Le podium de l’horreur

Enumérer les camps de concentration et d’extermination est tout bonnement impossible. De 1200, selon le recensement officiel allemand de 1967, à 15000 aux dires des témoins juifs de l’Holocauste. Si les camps de concentration font disparaître des opposants de tous bords, les usines de la mort visent l’annihilation du peuple juif et d’autres éléments « hétérogènes ».

Les pratiques diffèrent peu d’un camp à l’autre. Les prisonniers suffisamment aptes sont affectés au travail obligatoire – dans l’industrie de la guerre, principalement. Mais le travail forcé n’offre jamais qu’un pénible répit avant une mort certaine, répit dont les nazis tirent un profit complémentaire. Pour les « bons à rien », c’est tout droit au gazage. A partir de fin 1942, la victoire déjà clairement hors de portée, toute la machine de l’Holocauste enclenche la vitesse supérieure. Comme en atteste l’allocation par le superintendant Albert Speer, en septembre 1942, de 13,7 nouveaux millions de reichsmarks destinés à l’expansion de Birkenau.

Progressivement, la méthode s’affine. Comme l’ensevelissement des victimes pollue les nappes souterraines, ce qui présente un danger pour les Allemands, les corps seront donc incinérés. Dans des fosses à ciel ouvert, pour commencer, puis des fours crématoires. Les biens, en revanche, sont soigneusement rassemblés, en particulier à Auschwitz et à Majdanek.

Les tâches les plus abjectes des bourreaux sont accomplies par des forçats. Dans les usines de mort officient les Sonderkommandos, des travailleurs forcés juifs qui doivent pousser les condamnés à l’intérieur des chambres à gaz et entasser leurs cadavres dans les fours, entre autres besognes aussi atroces. Dans la plupart des camps de travail et de concentration, la surveillance est confiée aux Kapos, des criminels allemands venus de territoires occupés pour se charger du sale boulot dans l’espoir d’y gagner une réduction de peine.

Sur quelques détails, cette terreur insoutenable varie toutefois entre les camps et leurs multiples annexes. Dans un classement très subjectif, les dix suivants, dont les sept premiers se situent en Pologne, sont réputés les plus atroces.

Auschwitz

Le camp de la mort d’Auschwitz-Birkenau détient le record absolu du nombre de victimes. Près de 1,3 million de prisonniers y ont été déportés, et au moins 1,1 million liquidés. « Ce n’est pas un sanatorium, ici », hurle souvent le numéro deux du camp Karl Fritzsch à l’arrivée. « D’ici, on ne sort que par la cheminée » : l’auteur italien Primo Levi a, comme tant d’autres, gardé cette scène gravée à vie dans sa mémoire. « Le sens de ces paroles, nous ne devions que trop bien le comprendre par la suite », ajoute-t-il.

Neuf dixièmes des suppliciés sont juifs. Outre les grands sous-camps de Birkenau et Monowitz-Buna, 45 autres annexes – moins vastes mais tout aussi abominables – sont réparties à proximité. A Birkenau, gazage et crémation sont les missions prioritaires. Les chambres à gaz atteignent le régime maximal au printemps 1943. Une moyenne de plus de 9000 liquidations par jour, avec des pics de plus de 20 000 en 24 heures. A partir de mai 1943, Auschwitz-Birkenau abrite également le docteur tortionnaire SS Josef Mengele, avide d’expériences diverses, notamment sur des enfants jumeaux.

Treblinka

Situé au nord-est de Varsovie, ce double camp est associé à l’Aktion T4, nom de code de la première campagne d’euthanasie forcée des « vies indignes » en Allemagne. Plus de 900000 prisonniers ont péri à Treblinka – dont, là encore, une grande majorité de Juifs. Le 2 août 1943, 200 captifs parviennent à s’échapper, mais tous seront repris. A la fin du mois, toute activité est brusquement stoppée en raison de l’approche de l’Armée rouge. Le camp est démantelé et maquillé en ferme par le reste des détenus. Les derniers survivants seront ensuite transférés à Sobibór.

Be??ec

Construit quelques semaines avant le camp de Treblinka, celui-ci est davantage focalisé sur le travail obligatoire, mais des chambres à gaz y sont également installées. Le but est la germanisation de la Pologne occupée. La colonie allemande doit devenir Judenrein, « lavée de toute présence juive ». Nombre de Polonais non juifs, Tziganes et prisonniers de guerre russes aboutiront aussi à Be??ec. Le bilan meurtrier oscille entre 500000 et 600000 victimes. Ici, les chambres à gaz ont tourné jusqu’en décembre 1942. Le camp est ensuite démantelé, le terrain labouré et reboisé.

Majdanek

Ce camp de travail a été construit en Pologne en vue de l’opération Barbarossa du 20 juin 1941, afin de détenir les prisonniers de guerre russes. Très vite confronté à une expansion considérable pour absorber l’afflux massif de détenus, Majdanek compte une population de plus de 250 000 personnes dès mars 1942. Parallèlement, sa fonction intègre l’élimination des contingents de forçats excédentaires. Les « mauvais sujets » du Reich sont, eux aussi, envoyés par milliers finir leur vie à Majdanek, où quelque 360000 morts seront comptabilisés à sa libération.

