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Hausse des taux de la BCE: quel impact pour votre argent ?

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Pour la première fois depuis 2011, les taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) vont remonter ce jeudi. Selon l’annonce faite par la présidente de l’institution de Christine Lagarde début juin, ils devraient être relevés de 25 points de base ce 21 juillet (+0,25%) et une nouvelle fois en septembre, dans la même proportion. Avec quelles conséquences concrètes pour le consommateur et l’épargnant ? Réponses avec les économistes Charlotte de Montpellier (ING) et Sylviane Delcuve (BNP Paribas Fortis).

1. Hausse des taux directeurs: quel impact sur le niveau des prix?

L’inflation élevée constitue un défi majeur. Le Conseil des gouverneurs veillera à ce qu’elle revienne à son objectif de 2 % à moyen terme. » Le propos est on ne peut plus clair : après avoir maintenu depuis 2011 des taux historiquement bas – et même négatifs – pour soutenir la croissance européenne, le grand argentier de la zone euro change radicalement son fusil d’épaule. Dans son collimateur, l’explosion des prix à la consommation, qui frisent les 10 % d’augmentation par an dans certains pays comme la Belgique. Du jamais vu depuis les années 80…

L’objectif de la BCE est de ramener progressivement l’inflation à des niveaux raisonnables, autour de 2 %. Dans ses dernières prévisions, elle ne tablait cependant pas sur un retour à la normale avant 2024. « L’inflation restera excessivement élevée pour un certain temps », notait la banque, qui prévoyait encore en juin un niveau de 7,1 % pour toute l’année 2022. L’arme des taux dégainée en Europe suffira-t-elle à enrayer l’envolée des prix ? Rien n’est moins sûr.

« La BCE n’avait pas le choix mais sa marge de manœuvre est limitée tant les économies européennes sont fragiles et victimes de leur dépendance énergétique à la Russie, regrette Sylviane Delcuve (BNP Paribas Fortis). L’inflation n’est pas générée par une surchauffe de l’activité économique comme aux États-Unis mais par la guerre en Ukraine et la flambée des cours de l’énergie. Tant que le conflit durera et que les spéculateurs agiront impunément sur le prix des céréales et des matières premières, le problème persistera. L’impact d’une hausse des taux sur l’évolution des prix est purement psychologique. »

Mais la psychologie, c’est important quand il s’agit d’économie. C’est souvent elle qui guide le comportement des acteurs économiques… « Si l’on s’attend à ce que l’inflation reste durablement élevée, on agit en conséquence en termes d’achats, d’investissements, de négociations salariales, etc., explique Charlotte de Montpellier (ING). On commençait à percevoir ce ‘désencrage’ : les prévisions inflationnistes à 5 ou à 10 ans restaient élevées, contribuant… à entretenir l’inflation. La BCE était forcée d’intervenir pour envoyer un signal et montrer sa volonté de freiner la hausse des prix. »

Message reçu ? « Oui, l’annonce de la BCE a suffi à recentrer les anticipations. Mais pour les consommateurs, l’effet sur la hausse des prix ne sera pas immédiat. » Il dépendra notamment de la crédibilité que les marchés accordent à la BCE. « Pour que les prix refluent, la conviction doit être forte selon laquelle elle est déterminée à agir. Une surprise n’est d’ailleurs pas à exclure : elle pourrait décider de relever ses taux de 0,5 % au lieu des 0,25 % annoncés ou de tenir un discours ferme, montrant sa volonté de le faire dans les prochains mois si l’inflation ne ralentit pas. »

2. Quel impact sur les taux de change

Prouver sa détermination : c’est précisément ce qu’a fait la Réserve fédérale américaine au cours des derniers mois, en remontant ses taux directeurs en deux temps pour les porter dans une fourchette de 1,5 à 1,75 %, soit quasi 2 % de plus qu’en Europe. Aux États-Unis, l’impact sur les prix se fait déjà sentir avec un ralentissement de la demande dans des secteurs comme l’immobilier et la construction, où les prix ont commencé à baisser – y compris sur les marchés internationaux.

Mais il y a un effet collatéral : le différentiel de taux rend les placements en dollars plus attractifs et l’euro s’affaiblit rapidement face à la devise US. Depuis le début de l’année, il a perdu environ 12 % pour frôler la parité (1 € = 1 $). Conséquence : non seulement les voyages outre-Atlantique coûtent plus cher, mais les produits achetés en dollars par les Européens renchérissent ! Produits pétroliers, matières premières, céréales… De quoi contribuer… à renforcer l’inflation. En relevant ses taux, la BCE cherche aussi à réduire le différentiel. « Mais sa marge de manœuvre est plus étroite, prévient Sylviane Delcuve. Outre-Atlantique, la croissance était vigoureuse. En Europe, on évoque déjà une récession d’ici la fin de l’année. Elle ne peut prendre le risque d’aggraver la situation. »

3. Sur les crédits

Les taux directeurs sur lesquels agit la BCE sont des taux à court terme, mais ils impactent en cascade tous les autres taux sur les marchés financiers. Ceux auxquels les ménages, les entreprises, les États empruntent aux banques pour financer leurs achats (immobiliers, par exemple), leurs investissements, leur dépenses budgétaires excédentaires. Ici aussi, tout est question d’anticipation, expliquent nos expertes. Vu les tensions inflationnistes, les marchés s’attendaient à un resserrement de la politique monétaire et les taux à plus long terme ont entamé leur remontée depuis quelques mois.

« Autrement dit, le relèvement attendu ce jeudi ne devrait pas avoir beaucoup d’effet, sauf s’il est plus important que prévu », estime Charlotte de Montpellier. Prenez le taux à long terme de référence en Europe, le Bund allemand à 10 ans : il était encore négatif en 2021, à -0,5% en août dernier, il tourne aujourd’hui autour de 1,15 %, en baisse après un pic à 1,75 % à la mi-juin, quand la BCE a fait part de ses intentions. Chez ING, on s’attend à ce qu’il se stabilise autour de 1,25 % d’ici la fin de l’année, même si on n’exclut pas un petit rebond en cas de surprise côté BCE.

« On devrait s’approcher d’un sommet pour les taux hypothécaires »

Même tendance en Belgique, où l’obligation d’État (OLO) à 10 ans est remontée pour osciller entre 1,5 et 2 % et devrait, selon les prévisionnistes, se stabiliser autour de 1,5 % d’ici fin 2023, début 2024. C’est le taux moyen auquel devront se financer nos gouvernements dans les prochains moins, alors qu’ils empruntaient quasi gratuitement jusqu’il y a peu. Pas une bonne nouvelle pour les finances publiques, mais cela reste sous contrôle. Les taux longs influencent également ceux des crédits hypothécaires, à la consommation et d’investissement. S’ils ont très logiquement repris du poil de la bête ces derniers mois, en hausse de 1 à 1,5 % en moyenne, ils devraient se stabiliser ces prochains mois. Sauf, à nouveau, si la BCE frappe plus fort que prévu – ou si l’inflation continue à grimper durablement. « On devrait s’approcher d’un sommet pour les taux hypothécaires », estiment nos interlocutrices. Ceux qui viennent de contracter un emprunt ou ont un crédit à taux variable ont déjà été impactés. Pour les autres, a priori, il ne sert à rien de se précipiter, aucune flambée n’est annoncée.

4. Sur les bourses et les marchés financiers

Les bourses mondiales sont en plein marasme depuis le début de l’année et elles le doivent à la fois à la guerre en Ukraine, au retour de l’inflation et aux anticipations – encore elles – de hausse des taux. « Celle-ci dégrade les valorisations boursières car elle menace d’alourdir les coûts d’investissement et l’endettement des entreprises, explique Sylviane Delcuve. Quand les taux longs se détendront, les bourses auront passé le pire. »

Christine Lagarde, présidente de la BCE

Plus fondamentalement, estime Charlotte de Montpellier, l’instabilité des bourses s’explique par le changement de politique des banques centrales. « Pendant des années, elles se sont concentrées sur le soutien à la croissance, ce qui était confortable pour les marchés qui s’attendaient à un coup de pouce en cas de ralentissement de l’économie. » La situation a radicalement changé avec le focus remis sur l’inflation, quitte à sacrifier la croissance, au moins temporairement. De leur côté, les marchés obligataires souffrent aussi de la hausse des taux qui réduit leur valeur faciale et a même conduit à un mini-krach obligataire au premier semestre.

Et demain ? « La hausse annoncée des taux de la BCE a déjà produit ses effets, les marchés voient plus loin. Ce qui importe aujourd’hui pour les bourses est ce qui va se passer cet hiver, la façon dont les bénéfices des entreprises évolueront face aux menaces de récession. » 

5. Sur l’épargne

Ne rêvez pas, ce n’est pas un relèvement de 0,25 ou même de 0,50 % qui changera quoi que ce soit au rendement des comptes d’épargne traditionnels. Au mieux, le principal taux directeur de la BCE reviendra à 0 alors qu’il est aujourd’hui négatif : pas de quoi permettre aux banques de se monter généreuses vis-à-vis des épargnants. Les maigres 0,11 % actuellement garantis sur les comptes réglementés ne vont pas bouger de sitôt. « Aucune chance », martèle Sylviane Delcuve.

En revanche, les petits épargnants n’en sont pas toujours conscients, avec une inflation galopante, l’argent qui dort sur un compte épargne perd tous les jours de la valeur. En Belgique, le différentiel atteint aujourd’hui quasiment 10 %. Autrement dit, si vous avez 50.000 euros d’économie placés sur un livret, il n’en vaudront plus que 45.000 dans un an, toutes autres choses étant égales. Autant espérer, du coup, que le resserrement de la politique monétaire européenne produise rapidement ses effets sur l’inflation. A moins de placer vos économies ailleurs, dans l’immobilier par exemple qui, lui, continue de bien se comporter. Pour le moment.

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