Le Triomphe de Judas Macchabée, de Pierre-Paul Rubens, est exposé au musée des Beaux-arts de Nantes, en France. © Musée des Beaux-arts de Nantes

Que sont devenues les oeuvres d’art belges spoliées par la France ?

Stagiaire Le Vif

La Belgique aussi possède des biens culturels se trouvant à l’étranger : sur les 195 pièces emportées par les soldats de Napoléon Ier pendant la Seconde occupation, une centaine ont été restituées. Qu’en est-il des 95 restantes ?

Entre juillet 1794 et février 1795, les troupes françaises d’occupation opèrent une formidable saisie d’oeuvres à travers les Pays-Bas autrichiens et la principauté de Liège, qui formeront la future Belgique. 178 lots, composés de 192 tableaux et seulement 3 sculptures (dont la célèbre Madone de Bruges), sont envoyés en France. Ils doivent enrichir la collection du tout nouveau musée du Louvre, qui ambitionne de présenter la plus grande exposition universelle au monde, emplie des prises de guerre de Napoléon Ier.

Problème : elles sont si nombreuses que le musée ne peut les accueillir toutes. Le 31 août 1801, Jean-Antoine Chaptal, ministre de l’Intérieur, rédige à la demande du futur empereur un décret répartissant la collection entre les quinze principales villes de province. Les oeuvres s’éparpillent entre les musées des beaux-arts de Lyon, Marseille ou Toulouse.

A la suite de la bataille de Waterloo, signant la chute de l’empire napoléonien, les dirigeants européens se réunissent au Congrès de Vienne, du 18 septembre 1814 au 9 juin 1815. Il est décidé que les biens culturels emportés doivent être restitués aux états d’origine. Sur ce, 100 pièces sont réexpédiées par les Alliés vers les territoires belges, depuis le Louvre pour la plupart.

La Madone de Bruges de Michel-Ange fait partie des cent pièces restituées aux territoires belges après le Congrès de Vienne, en 1815.
La Madone de Bruges de Michel-Ange fait partie des cent pièces restituées aux territoires belges après le Congrès de Vienne, en 1815.© Wikimédia/image libre de droit

Mais la majorité des oeuvres se trouvant dans les autres musées y restent ; dans le même temps, des conservateurs français demandent le retour des pièces renvoyées en Belgique. Un accord tacite est donc passé entre les pouvoir en place en mars 1818, pour que chacun se contente de ce qu’il possède désormais. Depuis, aucune oeuvre n’a circulé entre les deux pays.

« La situation est loin d’être simple »

« La situation est en effet loin d’être simple », répond Pierre-Yves Kairis, membre de l’IRPA (Institut royal du Patrimoine artistique belge). Il a réalisé en 2015 l’inventaire des oeuvres belges spoliées par les troupes napoléoniennes, à la demande d’Elke Sleurs, alors secrétaire d’État en charge de la Politique scientifique. Celui-ci répertorie 64 pièces réparties dans différents musées de France, 6 se trouvant en Allemagne (à Mayence, ville annexée par Napoléon Ier) et une en Italie, à Milan, à la suite d’un échange. 24 manquent à l’appel, perdues ou détruites, notamment dans les incendies des musées de Bordeaux et Strasbourg.

La Descente de croix du peintre flamand Cornelis Schut, réclamée à la France en 1815, se trouvait en fait... à Liège.
La Descente de croix du peintre flamand Cornelis Schut, réclamée à la France en 1815, se trouvait en fait… à Liège.© Wikipédia/image libre de droit

« Nous avons découvert que le nombre d’oeuvres emportées était bien moindre que ce que l’on pensait », ajoute le spécialiste. En 1880, Charles Piot, archiviste adjoint du Royaume de Belgique, avait fait les premiers comptes à partir des oeuvres envoyées en France, estimées à 271. Seulement, certaines n’ont jamais quitté le pays. « C’est le cas de la Descente de Croix, prélevée à Spa et attribuée d’abord à Rubens puis au peintre flamand Cornelis Schut. Le tableau a été réclamé en 1815 mais a été retrouvé à Liège, dans les années 1950. Il avait été conservé à l’église Sainte-Foy, en vue de la construction d’un musée local qui n’a jamais abouti. »

« Un formidable outil de diplomatie »

Depuis une trentaine d’années, on observe un regain d’intérêt pour les oeuvres d’art conservées à l’étranger. La Belgique ne fait pas exception : le député fédéral MR Richard Miller réclame depuis des années le retour du Triomphe de Judas Macchabée, toile de Pierre-Paul Rubens conservée au musée des Beaux-arts de Nantes. « Cette oeuvre faisait partie d’un dyptique appartenant à la cathédrale de Tournai. Les habitants avaient payé la commande, nous possédons des titres de propriété », affirme-t-il. Hors, les autorités françaises ont toujours refusé de négocier la restitution. Au motif que, lors du Congrès de Vienne ayant institué le retour des collections dans leurs pays d’origine, la Belgique n’était pas encore… un pays.

« L’effet « engrenage » fait peur. Les conservateurs de musées craignent que leurs établissements soient vidés de leurs collections », explique Richard Miller. Mais les déclarations du président français Emmanuel Macron, qui se disait en décembre dernier favorable à « un retour du patrimoine africain à l’Afrique », ont réactivé le débat. L’ancien Ministre des Arts, des Lettres et de l’Audiovisuel a déposé le mois suivant une proposition de résolution visant un dialogue avec l’Etat français. Celle-ci sera examinée en commission parlementaire d’ici quelques semaines. « Emmanuel Macron n’est pas dupe ; il a ouvert la porte aux discussions parce qu’il sait que les biens culturels sont un formidable outil de diplomatie. Nous pourrions, pourquoi pas, aboutir sur des solutions de « garde alternée » ? »

Juliette Chable

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