voir que le politique ne bouge pas là-dessus. C’est intéressant pour la réflexion sur le pouvoir et cela en dit long sur les rapports de force dans la société. Ceux qui sont concernés par cet impôt ont visiblement plus d’influence que la grande majorité des Belges. Il est d’ailleurs curieux de voir que, chaque fois qu’émerge l’idée, des experts s’expriment dans les médias pour pointer les effets pervers d’une taxe spécifique aux grands patrimoines. Je ne sais pas si c’est téléguidé, mais, en tout cas, c’est systématique. »

Suite de l’article après l’infographie.

Mesures pour le climat, c’est oui, sauf…

Sur les mesures à prendre pour sauver le climat et pour la relance européenne postcovid, qui doit favoriser la lutte contre le réchauffement, on observe aussi un grand consensus au sein de la population, avec néanmoins quelques nuances. Du côté du financement du plan Next Generation de 750 milliards d’euros, outre l’impôt européen sur les grands patrimoines, les Belges plébiscitent majoritairement un impôt minimal sur les profits des sociétés (68%), une taxe sur le kérosène et les billets d’avion (53%), une taxe sur le plastique (53%), une taxe sur les transactions financières internationales (52%). La taxe sur les services numériques – qui est pourtant la priorité de la Commission – est moins populaire (41%), surtout en Flandre. « Contrairement aux bénéfices des entreprises et aux grands patrimoines, Internet concerne quasi tout le monde dans son quotidien, analyse le directeur du Crisp. En outre, la pollution engendrée par nos activités numériques est moins perceptible que celle des plastiques. »

Concernant le Green Deal européen, adopté pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, les Belges sont en majorité d’accord avec la plupart des mesures proposées: rénovation et isolation des bâtiments (78%), recyclage imposé aux entreprises pour les matériaux de production (81%), taxe carbone aux frontières de l’UE (65%), développement d’une agriculture moins intensive et plus respectueuse de l’environnement (64%), avec pour cette dernière une adhésion côté flamand (58%) moindre que chez les francophones (73%). Un bémol: le remplacement des moteurs thermiques par des électriques (à peine 39%), les Wallons étant moins chauds (25%) que les Flamands (44%). « Il y a encore pas mal de débats autour de la voiture électrique, relève le directeur du Crisp. Ses avantages en matière de pollution sont moins évidents. »

Les Wallons sont moins « chauds » (25%) que les Flamands (44%) pour remplacer les voitures thermiques par des électriques.

Asile-migrations: un fossé avec les Flamands

La question migratoire suscite des opinions beaucoup moins favorables et plus contrastées, surtout entre francophones et néerlandophones. C’est l’un des enseignements majeurs du baromètre. Plus d’un sondé sur quatre (27%) n’hésiterait pas à renvoyer un demandeur d’asile dans un pays où sa vie et sa liberté sont menacés, avec une différence notable entre Flamands (32%) et francophones (20%). C’est sur la question de la régularisation des sans-papiers que les Belges sont le plus divisés. Globalement, 31% sont favorables à une régularisation et à l’octroi d’un permis de travail et 41% sont contre, mais la différence d’opinion entre Nord et Sud est énorme: respectivement 22% et 42% de favorables et 49% et 29% de défavorables. Il y a, ici, un véritable fossé.

Sur la réforme de l’asile envisagée par l’Europe, les Belges souhaitent des règles plus claires, comme la réduction à maximum six mois du délai de traitement des demandes d’asile (71%) ou l’ouverture de voies sûres et légales de migration sur base de critères objectifs (66%). Une majorité (60%) est d’accord également pour une répartition équitable des demandeurs entre Etats membres de l’Union européenne et, donc, une révision des règles actuelles de prises en charge, inefficaces et souvent sources d’injustice. Par ailleurs, pour plus de la moitié des sondés (56%), les procédures d’asile devraient être traitées dans les pays d’émigration ou de transit sans permettre un accès préalable au sol européen, avec ici moins de différences entre Flamands (59%) et francophones (52%).

L'absence de cordon sanitaire en Flandre (ici, Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang) renforce le discours antimigrants.
L’absence de cordon sanitaire en Flandre (ici, Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang) renforce le discours antimigrants.© belga image

« En Flandre, tous les débats sont pollués »

Le fossé se confirme néanmoins sur la question des droits accordés aux demandeurs d’asile. Si près de la moitié des Belges (47%) pensent que ceux-ci doivent être réduits, c’est surtout le cas chez nos voisins du Nord (52%), moins au sud (39%). A contrario, 12% de Belges voudraient voir ces droits renforcés, dont 8% de Flamands et 18% de francophones. Pour Arnaud Zacharie, il y a là une évolution remarquable. Et le responsable du CNCD de ressortir d’anciens chiffres: « Lors du sondage qu’on avait réalisé en 2016, en plein pic de la crise migratoire en Europe, 49% des Belges étaient en faveur d’une réduction des droits d’asile et la proportion de Flamands et de francophones était alors équivalente, soit 49% pour les premiers et 48% pour les seconds », précise-t-il. Les écarts entre les deux côtés de la frontière linguistique sur les questions d’asile sont donc assez nouveaux.

