La porte de Brandebourg, à Berlin, dans les années 1960.

La nouvelle carte de l’Allemagne

Nous sommes en 1943 et la guerre fait encore rage, mais il apparaît déjà que les Allemands ne l’emporteront pas et qu’une redéfinition de l’Allemagne s’impose à court terme. Faut-il en revenir à la version de l’entre-deux-guerres? Les annexions illégitimes du régime nazi – Autriche, territoire des Sudètes, Bohême et Moravie, ouest de la Pologne, Dantzig, territoire de Memel (la côte lituanienne), Eupen-Malmedy et Alsace-Lorraine – l’excluent. A quoi doit donc ressembler la nouvelle Allemagne?

En novembre et décembre 1943, Roosevelt, Churchill et Staline se rencontrent à la conférence de Téhéran pour discuter, notamment, du futur de l’Allemagne. Churchill expose son plan, qui consiste à diviser le pays en plusieurs Etats faibles, afin d’éliminer pour de bon toute menace militaire. Roosevelt approuve. Staline n’est pas d’accord.

LE DÉBUT : BERLIN ET LES QUATRE ZONES

Le suicide d’Adolf Hitler signifie la fin de son Reich qui devait durer mille ans. Berlin est investie par les Alliés, qui décident du partage du pays en quatre zones d’occupation. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France occupent la partie occidentale, l’Union soviétique la partie orientale. La capitale se trouve en zone soviétique, mais comme le gouvernement allemand y siège, elle est également divisée. Du 17 juillet au 2 août 1945, les « Big Three » – Churchill, Truman et Staline – se rencontrent à Potsdam, pour y discuter des futurs accords frontaliers, des réparations et des représailles. Suite à sa défaite électorale du 25 juillet, Churchill est soudainement remplacé par le nouveau vice-premier ministre, Clement Attlee. Ce changement vient perturber un équilibre déjà très fragile. Le fossé entre Ouest et Est s’élargit. Il est clair que la nouvelle Allemagne sera une Allemagne divisée, dans une Europe tout aussi fragmentée. Dès le 31 octobre 1945, Konrad Adenauer, futur premier chef de gouvernement de la nouvelle BundesRepublik Deutschland (BRD), la République fédérale d’Allemagne (ou RFA), affirme dans une lettre que la partition de l’Europe, et du même coup de l’Allemagne, est chose faite. « La Russie détient la moitié orientale de l’Allemagne, la Pologne, les Balkans. La séparation entre Europe de l’Est, territoire russe, et Europe occidentale est un fait. Le territoire allemand non occupé par la Russie fait partie intégrante de l’Europe occidentale. » La ligne ainsi tracée partagera aussi le monde en deux pour les décennies à venir. D’une part, l’Occident capitaliste, de l’autre, le bloc de l’Est, communiste.

Un citoyen allemand regarde une vaste fresque à l'effigie de Staline sur l'Unter den Linden à Berlin, 3 juin 1945.
Un citoyen allemand regarde une vaste fresque à l’effigie de Staline sur l’Unter den Linden à Berlin, 3 juin 1945.

