Photographie de propagande de 1934 avec la légende "ce malade mental coûte annuellement 2 000 marks à l'Etat".

Survivre à l’Holocauste

Le 14 avril 1943, La Colonie psychiatrique de Geel reçoit un coup de fil de la Police de sûreté allemande qui commande que tous les patients juifs de l’institution soient déportés deux jours plus tard. Alors que l’établissement a rassemblé ce jour-là les résidents dans la clinique centrale, les Allemands n’arrivent pas… La Sipo annonce par téléphone que l’opération est reportée et que chacun peut être ramené à son lieu de résidence. Les Juifs de la Colonie psychiatrique ne seront plus jamais inquiétés. Comment ont-ils pu échapper à la déportation? Ont-ils bénéficié de l’aide d’un protecteur? Mais comment ces Juifs étaient-ils arrivés dans cette institution particulière?

A Geel, près d’Anvers, un mode particulier de traitement psychiatrique est appliqué de très longue date. Toute la commune est considérée juridiquement comme une institution psychiatrique ouverte. Les patients y sont placés sous la surveillance d’une clinique centrale, mais la plupart d’entre eux vivent dans des familles d’accueil au coeur même du village. Cette formule de soins en milieu familial qui a également existé à Lierneux (Verviers) a longtemps été d’avant-garde. Les hôtes sont rémunérés et, généralement, les patients contribuent aux travaux du ménage ou de la ferme. Le séjour est payé par les communes, institutions ou organisations de leur lieu de domicile. Les malades les plus nantis règlent d’ordinaire leur thérapie eux-mêmes et résident chez des habitants plus aisés. En 1939, on y dénombre quelque 3800 patients. Entre 1939 et 1945, une centaine d’entre eux sont d’origine juive. Certains y passent toute la guerre. D’autres y séjournent pendant une période plus brève. Si certains sont sans surprise de nationalité belge, ce sont environ quarante pour cent viennent d’Europe de l’Est. Ceux-ci se sont arrêtés chez nous alors qu’ils étaient en route pour l’Amérique, fuyant les persécutions, par les nazis ou autres, dans leur pays. On dénombre aussi quantité de Juifs venus des Pays-Bas, car cette Colonie psychiatrique est très populaire auprès des institutions et médecins néerlandais. A partir du 10 mai 1940, la Colonie et la commune sont également confrontées à l’occupation allemande et soumises à une série de mesures.

Embarquement de patients internés, dans un bus en 1941.
Embarquement de patients internés, dans un bus en 1941.

LA CRÉATION INCONSCIENTE D’UN MYTHE

Après la guerre, on a longtemps prétendu que plusieurs Juifs s’étaient cachés dans la Colonie psychiatrique. Le fait que les Juifs qui pouvaient y résider n’ont pas été déportés et ont pour la plupart survécu à l’occupation (à quelques décès naturels près) semble confirmer cette hypothèse confortée par une série de rumeurs. Ainsi, un ancien patient juif a affirmé que lui et plusieurs autres patients avaient bénéficié de la protection du bourgmestre de guerre Pelgroms (du parti de collaboration VNV (1)). Celui-ci a lui-même déclaré après la guerre qu’il avait refusé d’enregistrer les Juifs demeurant sur son territoire communal. C’est ainsi qu’est née l’idée qu’aucun registre de Juifs n’aurait existé dans cette commune. C’est qu’à partir du 28 octobre 1940, l’occupant allemand avait exigé que tous les Juifs soient consignés. La conviction que Geel avait été un havre sûr pour les Juifs avait été renforcée par le fait qu’une série d’anciens patients n’étaient pas « fous » selon nos normes. Ils s’étaient donc forcément réfugiés en cachette dans l’institution. Or, la commune accueillait aussi des orphelins et des nécessiteux dont certaines autorités ne savaient que faire. C’était le cas par exemple de tout un groupe de mineurs d’âge juifs recueillis par cet organisme. Autre possible confirmation : que certains Juifs qui avaient délaissé la Colonie pendant l’occupation avaient bel et bien perdu la vie dans les camps de la mort. La plupart ont quitté la ville à leur propre demande ou à celle de leur entourage. Quelques exemples : Fischel M. quitte Geel début 1942 et va vivre avec sa femme et ses enfants à Anvers. La quasi-totalité de la famille M. est envoyée à la caserne Dossin avant d’être déportée et assassinée à Auschwitz. Deux patients, Alter B. et Jozef B., sont transférés dans une institution fermée à Rekem. Le 6 octobre 1942, la Sipo (2) les emmène avec de nombreux autres Juifs. Eux non plus ne survivront pas à Auschwitz. Werner N., un Juif d’origine allemande, est autorisé par l’occupant à rejoindre son père aux Pays-Bas. Il y sera interné dans l’établissement psychiatrique Appeldoornssche Bosch. Dans la nuit du 21 au 22 janvier 1943, les SS déportent toute l’institution, soit 1200 patients juifs, qui seront gazés dès leur arrivée à Auschwitz. La déportation de bon nombre de parents des patients Juifs résidant dans d’autres villes belges semble également confirmer le mythe selon lequel Geel est un havre sûr. Or, la réalité est bien différente…