Pour son secrétaire général, la campagne menée par le CNCD et d’autres organisations comme Amnesty International ont porté leurs fruits. « Le discours politique a aussi changé côté francophone, constate-t-il. Avec, en 2018, la rupture révélatrice entre la N-VA et le MR, au sein du gouvernement Michel, sur la question migratoire. » Jean Faniel partage la même perception: « C’est vrai qu’il y a eu, côté francophone, une vaste campagne en faveur du droit d’asile et de la régularisation des sans-papiers, confirme-t-il. Plus largement, il y a un travail du tissu associatif en faveur des étrangers qui est dominant chez les francophones et que permettent le contexte politique et le cordon sanitaire. En Flandre, où, depuis trente ans, des représentants de l’extrême droite sont invités sur les plateaux de télé au même titre que les partis classiques, tous les débats sont pollués par la question des étrangers: l’emploi, la sécurité, l’aide sociale, etc. » Le clash au sein de la Vivaldi avec le PS et Ecolo, qui ont menacé de se retirer du gouvernement s’il y avait un mort parmi les grévistes de la faim à l’église du Béguinage, est aussi significatif de cette différence Nord-Sud.

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Pays du Sud: financer le Fonds vert climat

Sur le sujet de l’aide aux pays en développement (l’ADN du CNCD), le baromètre 2021 révèle que les Belges restent plutôt solidaires, dans le cadre de la crise sanitaire. Près de deux tiers d’entre eux (63%) soutiennent la proposition de suspendre les brevets des vaccins anticovid pour favoriser leur accès à un prix abordable aux pays du Sud. De manière générale, alors que la crise du coronavirus y a fortement aggravé la pauvreté, 41% souhaitent voir gonfler l’aide publique au développement contre 11% qui veulent la réduire et 27% pour qui il ne faut rien changer. A la question de savoir si la Belgique devrait au moins respecter l’engagement international de consacrer 0,7% de son revenu national brut à l’aide au développement (0,46% en 2020), quatre sondés sur dix répondent oui, dans les mêmes proportions que dans le Baromètre de l’an dernier, réalisé en pleine deuxième vague.

Plus d’un sondé sur quatre (27%) n’hésiterait pas à renvoyer un demandeur d’asile dans un pays où sa vie et sa liberté sont menacés.

Quant à la dette des pays en développement (qui s’est alourdie avec la pandémie), seuls 8% des Belges sont pour son annulation totale, 12% pour son remboursement intégral, 19% pour un remboursement partiel et 45% pour une annulation à condition que les pays concernés investissent les fonds libérés dans les énergies vertes et l’amélioration des services publics. Surtout, 56% des Belges soutiennent un financement du Fonds Vert pour le climat destiné à aider ces pays à diminuer leurs émissions. C’est encourageant dans le cadre du soutien dont le Sud a besoin pour affronter la transition climatique et énergétique.

Jeunes « sans avis » sur l’outil de la fiscalité

On note tout de même, dans les réponses du sondage, que, envers les pays les plus pauvres, les francophones se montrent globalement plus généreux que les Flamands. Toutefois, l’écart entre les deux communautés paraît un peu moins creusé que pour l’asile et les migrations. Le directeur du Crisp souligne aussi, pour ces mêmes questions, une différence révélatrice (pas énorme mais constante) dans les opinions des sondés en fonction de leur classe sociale. « Ceux des catégories 1 à 4 sont plus solidaires que ceux des catégories 5 à 8 plus nanties, relève-t-il. Si on y ajoute la différence d’opinion entre Flamands et francophones, on peut en conclure que moins on est riche plus on se montre solidaires avec les plus pauvres. C’est une attitude finalement assez classique. »

Le directeur du Crisp, Jean Faniel, n'est pas étonné par le peu de popularité de la taxe sur les services numériques:
Le directeur du Crisp, Jean Faniel, n’est pas étonné par le peu de popularité de la taxe sur les services numériques: « La pollution engendrée par nos activités numériques est moins perceptible que celle des plastiques. »© belga image

Enfin, le baromètre évoque l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur qui, en voie d’approbation, prévoit de réduire les droits de douane sur l’importation de produits agricoles latino-américains, notamment la viande. En contrepartie, l’UE pourra exporter davantage de produits industriels. Cet accord est vu négativement par 44% des Belges contre 23% positivement. Mais il est envisagé avec bien plus de méfiance côté francophone. « On peut sans doute y voir un effet de la résistance wallonne à l’accord du Ceta avec le Canada, il y a cinq ans, selon Jean Faniel. Cet épisode, au cours duquel André Antoine et Paul Magnette sont montés au créneau suite à la mobilisation du monde syndical, est resté dans les esprits. »

Dernière leçon du sondage, qui permet de dégager des réflexions sur l’action du CNCD lui-même: on observe une proportion de « sans avis » tournant autour de 30% chez les jeunes (18 – 34 ans) – bien plus que pour les autres classes d’âge – en ce qui concerne la fiscalité internationale (impôt sur les grands patrimoines, impôt minimal sur les bénéfices des multinationales, abolition des paradis fiscaux, etc.). « Soit les jeunes ne croient pas à l’outil de la fiscalité, soit ils ne le connaissent pas, s’interroge le directeur du Crisp. Je pencherais pour la seconde hypothèse. Cela doit interpeller les politiques mais aussi le CNCD et ses ONG, car il y a là des perspectives d’action et de sensibilisation. » En matière d’asile, il reste aussi du boulot dans toutes les générations, surtout côté flamand. Dans le même temps, les efforts du CNCD semblent payer, ce qui n’est pas évident sur les questions migratoires.

Sondage élaboré avec Le Vif et Knack

Sondage élaboré avec Le Vif et Knack et réalisé entre le 13 et le 18 octobre par Ipsos, dans les trois Régions du pays, auprès d’un échantillon de 1 005 personnes, de tous âges à partir de 18 ans, dont 42% de francophones et 58% de néerlandophones. La marge d’erreur est de maximum 3%.

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