Paul De Grauwe est professeur d’économie internationale à la London School of Economics and Political Science.

Paul De Grauwe: « Hallucinant que les banques refusent de hausser les taux d’intérêt sur l’épargne »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’économiste Paul De Grauwe fustige l’inaction des banques à l’égard des faibles taux d’intérêt sur l’épargne. Il appelle le gouvernement à fixer un taux minimal à 1,5% ou 2%, et ce alors que les appels politiques se multiplient en ce sens. « Les banques belges réalisent un profit énorme, à hauteur de 8,4 milliards d’euros par an, uniquement grâce aux transferts de la Banque nationale. » Entretien.

Paul De Grauwe, les banques doivent-elles augmenter les taux d’intérêt sur l’épargne ?

Bien sûr. Les banques profitent de l’épargne de façon incroyable. Elles reçoivent une rémunération de 3,25% sur les dépôts qu’elles détiennent à la Banque centrale européenne. Et de facto à la Banque nationale de Belgique, car l’arrangement est valable pour toute la zone euro. On dénombre 260 milliards d’euros de dépôts des banques à la BNB, qui sont rémunérés à 3,25%. C’est considérable. Car ce sont des comptes à vue, pour lesquels il n’y aucun risque.

En contrepartie, les dépôts d’épargne ont des taux d’intérêt ridiculement bas. Les banques belges réalisent un profit énorme, à hauteur de 8,4 milliards d’euros. Uniquement grâce aux transferts de la Banque nationale. Pour la zone euro, on parle de 130 milliards de transferts de toutes les banques nationales vers le système bancaire. Ce sont des chiffres invraisemblables. 

Les banques belges réalisent un profit énorme, à hauteur de 8,4 milliards d’euros. Uniquement grâce aux transferts de la Banque nationale. Pour la zone euro, on parle de 130 milliards. Ce sont des chiffres invraisemblables.

Paul De Grauwe

Ces profits de la banque nationale devraient être transférés au trésor – et donc au gouvernement. Mais comme la BNB fait des pertes, il n’y a plus de transfert. En contrepartie, on a un transfert massif vers les banques commerciales. Ces dernières refusent de hausser les taux d’intérêt. C’est quand même hallucinant !

Selon vous, les banques ont donc la capacité d’augmenter largement les taux d’intérêt sans se mettre en danger ?

Tout à fait. Elles ont une manne gigantesque qui tombe du ciel. C’est relativement récent, puisqu’il y a un an, ces taux de rémunération sur les dépôts étaient de 0%, voire même légèrement négatifs. Aujourd’hui, on est à 3,25% et il se peut que la BCE hausse encore les taux d’intérêt, à 3,5% par exemple. Ce qui augmenterait encore le transfert que les banques belges reçoivent.  

Actuellement quel serait le taux d’intérêt juste, selon vous ? On doit se rapprocher du taux de la BCE ?

Je crois que les banques peuvent facilement se permettre de hausser le taux d’intérêt sur les dépôts d’épargne à 1,5%, voire 2%. Un pourcentage qui leur laisse une marge encore très large, sur laquelle ils font des profits. Il faut se rendre compte qu’il s’agit de profits pour lesquels les banques ne doivent rien faire, aucune analyse de risque. 

Les banques peuvent facilement se permettre de hausser le taux d’intérêt sur les dépôts d’épargne à 1,5%, voire 2%.

Paul De Grauwe

Pourquoi les banques ne le font-elles pas ?

Car il n’y a pas suffisamment de concurrence entre elles. Les banques se connaissent, se regardent. Elles ont des accords implicites. Tout cela leur procure un pouvoir de marché qu’elles exploitent.

Les récentes faillites de banques américaines ne poussent-elles pas les banques européennes à la prudence, ce qui pourrait dès lors expliquer en partie cette réticence à augmenter les taux d’intérêt sur l’épargne ?

Le système bancaire est fragile, on le sait. Etant donné que les dépôts peuvent être retirés de façon immédiate, tandis que les prêts octroyés par les banques ont une plus longue échéance. Dans un scénario de perte de confiance totale où tout le monde se rue vers les banques pour retirer les dépôts, les banques manqueraient de liquidités pour satisfaire aux demandes de retraits.  C’est pour cela aussi que la BCE a ce rôle de prêteur de dernière instance pour faire face à ces situations de crise.

Cependant, les banques belges et européennes sont relativement immunisées du fait d’un ratio de capital assez élevé depuis la crise financière de 2008. 

En 2020, les profits des banques belges sont estimés à 3,8 milliards d’euros. En 2021, ce chiffre est monté 6,2 milliards, en 2022, à près de 10 milliards. Donc, on constate une forte hausse des profits bancaires. La forte inflation aurrait pu représenter une mauvaise nouvelle pour les banques, mais c’est le contraire qui s’est passé.

La pression politique est de plus en plus forte. Vincent Van Peteghem et Alexia Bertrand, notamment, ont appelé les banques à augmenter leurs taux. Le gouvernement doit encore accentuer cette pression ?

Oui, et sans attendre ! Le gouvernement a les possibilités techniques de le faire. Car aujourd’hui, on assiste à un transfert qui profite aux banques et aux actionnaires, mais aucunement aux épargnants. Il faut un équilibre. Encore une fois, ce ne sont pas des profits qui proviennent d’une activité bancaire normale, c’est un paquet qui vient de la Banque nationale.  

Le PS et Ecolo plaident pour l’instauration d’un taux d’intérêt minimum légal plus élevé. Vous êtes favorable à un tel système ?

Aujourd’hui, le taux minimal sur les dépôts d’épargne est de 0,11%. Pour le gouvernement, la possibilité légale d’imposer une augmentation de ce taux minimal existe. Après, c’est évidemment une question politique : il faut un consensus.

Le gouvernement doit imposer une augmentation du taux d’intérêt d’épargne minimal sans attendre.

Paul De Grauwe

Febelfin, qui représente le secteur financier belge, critique cette pression politique grandissante sur les banques. La fédération évoque notamment le fait que le gouvernement demande une augmentation des intérêts sur l’épargne, mais utilise l’épargne lui-même pour financer son budget, via une taxe bancaire. Votre réponse ?

Oui, mais tout est taxé. Le consommateur lui aussi trouve cela terrible que les produits qu’il achète au magasin soient taxés. Les banques viennent se plaindre que le gouvernement les taxe ? Tout le monde se plaint. Le travail est aussi taxé. Le travailleur n’aime pas ça, le banquier n’aime pas ça, mais il n’y a rien d’anormal. 

En substance, il y a en effet une taxation qui va vers le budget du gouvernement. Mais on retrouve aussi une autre taxation qui fait partie du système de garantie des dépôts, qui doit être financé par les banques. Grâce à ce système, les banques ont été sauvées il y a quinze ans. Elles ne doivent pas l’oublier. Sans l’action du gouvernement, ces banquiers qui se plaignent aujourd’hui d’être taxés n’existeraient plus.

épargne
Pour l’économiste Paul De Grauwe, le gouvernement doit fixer un taux d’intérêt minimum légal sur les dépôts d’épargne.

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