LA SIPO SAVAIT OÙ ILS SE TROUVAIENT

Il existait bel et bien un registre des Juifs à Geel. Dans un premier temps, la Colonie psychiatrique ouvre ce registre en concertation avec le prédécesseur du bourgmestre de guerre. Au cours des mois suivants, la gestion du registre est assurée conjointement par la Colonie et la commune. Durant toute l’Occupation, des données concernant les Juifs sont rassemblées, listées et transmises à des niveaux de pouvoir supérieurs et aux instances allemandes. La commune et la Colonie veillent à ce que personne n’échappe à l’enregistrement. Ainsi, les Juifs qui se présentent alors qu’ils ne disposent pas des documents (médicaux) requis ne sont pas admis et sont renvoyés. Ce souci d’enregistrement correct s’explique très probablement par l’ordonnance relative aux Juifs qui détermine qu’à partir du 29 août 1941, les Juifs ne peuvent plus résider qu’à Anvers, Bruxelles, Liège et Charleroi. Les Juifs vivant dans des institutions constituent une exception, mais doivent faire l’objet d’une inscription très précise. La Sipo-SD sait donc bientôt quels Juifs sont présents à Geel. Sur leurs listes figurent aussi les noms de ceux dont on affirmera plus tard qu’ils ont bénéficié d’une protection particulière. Le bourgmestre de guerre veillera cependant à ce qu’un tailleur juif « de santé mentale normale » vivant dans la localité ne soit pas repris dans le registre.

« L’autorisation » de Hitler datée du 1er septembre 1939 pour la mise en oeuvre de l’Aktion T4.

POLÉMIQUE SUR L’ÉTOILE JAUNE

Les patients juifs résidant dans le village se voient aussi imposer un couvre-feu et ne peuvent plus sortir entre 20h et 7 h. La discussion entre l’administration communale et la Colonie prend un tour hallucinant lorsque, le 7 juin 1942, tous les Juifs de plus de 6 ans sont obligés de porter l’étoile jaune. Les deux instances veulent chacune en faire endosser les frais par l’autre, et une correspondance animée se noue à ce propos. Finalement, la Colonie finance les bouts de tissu et se charge de les distribuer. S’agit-il d’une manoeuvre destinée à gagner du temps, dans l’espoir de ne pas devoir imposer ces fameuses étoiles ? Le fait qu’ensuite la Colonie veille à ce que les Juifs portent bien leur étoile semble contredire cette thèse. De nombreux habitants commencent seulement à réaliser que des Juifs vivent dans leur ville. Jusque-là, leur présence avait été noyée dans la patientèle hétérogène de l’institution, composée de Néerlandais, de Russes, d’Allemands, de Polonais…

A Geel, comme au niveau politique national, il se peut que le principe du moindre mal ait joué, et qu’on ait voulu accéder aux exigences des Allemands en ce qui concerne les Juifs afin de préserver un intérêt supérieur : la Colonie psychiatrique et son système thérapeutique. Pour de nombreux habitants, en effet, le traitement familial représente une source de revenus importante. Par ailleurs, ils s’inquiètent sincèrement du sort qui serait réservé aux patients si la structure était supprimée.

