Jean Dujardin, dans OSS 117: la version parodique de l'espion. © 2005 GAUMONT - PHOTOS: EMILIE DE LA HOSSERAYE

Top Secret, l’expo qui retrace les liens entre cinéma et espionnage

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

La Cinémathèque française propose, sous l’intitulé Top Secret, une exposition foisonnante consacrée aux liens féconds n’ayant cessé de lier cinéma et espionnage.

Jean Dujardin dans OSS 117: Le Caire, nid d’espions, de Michel Hazanavicius, et Eva Marie Saint dans La Mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock, se partagent l’affiche de Top Secret (1). Et pour cause: entre cinéma et espionnage, les liens, féconds, ne datent pas d’hier. Ils écrivent comme une histoire parallèle du Septième art, inscrite dans les plis de la géopolitique mondiale, dont rend idéalement compte l’exposition qu’ accueille la Cinémathèque française jusqu’en mai prochain.

Tel un espion, le cinéaste a recours aux technologies pour enregistrer ou falsifier le réel, raconter une histoire.

«L’ agent secret est le support de tous les fantasmes et de toutes les ambiguïtés romanesques», postulent les commissaires Alexandra Midal et Matthieu Orléan. Sa figure ne pouvait donc qu’aimanter le cinéma, affinités encore renforcées par une évidente parenté technique: «Tel un espion, le cinéaste a recours aux technologies – low tech ou de pointe – pour enregistrer ou falsifier le réel, raconter une histoire.» Elle a, du reste, inspiré les plus grands réalisateurs, de Fritz Lang (Les Espions) à Hitchcock, à pas moins d’une dizaine de reprises ; de Joseph Mankiewicz (L’Affaire Cicéron) à Francis Ford Coppola (Conversation secrète)… Sans oublier, plus près de nous, Steven Spielberg (Le Pont des espions), Christopher Nolan (Tenet) ou Olivier Assayas (Cuban Network), le genre s’avérant aussi indémodable qu’inépuisable, l’actualité se chargeant de l’alimenter et de le reprofiler, comme en attestent les évolutions d’un James Bond.

Pour Hitchcock, Ingrid Bergman incarne l'espionne Alicia Huberman dans Les Enchaînés.
Pour Hitchcock, Ingrid Bergman incarne l’espionne Alicia Huberman dans Les Enchaînés. © Tamasa Distribution

Un monde bipolaire

Le parcours proposé répond donc à une double dynamique, suivant un fil chronologique courant de Protéa, première espionne de l’histoire du cinéma, à Edward Snowden, itinéraire où abondent les exemples de convergences entre les deux univers. Première balise: les clandestines des grandes guerres, celles qui comme Mademoiselle Docteur, campée par Dita Parlo pour Georg Pabst, les multiples incarnations de Mata Hari – Greta Garbo, suivie de Jeanne Moreau et Sylvia Kristel – , ou encore Ingrid Bergman/Alicia Huberman dans Les Enchaînés, d’Hitchcock, hantent, fictives ou inspirées de faits réels, l’imaginaire cinéphile tandis qu’elles se débattent dans les tourments des deux guerres mondiales. Le cinéma d’espionnage se nourrit des frictions planétaires, et l’on ne sera guère surpris qu’un large volet de l’exposition soit consacré à la guerre froide qui lui a fourni bon nombre de ses intrigues. Et cela, des plus sérieuses – de L’Espion qui venait du froid, de Martin Ritt, au plus récent La Taupe, de Tomas Alfredson, les nombreuses adaptations d’un John le Carré, passé par les services secrets – aux plus fantaisistes, 007 en tête qui, s’il est né de l’imagination de Ian Fleming, un autre ex-agent, est aussi un pur produit de ce monde bipolaire qu’il a su entraîner en territoire pop, gadgets et iconographie idoine à l’appui. A cet égard, la découverte de maquettes des décors du génial Ken Adam (production designer sur sept Bond, mais aussi sur The Ipcress File, mettant en scène Harry Palmer, l’un de ses multiples imitateurs) est un pur régal.

La série Le Bureau des légendes, avec Mathieu Kassovitz, illustre un nouveau chapitre dans l'histoire des fictions d'espionnage.
La série Le Bureau des légendes, avec Mathieu Kassovitz, illustre un nouveau chapitre dans l’histoire des fictions d’espionnage. © Canal+, Larry Towell / Magnum Photos

Les années 1970 consacrent, elles, l’avènement du thriller paranoïaque, de Conversation secrète, de Francis Ford Coppola, aux Trois jours du condor, de Sydney Pollack. Et avec lui, le règne de l’ambiguïté et de la désillusion, comme pendant à la complexité croissante du monde et à une opacité systémique. Une réalité s’ étant amplifiée depuis et qu’illustrent le chapitre consacré à la terreur et au terrorisme (avec Zero Dark Thirty, où Kathryn Bigelow retrace méticuleusement la traque clandestine de Ben Laden par la CIA, ou les séries Homeland et Le Bureau des légendes) et celui sur le citoyen-espion, où Jason Bourne croise les lanceurs d’alerte Edward Snowden ou Chelsea Manning – manière aussi de raccrocher Top Secret à l’actualité la plus récente et à un présent nébuleux.

Le genre s’avère aussi indémodable qu’inépuisable, l’actualité se chargeant de l’alimenter et de le reprofiler.

Imagination sans bornes

Comme souvent à la Cinémathèque française, la scénographie s’appuie sur une galerie d’objets venus chatouiller le fétichisme des visiteurs. Arme de Francisco Scaramanga dans L’Homme au pistolet d’or, sous-marin requin d’Octopussy, tenue de Jinx dans Die Another Day, mais aussi costume de OSS 117 ou brevet du système de communication d’Hedy Lamarr, la liste est longue que complètent les habituels storyboards, extraits de scénarios, photos de plateau, affiches et on en passe. Mais si les cinéphiles y trouvent largement leur compte, l’un des intérêts de l’exposition réside aussi dans son ancrage dans la réalité, aux gadgets des espions de celluloïd répondant les trouvailles innombrables des services secrets. Machine de chiffrement Enigma allemande, rat piégé du MI6, chaussures de soirée à talon rétractable avec lame, mais encore parapluie bulgare dont la pointe dissimule une aiguille hypodermique ou rouge à lèvres de la Stasi contenant un pistolet, il y en a là toute une panoplie, témoignant d’une imagination et d’une ingéniosité sans bornes, et venue rappeler que la réalité, bien souvent, n’a rien à envier à la fiction…

L'un des intérêts de l'expo réside aussi dans les gadgets développés par les divers services secrets.
L’un des intérêts de l’expo réside aussi dans les gadgets développés par les divers services secrets. © DGSE – Ministère des Arméestribution

(1) Top Secret, cinéma et espionnage,à la Cinémathèque française, à Paris, jusqu’au 21 mai.

La très secrète Hedy Lamarr

Consacrant un large volet aux femmes agents secrets, l’exposition s’emploie aussi à en déconstruire la représentation sexiste, telle qu’incarnée par Mata Hari, la reine du «sexpionnage», pour rétablir leur apport stratégique. Valable à l’écran (avec des figures inspirées ou non de véritables espionnes), le postulat en a largement débordé, la fiction rejoignant la réalité. Marlene Dietrich, qui interpréta l’Agent X 27 pour Josef von Sternberg, espionna ainsi les nazis pour le compte de l’Office of Strategic Services américain. Mieux même, la sulfureuse Hedy Lamarr (photo), surtout connue comme The Ecstasy Girl pour avoir interprété le premier orgasme de cinéma et qui joua par ailleurs dans Espionne de mon cœur, fut aussi une scientifique de génie. Elle inventa, avec le compositeur George Antheil, un «système secret de communication» pour engins radio-guidés appliqué aux torpilles dont elle déposa le brevet en 1941. Trop novateur, le procédé ne fut pas utilisé par la marine américaine pendant le conflit, mais bien pendant la crise des missiles. La technique d’étalement de spectre par saut de fréquence qu’elle avait imaginée a connu, depuis, des applications civiles, étant notamment à l’origine… du GPS.

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