© PAUL FUSCO/MAGNUM PHOTOS

1968: Adieu Bobby Kennedy

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

La célèbre agence photo Magnum fête ses 70 ans. Durant tout l’été, arrêt sur sept images emblématiques tirées de Magnum Manifeste, récit d’une aventure photographique qui, à force de témoigner de l’histoire, en fait désormais partie. Cette semaine : le 8 juin 1968, Paul Fusco monte à bord du train qui relie New York à Washington DC, emmenant Robert Francis Kennedy vers sa dernière demeure…

Le 30 janvier 1968, les forces vietcong et l’armée du Nord Vietnam lancent une offensive le jour du Têt – le Nouvel An local – qui surprend totalement les troupes du Sud et leur allié américain : 80 000 combattants communistes attaquent une centaine de localités, occupant même brièvement l’ambassade des Etats-Unis à Saigon. L’humiliation, magistrale, confirme le vent de la défaite, celle d’une guerre injuste : à domicile, le climat insurrectionnel des villes américaines, chauffé par le racisme et la pauvreté, monte d’un cran lorsque Martin Luther King est assassiné à Memphis le 4 avril 1968. Les émeutes à peine apaisées, Robert Francis Kennedy, surnommé Bobby, est à son tour tué le 6 juin à Los Angeles, de trois balles. L’auteur est le Palestinien Sirhan Sirhan dont les motivations sont liées au soutien de Kennedy à Israël. L’assassinat du candidat à la future élection présidentielle, est comme un remake nauséeux de celui de son frère à Dallas à l’automne 1963. Il confirme 1968 comme année maudite : ramener le corps de Bobby en avion de Los Angeles à New York, puis en train jusqu’à Washington DC, d’où il gagnera le proche cimetière militaire d’Arlington et la tombe de l’aîné JFK, est un geste d’ampleur. A la mesure du trauma d’un pays déboussolé.

Paul Fusco a 38 ans lorsqu’il embarque dans ce convoi de vingt wagons occupés par la famille, les amis, les célébrités, les secrétaires de Bobby : il n’entrera à l’agence Magnum que trois ans plus tard, et ce reportage, il le réalise pour le magazine Look. Le temps est caniculaire, annonciateur d’orages qui ne viennent pas : d’une certaine manière, ils n’ont cessé de pilonner 1968 et le corps de Bobby en est le dernier symptôme en date.

Une sélection de 2 000 dias

1968: Adieu Bobby Kennedy
© DR

Ce trajet en train sur la côte Est, normalement accompli en quatre heures, en prend le double. Les trois personnages de la photo, plantés dans la terre brune de la voie ferrée, avec l’écriteau  » So long Bobby  » (au revoir Bobby), sont parmi les deux millions de personnes – une estimation – venues saluer le dernier voyage de Bobby. Cette image n’est ni la plus forte ni la plus étonnante prise par Fusco dans ce moment qui souligne aussi la tristesse, élément inhérent à l’histoire, mais elle dit au moins combien la population, celle des Noirs et des sans-grades, reconnaît dans le programme de RFK, une générosité étouffée par la guerre du Vietnam et la ghettoïsation rampante de l’Amérique. La singularité de la photo, par la suite reprise au compte de Magnum, est de renvoyer presque obligatoirement à une séquence plus ample et plus complète, comme le photogramme d’un film.

Fusco a sorti deux versions de ce trip unique sous forme de livre (le plus récent, en 2008, chez Aperture) où il montre une centaine d’images, sélection d’un total de 2 000 diapositives prises du train mais aussi aux étapes du deuil à New York, Washington et Arlington. Toujours en couleurs et par ordre chronologique, attesté par la lumière qui décline peu à peu, toujours en mouvement d’où le flou qui s’insinue dans la plupart des images : guère un code médiatique d’époque, sauf peut-être dans le sport où il incarne la vitesse. Ici, il s’agit de témoigner de la multitude en mouvement, via ce diaporama qui constitue aussi un extraordinaire portrait des Etats-Unis de la fin des années 1960. Parmi beaucoup d’autres instants marquants : une gare bourrée à Philadelphie – l’un des seuls endroits repérés géographiquement – des gens accrochés par grappes le long des voies et selon les endroits, sur des terrains de sport, des rues, des jardins. Des gens saluant à la militaire, bouquets de fleurs en main, drapeaux et banderoles multiples dont le God Bless Bobby revient sans cesse.

En retenir deux autres que la nôtre ? Celle regroupant bonnes soeurs blanches et étudiantes noires, toutes en uniforme, et puis cette famille où les parents et leurs cinq enfants torse nu, sont alignés par ordre de grandeur, soldats d’une armée civile foudroyée par le chagrin et l’injustice.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire