Le 29 septembre, en quarantaine parce que positif au Covid, le chancelier allemand Olaf Scholz annonçait par écrans interposés un plan de 200 milliards s’étalant jusqu’au printemps 2024. © belga image

Allemagne, France, Espagne: quel soutien face à l’inflation dans les pays européens?

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le bazooka en Allemagne, le bouclier en France, le pass ferroviaire en Espagne, «famille d’abord» au Portugal… Les pays membres de l’Union européenne avancent en ordre dispersé pour soutenir leur population face à l’inflation.

Le moins qu’on puisse écrire est que cela manque d’harmonie. Aucun Etat européen n’échappe pourtant au risque de poussées de fièvre dans la rue. L’Union européenne aurait pu imaginer un plan à 27, mais l’Europe sociale est ce qu’elle est… «Il n’y a aucune coordination dans les aides aux ménages et aux entreprises, regrette Giovanni Sgaravatti, de l’institut Bruegel, le groupe de réflexion européen basé à Bruxelles. Cela peut poser des problèmes de concurrence au sein de l’UE et rendre difficile la négociation d’une politique énergétique cohérente.»

Ce constat est plus que jamais approprié, avec l’annonce récente de l’Allemagne qui débloquera une enveloppe de 200 milliards d’euros pour des mesures s’étalant jusqu’au printemps 2024. Ce bazooka dégainé par Berlin, qui avait déjà créé la surprise avec son plan Covid de 130 milliards en 2020, a secoué plus d’une capitale du Vieux Continent: 200 milliards, c’est près de 5% du PIB du pays. Qui peut se permettre de frapper aussi fort en Europe? Plusieurs gouvernements, dont le belge, et la Commission européenne ont fait savoir qu’une telle aide massive était incompatible avec le fonctionnement des autres économies de l’Union.

Le manque de coordination des Vingt-Sept en matière d’aides rend difficile la négociation d’une politique énergétique cohérente.

Il faut préciser que cette énorme enveloppe, destinée à plafonner les prix de l’énergie, s’ajoute à des mesures de soutien déjà prises par le chancelier Scholz, très à l’écoute des Länder inquiets de la colère populaire qui monte: notamment un chèque énergie de trois cents euros pour tous les contribuables, une aide aux familles de cent euros par enfant ou des tickets de transport en commun (à hauteur de neuf euros par mois) valables dans tout le pays. Berlin a aussi diminué les taxes sur les carburants. Par ailleurs, les manifestations se multiplient pour réclamer une hausse des salaires, en particulier dans l’industrie où le syndicat IG Metall s’avère puissant. Le salaire minimal a déjà été relevé, en juin dernier.

La France, elle, a adopté son fameux «bouclier tarifaire» très tôt, dès septembre 2021, lorsque les prix de l’énergie ont commencé à grimper à cause de la relance post-Covid. Ce rempart énergétique, qui a permis de limiter la hausse des prix de l’électricité à 4% et celle du gaz à 15%, au lieu de hausses de plus de 100%, est la principale arme de l’Hexagone pour contrer les effets de l’inflation dont le taux, en France, est dès lors resté l’un des plus bas d’Europe. Cette mesure, assez efficace mais coûteuse pour l’Etat (45 milliards d’euros, soit 1,5% de son PIB), devrait être prolongée en 2023 mais avec un peu moins d’effets protecteurs. S’y ajoute un chèque énergie de cent à deux cents euros accordé aux ménages les plus fragiles, soit environ six millions de Français.

Autre voisin, autre méthode. Les Pays-Bas viennent d’entériner dans le budget du gouvernement pour 2023 un plan de 17,2 milliards d’euros (environ 1,5% du PIB) pour aider les ménages les plus modestes à payer leurs factures d’énergie et d’alimentation. Environ douze milliards seront consacrés à des mesures spécifiques, comme la réduction des droits d’accises sur le carburant, une hausse de l’allocation de soins de santé ainsi que du «budget enfant». Les cinq milliards restants serviront à des mesures structurelles comme une augmentation du crédit d’impôt pour l’emploi et, surtout, de 10% du salaire minimal. Ces mesures seront en partie financées par une hausse de l’impôt sur le patrimoine (actuellement à 1,2%) et de celui sur les sociétés, avec un prélèvement spécial sur les bénéfices des sociétés d’hydrocarbures, à l’instar de l’Allemagne, d’ailleurs.

L’exception ibérique

Avec un programme d’aides dont l’addition s’élève déjà à près de seize milliards d’euros (1,1% du PIB), l’Espagne se montre assez généreuse envers ses citoyens: augmentation des aides sociales, remise de vingt centimes par litre de carburant à la pompe, chèque de deux cents euros pour les foyers les plus modestes, TVA réduite à 5% sur l’électricité. Depuis fin août et jusqu’à la fin de l’année, les Espagnols se voient proposer un pass ferroviaire gratuit sur les lignes locales et interurbaines de moyenne distance, qui remporte un franc succès et coûtera plus 220 millions à l’Etat. Avec son voisin portugais, Madrid a également obtenu de l’UE, cet été, de décrocher du système tarifaire énergétique européen, vu le faible réseau d’interconnexions électriques avec le reste du continent. Les deux pays peuvent donc plafonner les prix de l’électricité jusqu’en mai 2023.

Outre son exception ibérique, le Portugal a déjà déboursé quatre milliards d’euros (1,7% de son PIB) pour un programme de huit mesures, baptisé «les familles d’abord», comprenant, entre autres, une revalorisation des pensions, un chèque de 125 euros pour les personnes gagnant moins de 2 700 euros bruts mensuels, revalorisé de cinquante euros par enfant, une baisse des taxes sur le carburant (jusqu’à la fin de cette année au moins). Le gouvernement d’Antonio Costa a aussi boosté le salaire minimal qui était fort bas au sein de l’UE, à 822 euros en 2022, contre 775 en 2021. Il a, en outre, annoncé, pour l’an prochain, un plafonnement de la hausse des loyers à 2% et un gel des tarifs des transports en commun.

De son côté, l’Italie n’a pas lésiné sur les moyens pour aider les familles et les PME, additionnant les milliards d’euros. La note s’élève déjà à 66 milliards, soit 3% du PIB de la Botte. A quelques jours des élections, Mario Draghi a encore validé un plan de seize milliards, incluant un bonus de 150 euros pour les ménages gagnant moins de 20 000 euros bruts par an, retraités compris. Cela devrait concerner un Italien sur trois. Une réduction fiscale de trente centimes sur le litre de carburant devait également se poursuivre jusqu’à l’automne. La TVA sur le gaz a été diminuée de 22 à 5%. Des baisses d’impôt sont accordées aux entreprises particulièrement énergivores pour que cela ne se répercute pas sur les prix pour les consommateurs.

Pour financer tout cela et ne pas trop augmenter sa dette déjà abyssale, Rome a émis, cet été, le «BTP Futura», un emprunt obligataire à haut rendement dédié aux particuliers. Ces bons du Trésor ont eu un franc succès. Mais, vu l’étendue de sa dette, les agences de notation menacent de dégrader l’Italie, ce qui devrait refroidir les ardeurs du futur gouvernement Meloni, de droite radicale, à diminuer les impôts comme promis durant la campagne.

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