La guerre sur le sol européen, voulue par Vladimir Poutine, aurait fait cent mille morts et blessés côté ukrainien et le même nombre de victimes côté russe, selon les Etats-Unis. © belga image

2022, l’année du retour de la guerre en Europe

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En lançant son armée à l’assaut de l’Ukraine le 24 février dernier, Vladimir Poutine a plongé un pays dans d’intenses souffrances et l’Europe dans une nouvelle épreuve. Dix mois plus tard, on n’en mesure pas encore toutes les répercussions. De l’attitude des populations, de Kiev à Lisbonne, dépendra l’issue du conflit.

L’Europe n’avait plus connu de guerre de conquête sur son sol depuis la Seconde Guerre mondiale. Le 24 février dernier, en lançant son armée à l’assaut de l’Ukraine, Vladimir Poutine plonge donc un pays dans d’intenses souffrances et le continent dans une nouvelle épreuve. L’ année 2022 consacre un tournant dans l’histoire. Dix mois plus tard, on n’en mesure pas encore toutes les répercussions. Mais on peut déjà dire qu’elles sont mondiales.

La disproportion des forces faisait craindre une débâcle de l’armée ukrainienne. Le scénario d’une prise de pouvoir en dix jours, imaginé à Moscou, échoue cependant. Les soldats ukrainiens sont plus aguerris que prévus. La population plus patriote, la résistance plus puissante. En mars, on estime pourtant que la Russie contrôle 25% du territoire de son voisin. Un début, pensent les stratèges à Moscou. Un pic avant un reflux, s’efforcent de prouver les Ukrainiens. Ils y sont parvenus, même si à Kiev, ces jours-ci, bruissent les rumeurs d’une nouvelle attaque de l’armée russe depuis le nord, attisées par la visite de Vladimir Poutine au Bélarus, le 19 décembre. Une contre-offensive ukrainienne en septembre sur Kharkiv à l’est, puis une autre en novembre, conclue par la reprise de Kherson au sud, réduiront les zones occupées par l’armée russe à 15% du territoire. La guerre éclair qui visait à installer un régime ami à Kiev s’est donc transformée d’abord en une guerre de consolidation des positions russes ou prorusses dans le Donbass, puis en une guerre de la terreur, qui par des vagues de bombardements répétées, a cherché à détruire les infrastructures vitales de l’Ukraine pour démoraliser la population. La force de la résistance opposée pendant dix mois à l’armée russe incline à penser que les Ukrainiens ne sont pas près de céder. C’est la première interrogation dont la réponse déterminera la suite du conflit. La seconde est de savoir si les populations des Etats européens les plus touchés par les conséquences économiques et sociales de la guerre feront preuve, elles, de la même résilience.

La solidarité initiale semble laisser place à une attitude plus nuancée et ambivalente.

«Au début, le choc de la guerre a traversé la Belgique. Pour les Belges plus âgés, cela pouvait même s’accompagner du retour des traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. Pour les jeunes, il s’est agi d’une nouvelle histoire. Et chez eux, nous avons surtout constaté l’incertitude et la peur de l’inconnu, rappelle Jasper Van Assche, chargé de cours au centre de psychologie sociale et culturelle de l’ULB. Je participe à une vaste étude internationale au cours de laquelle nous avons examiné l’effet de cette guerre sur notre bien-être dans 17 pays. Nous avons constaté une réduction spectaculaire du bien-être dans les premiers jours de l’invasion, mais aussi une reprise quasi complète dans les mois qui ont suivi, surtout lorsque la guerre n’a plus été un sujet d’actualité.»

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Les Européens soutiennent les Ukrainiens

Un deuxième impact à analyser, après celui, immédiat, de la résurgence d’un conflit en Europe, est celui des conséquences de la guerre sur la vie quotidienne des citoyens – hausse des prix de l’énergie, de certains produits alimentaires, inflation… Les résultats de l’enquête de l’Eurobaromètre réalisée entre le 12 octobre et le 7 novembre derniers laissent penser que l’adhésion des Européens au soutien militaire et humanitaire de l’Union européenne à l’Ukraine ne se dément pas. Ils sont 74% à y être favorables, avec certes des disparités, de 97% en Suède à 48% en Bulgarie et en Grèce en passant par 75% en Belgique, mais seulement trois pays sous la barre des 50%. Il reste que les effets les plus prégnants de la bataille énergétique, que Russie et Union européenne se livrent en parallèle à la confrontation armée, ne se sont peut-être pas encore fait sentir dans leur globalité. Qu’en sera-t-il en plein hiver, ou au moment des factures annuelles? Le soutien ne risque-t-il pas de s’éroder?

Plus le conflit s’inscrit dans la durée, plus le risque de lassitude se fait jour.

«C’est certainement une possibilité. Nous voyons les partis populistes gagner du soutien partout en Europe, analyse Jasper Van Assche. Ils font appel à des motivations différentes au sein de l’électorat. L’une d’elles, très importante, est le cynisme et le mécontentement à l’égard de l’establishment. Les partis situés à l’extrémité du spectre politique accusent les partis de gouvernement de mal gérer les défis actuels. Ce discours est souvent associé à un discours antimigration, à l’extrême droite, ou à un discours anticapitaliste, à l’extrême gauche. L’ avenir dira si notre échiquier politique en sera profondément remanié ou non.» La possibilité d’un chamboulement politique qui altérerait le soutien aux Ukrainiens, même si l’arrivée au pouvoir, le 22 octobre, de la Première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni en Italie n’en a pas donné le signe, existe donc. Plus le conflit s’inscrit dans la durée, plus le risque de lassitude se fait jour. Jasper Van Assche en observe des indices dans l’attitude des Belges qui ont accueilli des Ukrainiens. «Des histoires moins positives émergent ici et là. Nos étudiants de master à l’ULB ont interviewé un certain nombre de familles d’accueil dans le cadre d’un cours. De leurs conclusions ressort qu’il y a souvent eu un décalage dans les attentes, une barrière linguistique et un manque de communication claire. Un thème qui revient souvent également est le sentiment d’injustice lié au soutien financier jugé disproportionné accordé aux personnes originaires d’Ukraine, alors qu’à Bruxelles, tant de réfugiés doivent dormir dans la rue. La solidarité initiale semble donc laisser place à une attitude plus nuancée et ambivalente», décrypte le chercheur de l’ULB.

Que la ville de Bakhmout, dans laquelle le président Volodymyr Zelensky s’est rendu le 20 décembre, soit devenue aujourd’hui l’épicentre de la guerre alors qu’elle est assiégée depuis quatre mois et qu’elle recèle peu d’intérêt stratégique, témoigne d’un enlisement hivernal du conflit qui éloigne encore un peu plus l’hypothèse d’une issue politique ou militaire à court terme. Les capacités de résistance des Ukrainiens et de leurs alliés en seront d’autant plus mises à l’épreuve.

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