Restauration d'art: l’Irpa a notamment analysé les couleurs de La Sainte Famille, de Jacob Jordaens (1617‑1618). © KIK-Irpa

Restauration d’art: le mystère de la perte d’éclat enfin résolu?

Laetitia Theunis Journaliste

Les œuvres des maîtres flamands souffrent du passage du temps. La compréhension de la formation des composés chimiques altérant leurs couleurs va bon train. De quoi imaginer un remède aux taches qui les défigurent et améliorer encore la restauration d’art?

Lors de la restauration, de 2012 à 2019, de L’Adoration de l’Agneau mystique, chef-d’œuvre des frères Van Eyck achevé en 1432, des petites taches brunes ont été observées. «Elles étaient assez gênantes, surtout dans une peinture des primitifs flamands, laquelle est sensée présenter une couche très lisse, propre, lumineuse et saturée en couleurs, confesse Francisco Mederos-Henry, chimiste et restaurateur de peintures au laboratoire des polychromies de l’Institut royal du patrimoine artistique (Irpa). A certains endroits, de légers voiles grisâtres ternissaient aussi les couleurs. D’autres cas, bien plus extrêmes, avec la formation d’une croûte brunâtre, ont été découverts sur d’autres peintures flamandes datées du XVe au XVIIe siècle. Cela nous a conduits à étudier de plus près la formation des coupables, à savoir les oxalates métalliques

Placer les œuvres dans des conditions d’humidité relative moyenne, sans fortes variations, permettrait de réduire la vitesse de dégradation.

Pendant six ans, l’institut de recherche a coordonné le projet MetOx, financé par la Politique scientifique fédérale (Belspo). Pas moins de 48 peintures réalisées entre les XVe et XVIIe siècles par de grands peintres belges, dont Jan Van Eyck, Antoine van Dyck et Pierre Paul Rubens, appartenant aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique et à la National Gallery de Londres, ont été analysées. Et ce, à l’aide de dix méthodes analytiques, permettant des approches allant de l’échelle macroscopique, avec l’étude de la surface des peintures, à l’échelle nanométrique, et donc moléculaire.

Jusqu’au cœur des couches picturales

Résultat? Parmi ces œuvres majeures du patrimoine, pratiquement toutes contenaient des oxalates métalliques. En étudiant la distribution de ces molécules, les chercheurs ont découvert que le problème ne se situait pas exclusivement à la surface de la peinture, c’est-à-dire dans une couche que l’on aurait pu facilement enlever. En réalité, les oxalates métalliques envahissent, sous différentes formes, le cœur même des couches picturales originales. Ils sont le produit du vieillissement naturel de la peinture. C’est que, dans une couche picturale, l’huile sert de liant aux différents pigments et, avec le temps, celle-ci se dégrade. «En s’oxydant sous l’effet de la lumière et de l’humidité, l’huile se casse en molécules de plus petite taille, précise Francisco Mederos-Henry, lesquelles finissent par former des anions oxalates – des molécules chargées négativement. Ceux-ci se lient alors spontanément avec des cations – des atomes chargés positivement – issus d’un pigment. En fonction de la couleur et de la nature de celui-ci, on a affaire à des oxalates de calcium, de cuivre, de zinc, etc.»

La reproduction de la surface d’une peinture à l’échelle nanométrique a permis de découvrir les coupables: les oxalates métalliques.
La reproduction de la surface d’une peinture à l’échelle nanométrique a permis de découvrir les coupables: les oxalates métalliques. © KIK-Irpa

Au laboratoire, les chercheurs ont créé des couches picturales similaires à celles des peintres flamands et les ont ensuite vieillies artificiellement. L’opération a permis de lever le voile sur le mécanisme de formation des oxalates. Etonnamment, tout en étant au centre de la couche picturale, leur composition chimique évolue au fil du temps, se liant à un cation particulier puis à un autre pour ensuite migrer vers la surface de la peinture où ils se transforment invariablement en oxalate de calcium. «C’est cette molécule très stable qui dégrade les peintures par la formation de voiles grisâtres ou brunâtres. Nous avons pu montrer qu’en l’absence d’humidité, il n’y avait pas de formation rapide de ces oxalates. Au contraire, des taux d’humidité très élevés les favorisent. Placer les œuvres dans des conditions d’humidité relative moyenne, et surtout éviter des fortes variations, permettrait donc de réduire leur vitesse de développement.»

Des couleurs à double tranchant

«A la différence des pigments, qui sont historiquement extraits de minéraux, les laques sont préparées en réalisant l’extraction d’une matière colorante d’une plante ou d’un animal. Elles sont ensuite fixées sur un substrat inorganique, par exemple l’alun ou le carbonate de calcium», détaille Francisco Mederos-Henry. Avec l’équipe de recherche, il a identifié des colorants et des pigments favorisant la formation d’oxalates métalliques dans des peintures réalisées entre les XVe et XVIIe siècles dans les Pays-Bas méridionaux, soit l’actuel territoire belge: le vert-de-gris (pigment allant du vert émeraude au bleu-vert), l’outremer (pigment bleu intense), les laques de garance (rouge foncé) ou de cochenille (carmin)… «De façon ancestrale, la garance est une plante tinctoriale très utilisée en Europe, notamment à Gand pour teindre les laines à destination de riches acheteurs. La cochenille, elle, est un insecte vivant sur des cactus et donne, selon le pH de la solution de la laque, des tons très saturés entre le mauve et le rouge. Son usage est arrivé en Europe après la découverte des Amériques. Les Amérindiens avaient développé de nombreuses technologies tinctoriales, donnant de nombreux colorants qui se sont retrouvés en Europe, notamment dans les peintures.» Les chercheurs ont également identifié le blanc d’Espagne, soit du carbonate de calcium, entrant dans la préparation de la peinture, comme facilitateur de l’émergence d’oxalates métalliques.

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