Des soldats kurdes courent pour se mettre en place lors d'une cérémonie d'enterrement de martyrs tombés à Raqqa. © Chris Huby/belgaimage

2017, l’année où le Califat de Daech tomba… sans pour autant arrêter ses attaques

La reprise de Raqqa marque la chute de la « capitale » de l’Etat islamique. Mais pas la fin des attaques djihadistes. En Syrie, Bachar al-Assad a gagné la guerre. Grâce surtout à la Russie, qui a les cartes en main.

L’offensive sur la ville syrienne de Raqqa, « capitale » de l’Etat islamique, aura duré sept mois. La victoire, remportée en octobre par les forces arabo-kurdes soutenues par les Etats-Unis, marque la fin de ce proto-Etat et de ce qu’il prétendait être, avec un territoire, une armée, des ressources… Jadis, Raqqa, sur l’Euphrate, avait été une place forte du califat abbasside pendant près de cinq siècles. Le califat de l’Etat islamique, lui, n’aura duré que trois petites années. C’est là qu’ont afflué des milliers de djihadistes étrangers. C’est là aussi qu’ont été planifiés la plupart des attentats terroristes qui ont frappé l’Europe.

Ce n’est toutefois pas en Syrie que ce projet d’Etat totalitaire est né, mais bien en 2006 dans l’Irak voisin, d’où il passera la frontière en 2012. Il s’appelait alors Etat islamique en Irak et au Levant. En conflit avec Al-Qaeda, le califat sera proclamé en 2014 sous le nom d’Etat islamique, ou Daech, son acronyme arabe, avec, à sa tête, Abou Bakr al-Baghdadi. Il étendra son influence dans le monde musulman. Au Nigeria, par exemple, les terroristes de Boko Haram lui feront allégeance. Son expansion territoriale sera maximale en 2014, sa plus belle prise étant Mossoul, la grande métropole au nord de l’Irak.

Le reflux commencera l’année suivante, avec la perte de la ville kurde de Kobane, et culminera avec celles de Mossoul et Raqqa en 2017, et la mort présumée de l’émir de Daech. Les terroristes avaient affaire à forte partie: les forces gouvernementales syriennes et irakiennes, les rebelles syriens, les milices chiites iraniennes, la coalition internationale menée par les Etats-Unis, la Russie, intervenue au secours de Damas en septembre 2015… C’est grâce à Moscou que l’armée syrienne a pu reprendre à Daech la ville de Deir ez-Zor et la cité antique de Palmyre, et chasser d’autres groupes de rebelles de leur bastion d’Alep.

Si l’Etat islamique a été défait, le terrorisme islamiste continue de sévir. Le 24 novembre, des djihadistes ont massacré dans une mosquée, en Egypte, 305 fidèles de rite soufi, considérés comme hérétiques. Quant aux djihadistes européens, il s’agira de surveiller le retour dans leurs pays respectifs, vu qu’ils n’ont plus de repaire où se cacher. Même si l’Etat islamique a perdu sa dimension « holistique » qui a décuplé sa capacité à recruter, les raisons qui ont poussé des jeunes à adhérer à une idéologie mortifère sont toujours présentes.

En Syrie, la paix reste une chimère car les antagonismes et l’esprit de vengeance sont grands. La guerre n’a résolu aucun des maux dont souffre le pays: absence de libertés, corruption, tensions religieuses… C’est comme si les 330.000 victimes estimées jusqu’à présent étaient mortes pour rien. Bachar al- Assad ressort vainqueur de la guerre, même s’il n’a pas encore récupéré l’intégralité du territoire, la moitié étant toujours sous contrôle des Kurdes et d’autres groupes rebelles. Le pays étant sinistré, et sous le coup de sanctions internationales, les exilés ne sont pas près de rentrer. Sur les 5,5 millions de Syriens réfugiés à l’étranger, seul un nombre très limité est rentré à la maison, où ce qu’il en reste.

Des combattants irakiens marchent sur Tal Afar, à l'ouest de Mossoul.
Des combattants irakiens marchent sur Tal Afar, à l’ouest de Mossoul.© AHMAD AL-RUBAYE/Belgaimage

Les Kurdes en embuscade

La fin du califat met à nu d’autres dangers. A commencer par la question kurde. Sur le champ de bataille de Raqqa, on pouvait voir flotter, entre deux drapeaux des forces soutenues par les Américains, le portrait souriant d’Abdullah Ocalan, chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme terroriste par la Turquie… et les Américains. C’est dire si ceux-ci se trouvent aujourd’hui « dans une position très inconfortable », estime Fabrice Balanche. Pour ce chercheur du Washington Institute, « le président turc Erdogan est resté patient jusqu’à la chute de Raqqa, mais ne tolérera pas que les Américains restent sur le terrain en continuant de soutenir des forces kurdes liées au PKK ».

Ankara pourrait préparer une offensive militaire contre leurs places fortes en Syrie: « Les Kurdes demanderont alors aux Américains d’intervenir contre la Turquie… qui est son alliée dans l’Otan. » Schizophrénique. Encore faut-il que les Américains aient le loisir de prolonger leur présence jusqu’à un règlement politique: « Le moment viendra où les Russes, eux aussi, demanderont aux Américains de partir, arguant qu’ils n’ont pas de résolution des Nations unies pour justifier leur présence, alors que les Russes sont intervenus au nom du gouvernement légitime à Damas ». Clé de voûte de la stabilité au Moyen-Orient, la Syrie en guerre est devenue une bombe à fragmentation géopolitique…

La fin du califat met à nu d’autres dangers.

L’autre vecteur de ce conflit est l’opposition entre sunnites et chiites, et, au-delà, entre les deux puissances régionales, l’Arabie saoudite et l’Iran. « Au début, la guerre civile en Syrie était un moyen pour la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar de briser l’axe chiite iranien en construction entre Téhéran et Beyrouth, explique Fabrice Balanche. L’objectif était d’éliminer Assad, et d’en découdre ensuite avec le Hezbollah au Liban ». Daech a pu compter sur des soutiens venus de ces trois pays, jusqu’à ce que l’administration Obama intervienne pour freiner la création de ce Frankenstein terroriste. Donald Trump a entre-temps renforcé le camp anti-iranien, mais en laissant les coudées franches à Vladimir Poutine, du moment que les intérêts vitaux d’Israël soient préservés.

Poutine, un coup d’avance

Le maître du Kremlin est le seul à posséder toutes les cartes. Tel un stratège madré, il a anticipé ses coups et avancé ses pions au bon moment. C’est grâce à lui, et aux Iraniens, que Bachar al-Assad a pu récupérer une grande partie de son territoire. Le président russe a gardé ouvertes toutes ses voies de communication, autant avec son protégé syrien qu’avec les pires ennemis de celui-ci. Il a même réussi à s’attirer les faveurs de Recep Tayyip Erdogan: après avoir juré la perte de Bachar, le leader turc préfère s’entendre avec lui sur le dos des Kurdes, tant il redoute la création d’un Etat indépendant à ses frontières.

Conséquence: la Turquie se retrouve aujourd’hui aux côtés de la Russie et de l’Iran comme parrains du processus d’Astana, la capitale kazakhe, qui a permis la mise en place de « zones de désescalade » sur le territoire syrien et des discussions entre représentants du régime et de l’opposition pour parler de questions liées au cessez-le-feu. Les pourparlers à Genève étaient alors au point mort. A présent que les opérations militaires touchent à leur fin, le processus politique devrait reprendre de la vigueur, avec en vue la rédaction d’une nouvelle Constitution et la tenue d’élections. Il a fallu attendre fin 2017 pour que l’opposition syrienne se présente enfin en délégation unifiée.

Le 22 novembre, Vladimir Poutine reçoit, à Sotchi, ses homologues Iranien, Hassam Rohani, et turc, Recep Tayyip Erdogan. L'art de garder ouvertes toutes les voies de communication.
Le 22 novembre, Vladimir Poutine reçoit, à Sotchi, ses homologues Iranien, Hassam Rohani, et turc, Recep Tayyip Erdogan. L’art de garder ouvertes toutes les voies de communication.© MIKHAIL KLIMENTYEV/belgaimage

S’accommoder de Bachar

Le principal point d’achoppement restait jusqu’à présent le sort de Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 2000. Or, l’opposition n’exige plus son départ immédiat. Elle se rend à l’évidence que le président syrien se trouve désormais en position de force. Les Occidentaux ont également été forcés de rétropédaler. Le slogan « Ni Bachar ni Daech » aura montré toutes ses limites. Le 22 juin, le président français Emmanuel Macron affirmait que le départ du dirigeant syrien n’était plus « le préalable à tout », rompant avec la ligne jusqu’auboutiste de son prédécesseur. De quoi satisfaire Moscou et Téhéran, qui refusent – pour l’instant – d’envisager le départ de leur protégé. « L’avenir de la Syrie appartient au peuple syrien », a martelé le président iranien Rohani.

Après avoir ordonné de bombarder une base syrienne en représailles à l’usage allégué d’armes chimiques, Donald Trump – dont la politique moyen-orientale reste opaque – s’est rapproché de Vladimir Poutine. En 2017, les Etats-Unis ont mis fin à un programme de soutien militaire aux rebelles syriens, les deux chefs d’Etat souhaitant, dixit la Maison-Blanche, « assurer la stabilité d’une Syrie unifiée et libérée de toute intervention nuisible et de refuges pour terroristes », ainsi que « trouver une solution pacifique à la guerre civile en Syrie ». Des élections libres en 2021? Ce serait oublier, pointe Fabrice Balanche, qu' »une chape de plomb risque de recouvrir la Syrie pendant au moins une décennie pour prévenir toute nouvelle révolte ».

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