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Colruyt-Delhaize, le match derrière les négociations sectorielles

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Patrons et syndicats du monde de la distribution se retrouveront à partir du 17 avril pour des négociations sectorielles qui risquent d’être pimentées. Le lendemain, sous la houlette d’un conciliateur social, les deux camps devront s’entendre sur les conditions de travail qui s’appliqueront aux quelque 648 000 personnes (chiffres de 2020) travaillant dans le secteur. Pendant ce temps, des Delhaize sont toujours fermés en signe de protestation contre la franchisation annoncée début mars par la direction du groupe.

C’est le 17 avril prochain que commenceront les négociations entre les employeurs et les représentants syndicaux du secteur de la distribution. Un secteur en ébullition depuis que la direction du groupe Delhaize a annoncé, le 7 mars, son intention de faire passer ses 128 magasins du statut d’intégrés au statut de franchisés. Autrement dit, de modifier le cadre de travail de quelque 9 200 salariés qui devraient dépendre, à l’avenir, de patrons indépendants et non plus de la direction centralisée d’un même groupe.

Les négociations sectorielles, qui ont lieu tous les deux ans dès qu’un accord interprofessionnel est conclu au niveau fédéral, ne se dérouleront donc pas tout à fait dans un climat habituel. Car il ne s’agira pas ici, selon toute vraisemblance, d’évoquer d’éventuelles augmentations salariales. La discussion portera bien davantage sur les conditions de travail du personnel employé dans la grande distribution.

Des conditions de travail différentes

C’est bien cela qui a mis le feu au poudre, après l’annonce de Delhaize: le personnel travaillant dans des magasins franchisés ne bénéficie pas des mêmes conditions de travail que celui des magasins intégrés.

Le secteur du commerce compte cinq commissions paritaires (CP) différentes: la CP 201 concerne les franchisés ainsi que les petites PME, souvent familiales, actives dans le commerce de détail. On y recense un peu plus de 100 000 points de vente, dont 21 000 environ emploient moins de dix travailleurs. Si un commerçant met plus de 20 salariés au travail dans l’alimentaire et dispose de maximum deux magasins (siège social non inclus), il est relié à la CP 202.01. La CP 202, elle, rassemble les grandes surfaces comme Colruyt et, jusqu’à présent encore, Delhaize. Les enseignes non alimentaires (Médiamark, Krefel, H&M…) dépendent de la CP 311 et les hypermarchés comme Cora et Carrefour, de la CP 312.

A chaque commission correspondent des conditions de travail et des minima sociaux particuliers en termes de salaire, d’heures de travail, de congés, de représentation syndicale et de flexibilité. Certains employeurs ont tôt fait de comprendre comment tirer profit de la situation. « Il en est qui disposent de cinq magasins, enregistrés sous des noms de propriétaires différents, de manière à rester attachés à la CP 202.01, souligne Myriam Djegham, secrétaire nationale du secteur commerce de la CSC. Ce n’est pas normal. »

1 pour 3000

Dans un secteur ultra-concurrentiel – la Belgique compte une proportion d’un supermarché pour 3 000 habitants, l’un des taux les plus élevés d’Europe -, cette situation fait grincer des dents parmi ceux qui restent fidèles au modèle intégré. Ainsi, le groupe Colruyt a adressé un courrier au ministre fédéral du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), lui demandant de rationaliser les organes de concertation sociale dans le secteur de la distribution de manière à le rendre plus équitable.

«Des employés ayant la même fonction et les mêmes tâches dans un supermarché gagnent jusqu’à 400 euros de moins par mois lorsqu’ils appartiennent à la commission paritaire 201 et non 202. C’est difficilement justifiable», constate la firme Colruyt dans ce courrier. Le groupe doit sentir le vent du boulet. Outre Delhaize, qui opte désormais clairement pour la franchise, le groupe Albert Heijn s’en tient à cette formule depuis 2016. Comme Carrefour.

Il y a donc un brin de rififi parmi les enseignes. Ce qui met sans doute la fédération patronale du secteur, Comeos, dans une position délicate. « Nous n’avons aucune ligne définie à communiquer sur le sujet pour l’instant », y dit-on. La situation ne doit pas être confortable non plus pour l’UCM (Union des classes moyennes), qui doit assurer la défense à la fois des franchisés et des petits indépendants, eux aussi malmenés par la concurrence. L’UCM représente en effet les employeurs au sein des CP 201 et 202.01, dont devraient dépendre à l’avenir le personnel venu des ex-Delhaize intégrés.

« Nous ne sommes pas demandeurs de revoir l’organisation des commissions paritaires « commerce » mais il n’y a pas de tabou en tant que tel », a déclaré, dans les colonnes de L’Echo, Pierre-Frédéric Nyst, le président de l’UCM. Avec des nuances: « Ce que veulent les syndicats, c’est tirer l’ensemble vers le haut, vers les conditions de la CP 202, des magasins intégrés. Ça, c’est non. Par contre, insuffler dans les commissions paritaires des éléments de modernité, c’est oui. »

Les syndicats sont alignés

Reste à s’entendre sur les « éléments de modernité ». Les trois organisations syndicales (FGTB, CSC, CGSLB) défendent en choeur la simplification et l’harmonisation des commissions paritaires. « Ca ne se justifie pas d’en avoir cinq, affirme Wilson Wellens, responsable sectoriel national de la CGSLB. Les règles devraient être redéfinies pour déterminer quelle enseigne doit dépendre de quelle commission et selon quels critères. Par exemple, établir qu’une fois passé le cap de x magasins ou de x membres du personnel, la marque dépend d’office de la CP 202 ». Pour le banc syndical, il y a là une possibilité historique de repenser tout le système.

Sur ce sujet, précisément, les bancs patronaux et syndicaux rencontreront le conciliateur social désigné, Matthias Jacxsens, également président de la commission paritaire 202, le 18 avril, parallèlement aux négociations sectorielles entamées la veille.

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