Un magasin Sephora pourrait bientôt voir le jour en Belgique. De quoi faire frémir les enseignes de cosmétiques locales? © Getty Images

Comment l’arrivée de Sephora risque de bouleverser le marché cosmétique belge: «La concurrence va être rude»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La chaîne de cosmétiques Sephora devrait bientôt s’implanter en Belgique. Une nouvelle qui ravit les jeunes générations, mais qui pourrait faire de l’ombre aux enseignes locales telles qu’ICI Paris XL ou April. A moins d’un sursaut stratégique.

C’est une ouverture qui a longtemps été fantasmée. Depuis des années, les fans inconditionnels de maquillage et cosmétiques rêvent de voir Sephora débarquer en Belgique. Un vœu qui serait en passe d’être exaucé. A en croire les informations révélées par L’Echo la semaine dernière, le mastodonte de la beauté pourrait prochainement s’installer dans la capitale.

Si le géant français détenu par LVMH depuis 1997 refuse de commenter l’information, laissant planer le doute sur le lieu précis et la date d’ouverture du futur magasin belge, l’annonce a suscité un engouement inédit sur les réseaux sociaux. Il faut dire qu’en une petite trentaine d’années, Sephora s’est imposée comme la référence mondiale en matière de produits de beauté. Avec plus de 2.700 magasins dans 35 pays à travers le globe, la chaîne «bénéficie d’un capital de marque puissant, déjà solidement ancré dans l’esprit des consommateurs belges grâce aux voyages, aux achats en ligne et à l’influence des créateurs de contenu», analyse Claire Gruslin, professeure de marketing à HEC Liège. L’absence de magasin physique en Belgique, contrairement aux marchés voisins (France, Allemagne), a contribué à une impression de «rareté» des produits, dopant ainsi la popularité de la marque sur le sol belge.

La force des réseaux

Sur le plan stratégique, Sephora se démarque de ses concurrents par le large éventail de produits proposés. La chaîne mise tant sur les classiques du luxe (Dior, Chanel, Lancôme…) que sur les marques émergentes (Sol de Janeiro, Kayali…), tout en capitalisant sur son propre nom (Sephora Collection). L’enseigne a également signé des collaborations exclusives avec des marques de stars influentes, telles que Fenty Beauty (commercialisée par la chanteuse Rihanna), Rare Beauty (par Selena Gomez) ou Haus Labs (par Lady Gaga).

Si Sephora plaît tant aux beauty addicts, c’est aussi grâce à la diversité des services offerts en boutique, observe Isabelle Schuiling, professeure de marketing à l’UCLouvain. Diagnostics de peau personnalisés, maquillage sur-mesure par des professionnels, tests (virtuels) de produits via la réalité augmentée: le client, qui peut circuler dans les rayons en toute liberté, est chouchouté de la tête aux pieds. A tel point qu’une visite en magasin est devenue une véritable «expérience retail immersive», résume Claire Gruslin.

Mais la véritable force de la marque réside en son omniprésence sur les canaux de diffusion. «Sephora mise sur une stratégie multicanale basée sur le « anytime,anywhere » (NDLR: partout,tout le temps), souligne Elise Le Moing-Maas, docteure en sciences de l’information et de la communication et présidente du master en Relations Publiques à l’IHECS (Institut des Hautes études des communications sociales). Elle se décline sur les réseaux sociaux mais aussi sur ses propres sites web en s’appropriant les codes de chaque plateforme et de chaque région géographique ciblée.» Elle dépasse ainsi les 22,8 millions de followers sur Instagram, alors que la page Sephora France regroupe plus de deux millions d’adeptes. Le leader de la beauté n’est pas non plus en reste sur TikTok, avec quelque deux millions d’abonnés.

Des atouts solides

Cette force de frappe virtuelle permet d’entretenir des liens avec une communauté très engagée, mue par un puissant sentiment d’appartenance à la marque. «Sephora capitalise beaucoup sur les influenceuses, qui incarnent une certaine authenticité et deviennent presque des copines pour les jeunes filles, analyse Elise Le Moing-Maas. En se filmant en train de se préparer dans leur salle de bains (une tendance popularisée via le hashtag #getreadywithme), les influenceuses ont contribué à la normalisation d’une certaine « routine beauté » dès le plus jeune âge, avec l’application de multiples produits à la suite, alimentant ainsi le besoin de se procurer les dernières tendances.»

«Sephora capitalise beaucoup sur les influenceuses, qui incarnent une certaine authenticité et deviennent presque des copines pour les jeunes filles.»

Bref, Sephora a bouleversé les codes de l’industrie de la beauté, en transformant l’usage des crèmes, blushs et autres mascaras en une véritable expérience à 360 degrés. Un modèle qui séduit indubitalement les jeunes générations, et qui pourrait bien faire de l’ombre aux enseignes plus traditionnelles ancrées en Belgique, telles qu’ICI Paris XL, April (anciennement Planet Parfum) ou encore Inno. «C’est vrai que la concurrence va être rude», reconnaît Claire Gruslin, qui estime toutefois que l’offre de produits, seule, ne tranchera pas le match.

Les schémas classiques qui opposent mastodonte global et marques locales ne débouchent pas systématiquement sur une défaite des seconds, rappelle Isabelle Schuiling. «Dans le passé, quand McDonalds a voulu s’implanter sur le marché belge, il s’est opposé à une forte résistance de Quick, compare la professeure de marketing. On parle évidemment ici d’un secteur différent, mais généralement, les acteurs locaux disposent d’atouts solides sur lesquels ils doivent miser»

Un marché saturé?

Contrairement à Sephora, ICI Paris XL et consorts jouissent par exemple d’une connaissance fine du marché belge et de ses spécificités, telles que les différences linguistiques et culturelles propres à chaque région. Implantées depuis de nombreuses années, ces marques ont également pu développer un lien de fidélité avec leurs clients, notamment via des offres promotionnelles régulières. «Elles ont de larges bases de données qu’elles doivent absolument continuer à exploiter pour proposer encore plus de deals avantageux et ainsi conserver une partie de leur clientèle», préconise la professeure en marketing à l’UCLouvain.

Si Sephora peut bénéficier de son image de marque dynamique et tendance auprès de la jeune génération, le concept n’a pas forcément vocation à séduire un public plus âgé. «Or, c’est cette catégorie d’âge qui a le pouvoir d’achat le plus élevé et qui a tendance à être le moins volatil, contrairement aux jeunes qui papillonnent d’une enseigne à l’autre», souligne Isabelle Schuiling. Bref, pour la spécialiste en marketing, «rien n’est gagné d’avance» pour Sephora. D’autant que le marché belge, de petite taille, est déjà caractérisé par une forte densité de parfumeries et autres enseignes de beauté. «Même les pharmarcies vendent des cosmétiques.»

De son côté, ICI Paris XL assure ne pas redouter l’arrivée de Sephora. «La concurrence fait partie intégrante du secteur et nous la considérons comme une opportunité pour continuer à nous améliorer», réagit le groupe, dont l’objectif est de «rester la référence beauté en Belgique». Pour garder la tête hors de l’eau, la chaîne de parfumeries mise d’ailleurs sur son «expertise locale acquise au fil des années» et sur «la relation de confiance» bâtie avec sa clientèle. «Nous continuerons d’investir dans l’expérience client, tant en magasin qu’en ligne, en renforçant nos services, nos conseils personnalisés et nos programmes de fidélité», insiste encore la marque.

 

 

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