© Burt Glinn/Magnum Photos

70 ans de l’agence Magnum (1/7) : les 9 de Little Rock, en 1957

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Durant tout l’été, arrêt sur sept images emblématiques tirées de Magnum Manifeste. Arkansas, septembre 1957, le photographe Burt Glinn immortalise la rentrée scolaire sous haute tension de neuf élèves noirs. Un épisode phare du Mouvement des droits civiques.

C’est l’un des morceaux les plus emblématiques de la musique de Charles Mingus qui pourrait être la bande-son de cette image signée Burt Glinn. Nourri au gospel, au jazz de La Nouvelle-Orléans, au blues et à la musique classique occidentale, le rythme syncopé de Fables of Faubus prend sa source dans la colère, celle d’un  » homme à la peau couleur chiasse « , comme il s’est souvent qualifié lui-même. Ni vraiment Blanc, ni vraiment Noir, Mingus sait ce que c’est que d’être rejeté par tous. A la fin de l’année 1956, le célèbre contrebassiste fait la connaissance du batteur Dannie Richmond avec lequel il collaborera jusqu’à la fin de sa vie. Révoltés par la situation de tous les underdogs – les laissés-pour-compte, souvent  » de couleur « , du système américain -, les deux hommes noient leur rage dans l’improvisation.

Un soir, dans l’un de ces bars enfumés qui ont fait la photogénie du jazz, Mingus lance à Richmond :  » Tell me someone who’s ridiculous ?  » –  » Cite-moi quelqu’un de ridicule ?  » Ni une ni deux, le percussionniste répond du tac au tac :  » Governor Faubus « . Les deux hommes se regardent droit dans les yeux.  » A ce moment-là, nous avons senti, Mingus et moi, qu’il se passait sur scène quelque chose de musicalement important « , confiera bien des années plus tard Dannie Richmond. Conscient d’avoir mis le doigt sur quelque chose, l’as de la contrebasse étoffe les paroles du morceau :  » Oh, Lord, don’t let ’em shoot us ! Oh, Lord, don’t let ’em stab us ! Oh, Lord, don’t let ’em tar and feather us ! Oh, Lord, no more swastikas ! Oh, Lord, no more Ku Klux Klan !  » En version française, cela donne :  » Oh Seigneur, ne les laisse pas nous abattre ! Oh Seigneur, ne les laisse pas nous poignarder ! Oh Seigneur, ne les laisse pas nous rouler dans le goudron et les plumes ! Oh Seigneur, plus de croix gammées ! Oh Seigneur, plus de Ku Klux Klan !  » Très rapidement, le tempo dynamique s’impose comme une composition majeure de Mingus. En 1959, il prend place sur l’album Mingus Ah Um en version… instrumentale. Pour la firme de disques Columbia, pas question de créer la polémique en reprenant des paroles aussi sensibles. Paroles sensibles ? En répliquant  » Governor Faubus  » à la question de Mingus, Richmond s’est fait la caisse de résonance d’un sujet brûlant qui déchire l’Amérique.

Les faits ? Ils remontent au 3 septembre 1957. La ville de Little Rock est alors le théâtre d’une mauvaise pièce jouée sur le dos de neuf étudiants afro-américains qui s’apprêtent à rejoindre la Little Rock Central High School. Forts de l’arrêt de la Cour suprême du 17 mai 1954 qui a déclaré inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans les écoles publiques, les élèves en question se voient interdire l’accès du bâtiment. En cause, une décision du gouverneur de l’Arkansas, Orval E. Faubus, un démocrate ouvertement ségrégationniste, qui a fait appel à la Garde nationale pour asseoir son propos. Cette scène est le début d’une crise violente entre l’Etat d’Arkansas et le gouvernement fédéral à la tête duquel se trouve le président Dwight Eisenhower. Ce dernier mobilise un millier de parachutistes pour permettre aux  » 9 de Little Rock  » de suivre les cours. Une année durant, ces jeunes âgés de 14 à 17 ans vont vivre l’enfer de se retrouver noirs parmi 2 500 élèves blancs. Endurant insultes, coups et manoeuvres politiques, Ernest Green, Elizabeth Eckford, Jefferson Thomas, Terrence Roberts, Carlotta Walls, Minnijean Brown, Gloria Ray, Thelma Mothershed et Melba Pattillo paieront cher leur statut de martyrs du Mouvement des droits civiques.

Sur place, un photographe ne manque pas une miette de ce combat. Son nom ? Burt Glinn (1925-2008). Prises à la pellicule noir et blanc 35 mm, les images témoignent de l’esprit des débuts de Magnum Photos, Inc. nourri à  » l’utopie universaliste « . Contemporaine de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de l’ONU, l’agence défend alors l’approche d’une photographie perçue comme un  » langage universel devant permettre de relier les citoyens du monde au-delà des différences « . Le tout pour un nouvel humanisme qui, dans la foulée, entend décoloniser les esprits. Un travail de très longue haleine…

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