Che?mno

Conçu comme camp d’extermination pour supprimer les Juifs du ghetto voisin de ?ód?, Che?mno est vite submergé par les déportations systématiques depuis les pays occupés. Inaccessible en train, les prisonniers y sont convoyés dans des camions ou emmenés à pied vers une mort annoncée. Leurs maigres possessions jonchent les routes menant au camp. Avec la purification raciale de la Pologne, d’autres « non-aryens » y seront également exécutés. Les détenus de Che?mno servent de cobayes aux scientifiques nazis. On y construit aussi les unités de gazage mobiles utilisées pour massacrer des milliers de prétendus ennemis cachés derrière les lignes du front de l’Est durant l’opération Barbarossa. Près de 340000 victimes ont péri dans l’enceinte même du camp, dont un nombre croissant de Tziganes au fil de la progression des troupes allemandes.

Camion transportant des corps empilés d'hommes morts, extraits du camp de concentration de Dachau où ils ont été détenus par les nazis qui visaient à exterminer la population juive.
Camion transportant des corps empilés d’hommes morts, extraits du camp de concentration de Dachau où ils ont été détenus par les nazis qui visaient à exterminer la population juive.

Sobibór

Initialement dédié à l’annihilation des Juifs du ghetto polonais de Lublin, ce camp de la mort annexé à Be??ec sera aussi la tombe de maints prisonniers de guerre russes. Il fonctionne sur le même principe qu’Auschwitz-Birkenau. Les captifs sont triés à l’arrivée, les plus valides sont maintenus de force au travail jusqu’à ce qu’ils succombent d’épuisement et ceux qui sont inaptes à la tâche sont gazés sur-le-champ. Le 14 octobre 1943, une cinquantaine de détenus réussiront à s’évader à l’occasion d’un soulèvement général et survivront cachés dans la forêt. A l’approche des troupes soviétiques, le site est évacué, démantelé et reboisé. Sobibór a plus ou moins 250000 morts à son actif. Les fours crématoires ne seront pas précisément localisés avant 2014.

Des prisonniers se tiennent peu après leur libération du camp de travail d'Erla 3, un camp de concentration de Buchenwald, par les troupes alliées (visibles en arrièreplan), en avril 1945.
Des prisonniers se tiennent peu après leur libération du camp de travail d’Erla 3, un camp de concentration de Buchenwald, par les troupes alliées (visibles en arrièreplan), en avril 1945.

Dachau

Bâti en 1933 près de Munich, Dachau est le tout premier camp de travail, a priori uniquement destiné au redressement des dissidents politiques du IIIe Reich. Les témoins de Jéhovah, Allemands d’origine mixte et immigrés de toute provenance y seront internés par la suite. Au fil des années de guerre, de plus en plus de Juifs sont déportés à Dachau, qui contrôle une centaine de sous-camps répartis au sud de l’Allemagne et en Autriche. Ce camp sera aussi l’un des derniers à être libérés en 1945. On lui a attribué 243000 morts.

Mauthausen-Gusen

Ce camp de concentration à grande échelle a été édifié en 1938, dès l’annexion de l’Autriche. C’est le seul camp de « niveau III », réservé aux « ennemis politiques incorrigibles du Reich ». Sa première mission est l’élimination par le travail forcé le plus ardu. Le groupe cible est constitué de membres de l’intelligentsia et des classes sociales supérieures dans les pays occupés. Selon diverses estimations, le nombre de victimes est situé dans une fourchette de 200 à 320000 personnes.

Bergen-Belsen

Réservé aux prisonniers de guerre, ce camp détient quelque 95 000 antifascistes issus de toute l’Europe occupée. On y séquestre aussi de hautes personnalités juives destinées à servir de monnaie d’échange pour libérer des prisonniers de guerre allemands. En théorie, Bergen-Belsen (Allemagne) s’apparente donc plutôt à un camp d’enfermement. Mais en raison des carences alimentaires, du manque total d’hygiène et de la vétusté des baraquements, les détenus succombent en masse à des épidémies et à la faim. A la libération du camp, les Alliés trouveront ainsi 13000 cadavres croupissant à l’air libre. Le bilan final est estimé à plus de 50000 victimes.

Buchenwald

Non loin de Weimar (Allemagne), le camp de Buchenwald est presque aussi grand que celui de Dachau en Bavière. C’est un camp de travail spécialisé pour l’industrie de l’armement. Sa population est très diversifiée : communistes, francs-maçons, témoins de Jéhovah, Tziganes, Polonais, Russes ou Slaves, et des grands criminels de droit commun. A partir de 1942, ils seront massivement soumis aux expérimentations de médecins nazis. En août 1944, 388 personnes sont tuées par un bombardement accidentel. Buchenwald est le premier grand camp libéré par les Alliés. Ils ont recensé exactement 33 462 cas de détenus exécutés, morts de malnutrition ou des suites d’expériences médicales.

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