LE MYSTÉRIEUX DR FREITAG

Toutes les directives allemandes sont donc suivies, même si elles le sont souvent avec retard. C’est le cas aussi de l’ordre du 14 avril 1943 de rassembler tous les patients juifs en vue de leur déportation. Le même jour, des billets sont achetés pour les chemins de fer vicinaux. La Sipo-SD veut apparemment les emmener en transports en commun. Des membres du personnel vont même chercher certains patients dans leur famille d’accueil. Personne n’est caché. Et voilà que les Allemands ne viennent pas les arrêter. Ni plus tard, les réclamer. Dans certaines versions du mythe créé après la guerre, un certain Dr Freitag, dentiste, aurait joué un rôle important dans cette affaire. Il s’agirait du médecin-chef d’une unité militaire allemande stationnée à ce moment-là dans la Colonie. Interrogé par le médecin-directeur de la Colonie quant aux patients rassemblés, il aurait d’abord contacté la Kreiskommandantur à Turnhout, avant de renvoyer les patients chez eux. L’histoire suggère par ailleurs que Freitag n’était pas un nazi. En congédiant les patients, le Dr Freitag se voit doté de l’étiquette de protecteur des Juifs. Feu Jan Hoet, le pape de l’art contemporain en Flandre, dont le père était à l’époque médecin et dentiste à la Colonie, a raconté une histoire similaire.

Photographie réalisée par des médecins allemands pour illustrer leurs expériences de compression et de décompression menées avec un
Photographie réalisée par des médecins allemands pour illustrer leurs expériences de compression et de décompression menées avec un « cobaye » mentalement déficient.

Si l’on s’en tient aux simples faits, force est de constater que Freitag n’a rien fait d’héroïque. Il s’est contenté de renvoyer les Juifs chez eux. Il n’a donc pas empêché leur déportation. De plus, il ne renvoie les patients que lorsqu’il réalise que cette déportation n’aura pas lieu.

QUI A PROTÉGÉ LES JUIFS DE GEEL ?

Nous avons tenté de retrouver la trace de ce fameux Dr Freitag en menant des recherches intensives. A l’époque, des officiers allemands font des séjours sporadiques dans les habitations du personnel de la Colonie. Des médecins militaires, dont un dentiste, y soignent des soldats allemands gravement malades. Selon certains témoins, toutefois, ce dentiste s’appelait Dr Waldemar. En 1941, un certain Dr Walter Freitag travaille comme dentiste à Berlin. Il est Oberartz dans l’aviation de Berlin et étudie l’effet du froid sur les dents. En 1942, ce médecin participe à un congrès médical au cours duquel sont présentés les résultats d’expériences relatives au froid menées sur des prisonniers à Dachau. En 1943, il devient médecin de l’Etat-major attaché à son institut. En tant qu’officier et dentiste allemand, ce Freitag répond à peu près au profil recherché, mais rien n’indique qu’il soit venu en Belgique pendant la guerre. De plus, il est peu probable qu’un homme qui parvient à devenir médecin de l’état-major à Berlin en 1943 vienne soigner les dents de simples soldats dans un petit village de Belgique… En revanche, il est plausible qu’un autre homme du nom de Freitag soit venu dans cette ville de Campine. Il s’agit de l’ Untersturmführer (sous-lieutenant) Fritz Freitag qui travaillait comme officier d’approvisionnement pour le 12e régiment de blindés SS. Cette unité fait alors partie de la 12e division de blindés SS Hitlerjugend en cours de formation en Campine. Les officiers de cette division sont des nazis convaincus. Ce Freitag-là a combattu au front de l’Est avec la 1re division de blindés SS Leibstandarte Adolf Hitler et travaillé en étroite collaboration avec le Standartenführer (colonel) Max Wünsche, qui fut à une époque le garde du corps personnel d’Hitler. Une partie des troupes de maintenance de la nouvelle division sont stationnées à Geel à partir du 11 septembre 1943, et bon nombre de bâtiments de la Colonie sont réquisitionnés pour les héberger. En tant qu’officier d’approvisionnement, il est probable que Freitag s’y soit rendu. Mais vu ses antécédents, il est douteux qu’il soit intervenu pour empêcher la déportation des patients. De plus, il n’est pas médecin. Et enfin, l’occupation des bâtiments de la Colonie par la Waffen-SS intervient six mois après l’opération de déportation avortée.

Si aucun médecin allemand n’est réellement intervenu pour empêcher la déportation, comment expliquer que les « Juifs de Geel » n’aient pas été inquiétés?

AUTRES PROTECTEURS ET EXPLICATIONS POSSIBLES

Des recherches ciblées menées dans diverses archives n’ont révélé aucune indication sur une intervention d’une quelconque instance allemande ou belge (justice, cour royale, Eglise catholique…) au bénéfice des Juifs de Geel. Se peut-il que le bourgmestre de guerre Pelgroms ait quand même été l’ange salvateur de ces condamnés en sursis ? Le jour de la déportation, il aurait dit à un patient Juif : « Il faudra me passer sur le corps avant qu’un Juif soit embarqué ici. » Ce patient a raconté cette histoire plusieurs années après la guerre. Mais cette hypothétique intervention du bourgmestre n’est confirmée par aucune autre source. De plus, ce témoin a la réputation d’enjoliver les faits, de les sortir de leur contexte, voire de les inventer de toutes pièces. Le bourgmestre de guerre entretient d’excellents contacts avec le secrétaire général Romsée. Les archives de ce dernier révèlent qu’il est en effet intervenu en faveur de quelques Juifs individuels. Mais il n’est question nulle part des Juifs de Geel. Un autre fait étrange est que Pelgroms n’évoque pas une démarche de sa part lorsqu’il comparaît devant le tribunal militaire. Il signale par exemple qu’il a aidé un Juif et qu’il a omis d’inscrire ce dernier dans un registre de Juifs. Dans ce contexte, s’il avait empêché une déportation, il n’aurait certainement pas manqué de le préciser à sa décharge. On peut aussi se demander si, en 1943, le bourgmestre avait encore suffisamment d’influence pour entraver une déportation. Le pouvoir du VNV s’affaiblissait. Ainsi, contrairement à des interventions antérieures, le bourgmestre ne réussit pas à éviter l’occupation des bâtiments de la Colonie par les Allemands en septembre 1943.

Enfants atteint de Trisomie 21 (Syndrome de Down) dans le sanatorium de Schönbrunn, 1934. Photographie du SS Franz Bauer.
Enfants atteint de Trisomie 21 (Syndrome de Down) dans le sanatorium de Schönbrunn, 1934. Photographie du SS Franz Bauer.

D’autres explications de cette déportation avortée sont parfois avancées. Ainsi, la présence du Juif Edgar L., de nationalité britannique, l’aurait empêchée. Ce même L. est d’ailleurs exempté (temporairement) du port de l’étoile jaune après l’intercession de son influente famille qui réside à Bruxelles. Dans le meilleur des cas, cependant, cet homme n’aurait pas été emmené. Renoncer à déporter tout un groupe composé essentiellement de Juifs est-européens pour la seule raison qu’il compte un seul sujet britannique… Non, décidément, ce n’est pas dans les habitudes de la Sipo d’agir de la sorte. D’ailleurs, Edgar L. est lui aussi prêt, dans la Colonie, pour partir avec la Sipo. Les Allemands auraient aussi eu peur des patients de la Colonie. C’est oublier évidemment que la Sipo et les SS sont sans pitié. Ils embarquent tous types de Juifs, quel que soit leur état de santé mentale. Des problèmes de transport, alors? Même pas. En avril 1943, aucun incident ou acte de sabotage n’est signalé sur le réseau ferroviaire campinois.

LA VÉRITÉ PEUT ÊTRE BANALE

Le 16 avril 1943, la date à laquelle ils sont censés venir chercher les Juifs de Geel, les agents de la Sipo ont d’autres soucis. Ce fameux 16 avril 1943, le chef de la Sipo d’Anvers, le SS-Hauptsturmführer et Kriminalkommissar Dr Max Werner, est abattu en même temps que son collaborateur Otto Desselman. L’auteur de cet assassinat est le Kriminalassistent Bruno Kochsick. Celui-ci revient de Pologne, où il a été témoin de l’extermination des Juifs. Ce qui a causé son effondrement mental. Il estime que Max Werner et Otto Desselman ne se comportent pas en « nazis exemplaires ». « Ils s’amusent trop, au lieu de ne s’occuper que du service. » Il était de notoriété publique que Werner et Desselman avaient commis quelques trafics qui leur avaient rapporté gros et qu’ils entretenaient des relations courtoises avec la population. Le double assassinat débouche sur une fusillade au cours de laquelle le Judenreferent Erich Holm parvient à abattre Rudolf Kochsick. Ce dernier succombera à ses blessures quelques jours plus tard. L’échec de la déportation des Juifs de Geel s’explique donc par un règlement de comptes interne à la Sipo anversoise ! Les SS n’ont pas eu le temps d’aller chercher les Juifs de Geel. Tout simplement.

La chambre à gaz de Bernburg. Dans une aile de l'Etablissement provincial de soin et de santé de Bernburg sur la Saale (Saxe-Anhalt) était situé, entre le 21 novembre 1940 et le 30 juillet 1943, un établissement d'exécution des éliminations du programme Aktion T4. Plus de 14 000 malades mentaux y ont été tués avec du monoxyde de carbone dans une chambre à gaz.
La chambre à gaz de Bernburg. Dans une aile de l’Etablissement provincial de soin et de santé de Bernburg sur la Saale (Saxe-Anhalt) était situé, entre le 21 novembre 1940 et le 30 juillet 1943, un établissement d’exécution des éliminations du programme Aktion T4. Plus de 14 000 malades mentaux y ont été tués avec du monoxyde de carbone dans une chambre à gaz.

ET AUCUNE NOUVELLE TENTATIVE DE DÉPORTATION ?

A partir de l’été 1943, la SS et ses sbires se montrent un peu moins impitoyables à l’égard des résidents Juifs. Ils renoncent ainsi temporairement à inquiéter les établissements juifs qui hébergent des enfants et des personnes âgées à Bruxelles. Il est fréquent que pendant l’Occupation, les Allemands dressent un écran de fumée pour apaiser les craintes. Le Militärverwaltungschef Reeder n’aime pas les actions tape-à-l’oeil : « L’action antijuive doit éviter d’attirer l’attention du public et de susciter la sympathie de la population à l’égard des Juifs. » A Geel, la déportation manifeste de patients sous l’accompagnement de la Sipo et de la gendarmerie aurait pu causer des remous. La colonne aurait en effet dû traverser tout le centre de la ville pour rejoindre la gare, puisque l’émigration aurait eu lieu en train. La « déportation avortée » semble avoir suscité ci et là l’émoi dans les familles d’accueil et parmi le personnel de la Colonie.

Toutefois, la Sipo garde ces « Juifs localisés » sous la main comme une espèce de « réserve de recrutement » et s’attache à débusquer les Juifs cachés. Ils réalisent aussi qu’il vaut mieux ne pas déporter des enfants, des vieillards et des malades en grand nombre s’ils veulent entretenir l’illusion que les déportés sont emmenés à l’Est « pour travailler ». Tout indique que les Juifs dont il est question ont eu la chance que les Alliés aient réussi à chasser la plupart des nazis de Belgique en septembre 1944. Le 31 juillet 1944, un dernier convoi quitte la caserne Dossin pour les camps de la mort. Le mois suivant, les Allemands planifient une action d’envergure pour déporter les Juifs résidant dans des institutions. L’AJB (Association des Juifs en Belgique) entame dès lors l’évacuation des orphelinats juifs avec l’aide de la résistance juive. Les maisons de repos ne sont pas évacuées. Il est donc bien possible que les « Juifs de Geel » aient de nouveau été visés par l’occupant…

Parmi les messages véhiculés par la propagande eugéniste nazie, celle qui clame que
Parmi les messages véhiculés par la propagande eugéniste nazie, celle qui clame que « chaque malade coûte 5,5 reichsmarks à l’Etat » alors que pour la même somme, « une famille héréditairement saine peut vivre pendant une journée ».

VRAIMENT CACHÉS À GEEL

Durant l’Occupation, des patients juifs circulaient donc dans les rues. A partir de l’été 1942, ils sont désormais reconnaissables à l’étoile jaune qu’ils sont contraints d’arborer. Il est remarquable cependant que des soldats allemands et même des membres de la Waffen-SS séjournent également dans cet environnement de la Colonie. Tout comme ailleurs, des collaborateurs et des résistants y sont actifs également. La plus grande partie des habitants évitent de choisir un côté ou l’autre et essaient simplement de survivre. Dans ce microcosme particulier vit, de 1942 à 1946, caché, Hubert, un garçonnet juif.* Il est recueilli à l’âge de 3 ans dans une famille proche de la Résistance. Ses parents, d’origine polonaise, rémunèrent la famille d’accueil pour son séjour. Lorsque les paiements sont interrompus, la famille demande que l’on emmène l’enfant, car elle n’a pas trop les moyens de l’entretenir. Un homme vient alors chercher Hubert. Une fois à Anvers, Hubert et son accompagnateur apprennent la déportation des parents. L’homme ramène Hubert dans la famille d’accueil à Geel qui décide de le recueillir tout de même de façon permanente. Elle le présente comme un neveu de Flandre-Occidentale, la province d’origine de la mère. Cette origine peut aussi justifier l’accent inhabituel du jeune garçon. Un autre avantage est qu’Hubert est blond. Il fréquente aussi l’école maternelle locale et se rend à la messe le dimanche. La famille a aménagé une cachette derrière un faux mur dans la cave de sa maison ouvrière. L’accès à la cachette est dissimulé derrière un tas de pommes de terre. Elle héberge parfois des gens de la région, essentiellement des réfractaires. Un jour, les Allemands ont fouillé le sous-sol, mais ils n’ont pas découvert la cachette. Si nécessaire, Hubert pouvait aussi s’y cacher. Mais sa fausse identité est à ce point efficace qu’il ne devra jamais s’y rendre.

Durant la « bataille de Geel » en septembre 1944, la famille tout entière passera plusieurs semaines dans cette cave. Après la guerre, personne ne vient réclamer Hubert, car ses parents et une partie de sa famille n’ont pas survécu aux camps de la mort. En 1946, un oncle viendra finalement le chercher. Sa garde fait même l’objet d’un verdict du juge de paix. Au début, Hubert a honte du comportement de sa famille. Le contact ne sera rétabli qu’après plusieurs décennies.

* Hubert est un nom d’emprunt donné par la rédaction dans un souci de discrétion, à la demande des personnes concernées.

(1) Le Vlaams Nationaal Verbond fondé en 1933 a été une organisation collaborationniste extrêmement importante. Elle a été frappée d’interdiction, après la Seconde Guerre mondiale, en tant qu’organisation incivique.

(2) Sicherheitspolizei-Sicherheitsdienst, la Police de sûreté allemande.

Cet article est un résumé des recherches historiques que j’ai menées avec deux autres historiens, Jos Rathé et Geert Vandecruys, en collaboration avec la caserne Dossin.

www.kazernedossin.eu

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