GROUPE ULBRICHT ET ORDRE N° 2

C’est dans la Zone d’occupation soviétique (SBZ) que se produisent les premiers conflits. Le 30 avril 1945, jour du suicide d’Hitler, trois groupes de communistes allemands, dont le principal est dirigé par Walter Ulbricht, arrivent dans la partie de l’Allemagne occupée par les Soviétiques. Le groupe d’Ulbricht comprend des communistes purs et durs qui ont fui en Union soviétique dès 1933. Ils viennent à présent participer – sous l’influence du soviet – à la construction de la nouvelle Allemagne et à l’installation d’une nouvelle administration civile placée sous la stricte surveillance de Staline. Ou, comme Ulbricht le précise : « Il faut que tout cela ait l’air démocratique, mais tout doit rester entre nos mains. » A travers cette tactique, Staline tente de donner aux Allemands et aux alliés occidentaux l’impression qu’il est accommodant et favorable à une démocratie en Allemagne. Il veut qu’une large coalition dirige le pays quand le régime d’occupation des quatre alliés prendra fin. Selon lui, les communistes joueront ensuite un rôle croissant dans le gouvernement allemand. L’Allemagne « neutre » entrera ainsi dans la sphère d’influence de l’Union soviétique. En effet, la Grande-Bretagne est quasiment en faillite en raison de ses nombreuses dettes de guerre. La France est devenue une grande puissance. Le parti communiste y est puissant, tout comme en Italie. Staline croit que sa politique « démocratique » décidera les Américains à quitter l’Europe à court terme. L’illusion d’un fonctionnement démocratique est effectivement entretenue, mais la pratique est toute autre. Le régime de Staline poursuit les non-communistes – sociodémocrates, démocrates-chrétiens et autres opposants de son idéologie – et les enferme dans des camps spéciaux, ou Speciallager. Certains Allemands échouent ainsi pour la deuxième fois dans des camps de concentration comme Sachsenhausen et Buchenwald. En agissant de la sorte, Staline sape toutefois sa propre politique. La méfiance à l’égard des communistes croît chez les Allemands et les Alliés. Pour prouver son intention de rétablir la démocratie dans la nouvelle Allemagne, l’administration militaire soviétique en Allemagne (SMAD) promulgue le 10 juin 1945 l’ordre n°2, qui stipule que les partis politiques et les syndicats peuvent être reformés condition d’être antifascistes. Le Kommunistische Partij Deutschland (KPD) est le premier parti à être fondé, le 11 juin. Il est suivi par le Sozialsdemokratische Partei Deutschlands (SPD). Les deux partis de gauche, qui se sont livré une lutte fratricide avant 1933, sont à présent soumis à forte pression et contraints, après référendum, de fusionner en un Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED). Sous l’emprise stalinienne, tous les opposants politiques n’appartenant pas au SED disparaissent de la scène et se retrouvent soit en camp de concentration, soit à l’ouest. Les élections communales et parlementaires de l’automne 1946 montrent combien la démocratie est un concept vide dans la zone soviétique. Le but de Staline est clair : transformer rapidement sa zone d’occupation en un Etat communiste indépendant.

Policiers militaires français et allemands sur la Bernauer Strasse à Berlin, le 5 décembre 1948.
Policiers militaires français et allemands sur la Bernauer Strasse à Berlin, le 5 décembre 1948.

LA SÉPARATION DE FAIT

Les quatre alliés avaient l’intention de gouverner l’Allemagne ensemble et de se concerter au sein de l’Allied Control Council, mais l’évolution de la situation en zone soviétique montre que ce sera mission impossible. Dans les faits, chacun exerce un contrôle total dans sa zone et tente de lui donner forme en fonction de sa propre idéologie. Les zones occidentales optent pour une économie de libre marché et une administration politique fédérale sur le modèle américain, la zone soviétique pour une économie planifiée, une administration soviétique, des nationalisations et l’abolition de la propriété privée. Le 6 septembre 1946, James Byrnes, secrétaire d’Etat des Etats-Unis, décide que les zones britannique et américaine formeront désormais une union douanière appelée « Bizone ». La Bizone deviendra même Trizone lorsque la zone française s’y ajoutera, le 8 avril 1949. Le 20 juin 1948, l’ancien reichsmark est remplacé par le nouveau mark allemand dans les trois zones d’occupation occidentales, mais pas à Berlin-Ouest. Trois jours plus tard, l’introduction de l’Ost-mark signe la scission économique de l’Allemagne. Dans la nuit du 23 au 24 juin, l’Union soviétique entame sur ordre de Staline le blocus de Berlin et les voies d’accès venant des zones occidentales sont fermées. Il faudra un pont aérien, mis en place au bout de onze mois, pour résoudre le problème. Parallèlement, les alliés de la Bizone/Trizone occidentale élaborent une Constitution démocratique pour l’Ouest de l’Allemagne. La Constitution en question est signée le 23 mai : la BundesRepubliek Deuschland (République fédérale d’Allemagne) est née. Le 7 octobre 1949, la République démocratique allemande voit à son tour le jour. Désormais, l’Allemagne est scindée entre Est et Ouest. La collaboration avec les Soviétiques est exclue. Toute confiance a disparu entre les anciens alliés. La guerre froide commence.

Célébration du 75e anniversaire de la Conférence de Yalta (1945) au palais de Livadia en Crimée, face au monument dédié aux
Célébration du 75e anniversaire de la Conférence de Yalta (1945) au palais de Livadia en Crimée, face au monument dédié aux « Big Three » : le Premier ministre britannique Winston Churchill, le président américain Franklin Roosevelt et le dirigeant soviétique Joseph Staline.

De Téhéran à Potsdam en passant par Yalta

Dès 1943, Staline, Roosevelt et Churchill se réunissent lors de la conférence de Téhéran pour débattre du futur de l’Allemagne. En février 1945, ils présentent chacun leur projet concernant la structure de la future Allemagne lors de la conférence de Yalta. Bien que ces plans diffèrent fortement, on y trouve une constante : les régions industrialisées, situées dans le bassin de la Ruhr et de la Sarre et le long du Rhin, doivent être placées sous contrôle international. Ce moteur économique a non seulement fait de l’ancienne Allemagne une grande puissance industrielle, il a aussi permis une guerre. Il y a un autre point sur lequel tout le monde est d’accord : le territoire polonais se déplace vers l’ouest. A l’est, l’Allemagne doit céder les régions qui appartenaient déjà au royaume de Prusse, puis à l’Empire allemand. L’exclave de Prusse orientale entourant la ville de Königsberg – actuelle Kaliningrad – doit être partagée entre la Pologne et l’Union soviétique. Pour les régions de l’est qui passent à l’Union soviétique, la Pologne reçoit une compensation sous forme de territoires frontaliers en Haute-Silésie et en Poméranie. A la conférence de Potsdam, qui se déroule du 17 juillet au 2 août 1945, on ne s’oppose plus guère à Staline.

Lors de la conférence de Téhéran, le leader russe Joseph Staline serre la main de Sarah Churchill, fille du Premier ministre britannique, assis à côté du président Roosevelt (au milieu).
Lors de la conférence de Téhéran, le leader russe Joseph Staline serre la main de Sarah Churchill, fille du Premier ministre britannique, assis à côté du président Roosevelt (au milieu).

Roosevelt, Churchill et Morgenthau contre Staline

Roosevelt, Churchill, le secrétaire américain au Trésor Morgenthau et Staline. Chacun a sa vision de la partition de l’Allemagne. En quoi leurs plans diffèrent-ils fondamentalement? Roosevelt, Churchill et Morgenthau présentent des modèles assez similaires.

Roosevelt pense que le mieux est de partager l’Allemagne en cinq Etats plus petits et plus faibles, à vocation agricole, la Prusse, Hanovre, la Saxe, la Hesse et la Bavière. Les zones industrielles de Rhénanie et de Sarre doivent passer sous contrôle international.

Churchill divise l’Allemagne en trois : un grand Etat nord-allemand, une Rhénanie indépendante et l’Etat d’Allemagne du Sud, comprenant non seulement la Bavière et le Bade-Wurtemberg, mais aussi l’Autriche et même la Hongrie. Staline et Churchill ont déjà convenu de manière informelle que la Hongrie pouvait être divisée à parts égales entre Soviétiques d’une part, Britanniques et Américains de l’autre. Aussitôt après la conférence de Yalta, il apparaît toutefois que la Hongrie entrera entièrement dans la sphère d’influence russe. La division de l’Europe centrale en zones d’influence occidentale et orientale constitue d’ores et déjà une sérieuse pierre d’achoppement.

Le plan Morgenthau, dû à Henry Morgenthau Jr., correspond dans les grandes lignes à celui de Churchill, si ce n’est que concernant l’Autriche, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, il propose une fédération, qui unirait économiquement et politiquement cette Europe centrale. Pour la Rhénanie, il a une autre solution. Il définit une zone internationale allant des côtes de la mer du Nord à la frontière septentrionale de la Rhénanie-Palatinat. Cette région et la Sarre appartiendraient à la France. De plus, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et le Danemark reçoivent chacun un morceau de territoire allemand.

Staline voit les choses différemment. Il ne veut pas partager l’Allemagne, car les régions occidentales sont plus riches en matières premières. En cas de division, elles échapperont à l’Union soviétique. Jusqu’à la scission effective de l’Allemagne en 1949 et même par la suite, la partition de l’Allemagne sera un thème récurrent de la propagande soviétique. Dans sa proposition, Staline se concentre sur la frontière germano-polonaise, projetant des extensions territoriales de l’Union soviétique vers l’ouest, au détriment du nouvel Etat polonais

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