Alors que le nombre de distributeurs de billets a chuté en Belgique ces dernières années, il pourrait bientôt être possible de retirer jusqu’à 150 euros directement chez certains commerçants, sans achat préalable. Si cette mesure doit encore être validée par les instances européennes, elle suscite déjà de nombreuses interrogations.
Ces quelques petites lignes pourraient fortement impacter beaucoup de quotidiens: fin novembre, le Parlement européen et le Conseil se sont entendus autour d’un pré-accord pour renforcer la lutte contre la fraude et accroître la transparence concernant les services de paiement. Parmi les mesures, qui doivent encore être adoptées et peuvent encore être modifiées dans les mois à venir par les deux instances, l’une concerne l’amélioration de l’accès aux espèces, «notamment pour les personnes vivant en zones rurales et n’ayant pas facilement accès à un distributeur automatique de billets».
Elle doit permettre de rendre possible le retrait de cash chez un commerçant pour un maximum de 150 euros, via une carte bancaire, le tout sans avoir à effectuer d’achat. Pour résumer, il pourrait bientôt être possible de se rendre dans une boulangerie pour retirer de l’argent, comme dans une banque ou à un distributeur de billets, sans pour autant avoir à acheter une baguette en «contrepartie».
Compensation et garanties de sécurité
Cette annonce n’emballe pas vraiment les commerçants, qui y voient plus de contraintes que d’avantages pour l’instant. «Il arrive déjà à des commerçants de répondre à une demande de cash d’un client, par souci de courtoisie, au moment de régler un achat. Cette pratique serait ici encadrée, mais irait aussi plus loin en donnant la possibilité de faire cette demande sans cet achat», souligne Olivier Mauen, porte-parole du Syndicat neutre pour les indépendants, évoquant «trois conditions sine qua non» pour tenter de convaincre les principaux concernés de l’intérêt de cette mesure.
«Il faut que cela reste sur la base du volontariat et que ce ne soit pas une obligation, comme stipulé dans le pré-accord: beaucoup de commerçants n’ont pas envie de « jouer à la banque », ce n’est pas leur métier.» Olivier Mauen évoque aussi une possible «compensation» pour les commerçants, comme des frais de transaction, si aucun achat n’est effectué en marge du retrait d’argent. «Enfin, cela nécessite des garanties en matière de sécurité, tant pour la clientèle que pour les commerçants. Pour eux, cela demanderait un certain fonds de caisse, ce qui peut les mettre encore plus en danger par rapport à des braquages, par exemple. Et que se passera-t-il si un client se fait braquer juste à la sortie du commerce après avoir retiré de l’argent?»
La question de la sécurité, qui n’a pas été évoquée par les instances européennes pour l’instant, est également mise en avant du côté de la Fédération belge du secteur financier: «Nous devrons avant tout examiner attentivement la manière dont cette directive sera transposée dans la législation nationale. En tant que secteur, nous restons neutres vis-à-vis de cette mesure, mais nous tenons à souligner l’importance de la sécurité dans ce contexte».
Un «complément» aux banques
Difficile de savoir quelle est la part des commerçants intéressés à l’idée d’offrir ce service avec le pré-accord en l’état. Surtout que «la tendance, c’est plutôt qu’ils aient de moins en moins de cash, souligne l’économiste Bruno Colmant. Ici, cela leur permettrait de se délester d’un certain montant d’argent liquide qu’ils n’auraient pas à conserver longtemps, en le “redistribuant”. Mais cela peut être aussi contraignant d’un point de vue opérationnel pour les petits commerçants.»
Pour lui, il serait plutôt logique de «subordonner cet acte à un achat»: «Il y a certains points d’équilibre à trouver, même s’il est difficile de satisfaire tout le monde avec ce genre de mesure. Les commerçants peuvent aussi se dire que cela va attirer de nouveaux clients, qui ne seraient pas venus dans ce commerce s’ils ne pouvaient pas y retirer de l’argent». Pas question pour autant de voir ici une sorte de désaveu pour les banques: Bruno Colmant évoque plutôt «un complément» à l’activité de celles-ci, comme le symbolise le montant maximum peu élevé de 150 euros qui pourrait être retiré chez un commerçant: «Ce n’est pas une mauvaise idée, alors que le nombre de distributeurs de billets a été réduit ces dernières années et qu’il est de plus en plus difficile de retirer de l’argent. On craint que le cash ne disparaisse, comme le prouve ce genre d’initiative, alors que le liquide reste un moyen de paiement important.»
Moins de retraits, mais…
En 2024, 39% des achats avaient ainsi été effectués en espèce, selon la Banque nationale de Belgique: un chiffre qui continue de baisser d’année en année (45 % en 2022). C’est l’argument avancé par le secteur bancaire pour justifier la chute drastique du nombre de distributeurs de billets en Belgique (de 8.000 en 2017 à moins de 4.000 fin 2024, souligne Testachats), à laquelle les commerçants pourraient être appelés à pallier en quelque sorte avec ce projet européen. «Nous ne sommes pas contre les initiatives comme celle-ci pour donner un plus large accès à l’argent liquide. Mais cette responsabilité incombe plutôt aux banques: c’est presque une obligation légale, vu qu’elles ont le monopole de la collecte et des dépôts», explique Morgane Kubicki, coordinatrice de la communication de Financité.
«Cette responsabilité incombe plutôt aux banques»
Morgane Kubicki, coordinatrice de la communication de Financité
Le mouvement, qui a récemment dénoncé comment les banques «organisent la difficulté de se procurer de l’argent liquide», milite pour rendre obligatoire l’accès à un distributeur de billets pour tous les Belges à moins de cinq, trois ou deux kilomètres de chez eux, selon la densité de population de leur zone d’habitation. «Selon les banques, les Belges paient moins en cash et retirent moins, donc ils ont moins besoin de distributeurs. Mais la diminution du nombre de distributeurs est intervenue avant la baisse des paiements en cash, qu’on ne peut pas nier. Et si les Belges vont moins retirer d’argent, ils prennent désormais des sommes plus importantes en moyenne», ajoute Morgane Kubicki.
Pour rappel, les quatre grandes banques membres de Batopin (BNP Paribas Fortis, Belfius, ING et KBC) se sont engagées à proposer un réseau de 1.040 points de retrait en espèces à travers le pays d’ici 2027, après un rappel à l’ordre des autorités. L’objectif fixé pour début 2026, à savoir 970 points construits, ne sera toutefois pas rempli: selon le décompte en ligne fourni par le consortium à date du 9 décembre, 793 emplacements sont actifs, 207 sont en construction et 40 lieux sont encore à déterminer, tandis que 90% des Belges ont un point CASH à moins de cinq kilomètres de leur domicile.