Rassemblement mercredi 7 janvier 2015, Place de la République, Paris © Reuters

2015 en 15 mots: Attentats (9/15)

L’Etat islamique a projeté sa sauvagerie hors de ses  » frontières  » : France, Danemark, Tunisie, Nigéria, Etats-Unis. Du coup, partout, le curseur de la sécurité se déplace au détriment des libertés publiques.

Le 7 janvier, l’impensable est arrivé. Les bureaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, quasi clandestins et très surveillés depuis l’affaire des caricatures de Mahomet (2006), sont investis par les frères Saïd et Chérif Kouachi. Bilan : 12 morts. Cabu, Wolinski, Tignous, Charb, Honoré… L’économiste Bernard Maris… Un gardien de la paix… Des blessés graves… Deux jours plus tard, les tueurs se réclamant d’Al-Qaeda dans la péninsule arabique sont localisés dans une imprimerie au nord de Paris et tentent une sortie, arme au poing. Ils sont neutralisés par les forces spéciales. Au même instant, un autre assaut policier met fin à la prise d’otage d’une supérette casher de la Porte de Vincennes qui a fait quatre morts, expressément parce que les victimes étaient juives. L’auteur des faits, Amedy Coulibaly, se revendique de l’État islamique. Le jour d’avant, il a abattu, à Montrouge, une policière municipale.

Sous le coup d’une vague d’émotion sans pareil, les Je suis Charlie fleurissent. Quatre millions de manifestants défilent en France le 11 janvier. Pourtant, dans les écoles de l’Hexagone, plus de 200 incidents sont signalés lors de la minute de silence. Ils révèlent les lézardes de la société française, inquiétantes pour l’avenir. Des réactions du même type sont enregistrées dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Assez pour que le monde politique veuille remplacer rapidement une heure de religion ou de morale par un cours de citoyenneté. Pendant que les intellectuels s’étripent sur le sens à donner à cet anti-Charlie, les services de police et de renseignement sont sur les dents. La Sûreté de l’Etat a reçu un  » tuyau  » sur une opération terroriste en préparation. Elle serait directement commanditée par l’Etat islamique et organisée par un homme issu de la communauté maghrébine de Molenbeek, devenu, en Syrie, insensible à la valeur de la vie humaine : Abdelhamid Abaaoud.

Le 15 janvier, une cellule terroriste est démantelée à Verviers. Deux combattants revenus de Syrie sont morts sous l’assaut des unités spéciales de la police fédérale, non sans les avoir attaquées à l’arme lourde. Un complice présumé est arrêté sur place. S’ensuit une vague de perquisitions qui révèlent, déjà, l’ampleur des soutiens logistiques dont ces djihadistes disposaient en région bruxelloise. Les services de sécurité craignent d’autres retours de Syrie, plus meurtriers. Ils n’ont pas les moyens matériels de surveiller les 130 personnes répertoriées, dont 85 vivent à Molenbeek. Le gouvernement de Charles Michel s’attelle à dynamiser le Conseil national de sécurité, conformément à l’accord de gouvernement. Le niveau de la menace est porté à 3 sur une échelle de 4. Des militaires sont placés dans les rues pour suppléer l’absence de forces de police en nombre suffisant. Douze mesures sont annoncées par le gouvernement, dont l’extension de la déchéance de nationalité (à laquelle le gouvernement renoncera très vite), le retrait préventif de la carte d’identité, la non-délivrance de passeport, la criminalisation de voyage à l’étranger dans un but terroriste, etc.

Le climat de tension ne s’apaise pas en Europe. Le 14 février, à Copenhague, un islamiste attaque un centre culturel où se donnait une conférence en solidarité avec Charlie, causant un mort. Le lendemain, il tue encore le vigile de la grande synagogue de la capitale danoise. L’endroit où l’agresseur a été abattu par les forces de l’ordre a été fleuri par une poignée de jeunes musulmans. En France, les gestes de  » déséquilibrés  » à la voiture bélier se multiplient. L’Etat islamique a donné des instructions en ce sens via les réseaux sociaux et le magazine anglophone Dabiq, dont une version en français a été lancée en décembre 2014, Dar al-Islam. Le 19 avril, Sid Ahmed Ghlam est arrêté. Cet étudiant en informatique est soupçonné d’avoir projeté un attentat contre deux églises de Villejuif et d’avoir tué une jeune femme à laquelle il voulait subtiliser la voiture. Le 26 juin, un patron est décapité par un membre de son personnel, lequel tente de faire exploser une usine de produits industriels à Saint-Quentin-Fallavier (Isère). L’État islamique revendique l’attaque. Le 21 août, Ayoub El Khazzani s’apprête à faire un carnage dans le Thalys Amsterdam-Paris mais il est heureusement désarmé par des passagers courageux – et bien formés (jeunes militaires américains en vacances).

Le 13 novembre, la France connaît sa pire agression depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La majorité des victimes, 130 morts et 300 blessés, avaient moins de 35 ans et savouraient la vie en ce début de week-end. Trois commandos-suicide se déchaînent à la tombée de la nuit : dans la salle de spectacle du Bataclan, aux terrasses de café et de restaurants des Xe et XIe arrondissements, aux abords du Stade de France. Un quatrième commando aurait dû sévir dans le XVIIIe arrondissement, il y a renoncé.  » C’est un acte de guerre commis par une armée terroriste, Daech « , déclare le président François Hollande. La piste des tueurs remonte jusqu’à Molenbeek.

Après avoir été encensée à Verviers, la Belgique est cette fois désignée comme le maillon faible de la lutte anti-terroriste. Brahim Abdeslam s’est fait exploser en blessant grièvement une personne devant un bar ; Bilal Hadfi n’a pas fait de victime en déclenchant sa ceinture d’explosifs près du Stade de France ; Salah Abdeslam, le probable logisticien du groupe, est en fuite. Les semaines précédant le 13 novembre, il a beaucoup circulé en Europe, escortant deux hommes dont les enquêteurs disent aujourd’hui qu’ils ont donné le vrai  » go  » aux attentats de Paris. Abdelhamid Abaaoud ne serait qu’un exécutant qui aurait mis son carnet d’adresses et sa connaissance du terrain au service du califat, dont le service d’action extérieure est dirigé par un ancien officier de Saddam Hussein. Abaaoud est décédé lors de l’assaut de sa planque à Saint-Denis, le 17 novembre. Le lendemain, il devait commettre un attentat-suicide à la Défense. Les perquisitions et interpellations menées sans relâche depuis lors, en collaboration étroite avec les autorités françaises, mettent au jour, petit à petit, une cellule d’une trentaine de personnes ayant participé, de près ou de loin, aux attentats de Paris. L’amère morale de l’histoire ? Il faudra plus d’Europe, plus de coopération internationale, plus d’échanges d’informations pour venir à bout du terrorisme islamique.

Après l’année 2015, rien ne sera plus jamais comme avant. Le curseur sécuritaire aura fait reculer celui des libertés publiques. En France, l’état d’urgence a été décrété pour trois mois, prolongeable. Notre pays n’a pas ce dispositif en magasin mais il a fait massivement appel à l’armée, en décrétant un niveau 4 de la menace qui a figé, pendant cinq jours, la Région de Bruxelles-Capitale, commerces, écoles, lieux culturels et métro. Le dommage à l’image de Bruxelles et de la Belgique est incalculable. Dans la foulée, le gouvernement Michel a annoncé un nouveau train de mesures répressives (400 millions d’euros) qui se traduiront par un renforcement des contrôles policiers aux frontières, le déploiement de 520 militaires, un projet d’extension à 72 heures au lieu de 24 de la garde à vue, la possibilité de perquisitionner 24h/24 en cas d’infraction terroriste, l’emprisonnement des returnees, le démantèlement des lieux de culte non reconnus diffusant le djihadisme, le screening des imams, un traitement de fond de Molenbeek, à la fois préventif et répressif.

D’autres gestes meurtriers ont été inspirés par l’idéologie hégémoniste du califat, notamment en Turquie, au Liban ou dans le Sinaï égyptien. La Tunisie, particulièrement visée depuis le début de l’année, a payé un lourd tribut à sa démocratisation : attaque du musée du Bardo (24 morts, le 18 mars), massacre de touristes près de Sousse (39 morts, le 26 juin), attentat-suicide contre un bus de la Garde présidentielle (12 morts, le 24 novembre). En Afrique, Boko Haram a fait allégeance à l’État islamique. Le groupe terroriste ensanglante le Nigéria (15 000 morts depuis 2009), le Tchad et le Cameroun. Et ce n’est pas fini. Avec la tuerie du 2 décembre au centre de santé de San Bernardino (14 morts), les Etats-Unis ont subi l’attaque terroriste la plus importante depuis le 11-Septembre. Une stratégie de la tension à l’échelle planétaire qui a été crescendo.

Découvrez les 149 autres mots de l’abécédaire 2015 dans le numéro collectif du Vif/L’Express, en librairie dès le 24 décembre, et pour trois semaines.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire