30 juin 2001 Joseph Kabila préside à Kinshasa la parade militaire célébrant le 41e anniversaire de l'Indépendance, à laquelle assiste le Premier ministre belge Guy Verhofstadt, et plusieurs autres ministres. © BELGAIMAGE

La jeunesse du président a apeuré le monde

Joseph Kabila est sorti du pouvoir à l’âge où il devait y entrer, plein d’énergie. Propulsé au sommet de l’Etat à 29 ans à la suite de l’assassinat de son père en janvier 2001, sa formation scolaire et militaire ne l’aura nullement préparé à assumer de si hautes fonctions, et sa tendre jeunesse ne lui aura pas permis d’acquérir la solide expérience requise.

Frêle et insécurisé, bien que « tutorisé » par l’entourage en désarroi de son défunt père, il est entré dans des tourments politiques particulièrement graves d’un pays depuis longtemps bouillonnant, déchiré et endeuillé, à la quête des bienfaits présumés du pluralisme politique, de la démocratie et du progrès économique de la nation, du peuple.

En dépit de la mort de Laurent-Désiré. Kabila dont la légalité et la légitimité du pouvoir ont été contestées avec véhémence, les récriminations de la part de l’opposition politique non armée demeurent et enflent. La partition du pays en trois morceaux est consacrée. Les massacres des populations par des factions armées continuent : le pouvoir de Kabila est harcelé par une guerre longue et sans merci menée depuis l’Est par le Rassemblement congolais pour la démocratie, avec à sa tête Azarias Ruberwa soutenu par Paul Kagame (Rwanda) et, depuis le Nord-Ouest, par le Mouvement de libération du Congo, avec Jean-Pierre Bemba appuyé par Yoweri Museveni (Ouganda). Très jeune président, Joseph Kabila se retrouve exactement dans le contexte de la Première république où Kasa-Vubu était, sans s’y attendre, placé au coeur d’un « drame » de grave ampleur apparu dès les premières heures de la proclamation de l’indépendance.

Une affiche électorale dans les rues de Kinshasa en 2006 pour soutenir la candidature présidentielle de Joseph Kabila.
Une affiche électorale dans les rues de Kinshasa en 2006 pour soutenir la candidature présidentielle de Joseph Kabila.© GETTY IMAGES

Pour espérer ramener la paix, et travailler enfin au relèvement du pays, Joseph Kabila a pu arracher l’Accord de Lusaka (10 juillet 1999). Mais les conflits fratricides continuent. Et il se voit contraint de convoquer, en 2002, le « Dialogue intercongolais », qui se tient à Sun City (Afrique du Sud). Dans ces difficiles négociations, la communauté internationale que Kabila a pu avoir à sa faveur joue un rôle décisif. Un « accord global et inclusif » est conclu le 17 décembre 2002, et la Constitution de transition, qui en reprend les résolutions majeures, est promulguée le 4 avril 2003.

Désormais, le Chef de l’Etat doit partager son pouvoir avec quatre vice-présidents issus des « composantes » et « entités » parties prenantes à la crise politique. Le gouvernement de coalition, aidé d' »institutions d’appui à la démocratie », fonctionne tant bien que mal dans ce contexte d’extrême délicatesse et de suspicions mutuelles continuelles jusqu’à la tenue des élections en décembre 2006. Joseph Kabila est élu président de la République.

Légitimité conquise

En principe revêtu d’une légitimité d’ores et déjà incontestable, il s’estime avoir des coudées franches. Il met sur pied un programme de développement ambitieux, qu’il dénomme  » Cinq chantiers « , d’un coût évalué à neuf milliards de dollars. Pour son financement, il se retourne vers la Chine. Mais l’Occident, qui aura financé les élections, s’estime mal récompensé, et s’oppose à cet « inamical revirement d’axe de coopération », évoquant et prévenant  » par humanité  » un risque d’endettement colossal insoutenable. Faute de transparence, les résultats des négociations et du projet tout entier restent non perceptibles.

En 2011, la Constitution est révisée, l’élection présidentielle passant de deux à un tour. Joseph Kabila est de nouveau candidat. Et il est réélu. Si, aux yeux de l’opposition, la situation des libertés publiques s’améliore, celle du respect des droits de l’homme est jugée catastrophique par les organisations civiles.

L’autorité de l’Etat ne se fait nullement voir, en particulier dans la partie orientale du pays où les populations sont en proie à des agressions sans fin par des groupes armés. La lutte contre la corruption marque le pas. Le mal s’approfondit et se généralise au niveau des strates élevées du pouvoir où le président de la République a de la peine à découvrir « quinze » âmes propres, sur qui il pourrait compter dans ses efforts de redressement du pays. Le nouveau programme qu’il lance, baptisé  » Révolution de la Modernité « , s’essouffle, étouffé par des acteurs englués dans l’immoralité de la prédation économique comme mode d’action politique. Chaque marché public passé est surfacturé au moins au triple.

Joseph Kabila, candidat pour la première élection présidentielle, en meeting électoral le 28 juillet 2006.
Joseph Kabila, candidat pour la première élection présidentielle, en meeting électoral le 28 juillet 2006.© BELGAIMAGE

Les proches collaborateurs de Kabila s’activent, comme dans une course, à la fois d’obstacles et contre la montre, amassant des richesses colossales qu’ils investissent dans de nombreuses entreprises, au pays et surtout à l’étranger. Ils se persuadent que l’indépendance est venue pour des individus, ceux qui savent ou ont su remplacer les colonisateurs, et non pour tous, pour le peuple. Dans ce désordre inouï de grande corruption et de détournements des finances publiques, l’autorité se trouve comme désarmée, impuissante.

Déjà en 2004, Joseph Kabila, dans une lettre à ses quatre vice-présidents, avait sonné l’alarme face à l’ampleur de la corruption et de la mauvaise gouvernance financière du pays. Mais sur la pente descendante, le rythme s’intensifie, les frénésies acquisitives débridées font des  » dollarisés  » millionnaires. Alors que la monnaie s’était stabilisée pour une durée appréciable, en gros depuis l’arrivée de Kabila père, le taux de dépréciation du franc congolais sur le marché monétaire connaît un rythme effrayant. Le laxisme mène le pays à la dérive. L’opposition politique et aussi la société civile, spécialement la Conférence épiscopale congolaise, réclament un leadership politique clairvoyant et vigoureux, au nom de la population dont les conditions de vie ne cessent de se dégrader en même temps que les infrastructures routières, hospitalières, scolaires, et autres, sur toute l’étendue du territoire.

Le président sortant Joseph Kabila salue des observateurs électoraux après avoir voté au bureau situé à l'Institut de la Gombe, lors des élections générales du 30 décembre 2018.
Le président sortant Joseph Kabila salue des observateurs électoraux après avoir voté au bureau situé à l’Institut de la Gombe, lors des élections générales du 30 décembre 2018.© BELGAIMAGE

En 2016, les élections profilent à l’horizon. Joseph Kabila a épuisé ses deux mandats fixés par l’article 70 de la Constitution. Les controverses sont abondantes et intenses. Les proches du président manifestent un vif « désir » de le voir demeurer au fauteuil du pouvoir. On argumente en faveur d’une (nouvelle) révision de la Constitution, pour permettre à Joseph Kabila de rempiler. Des concertations sont convoquées, pour tenter de trouver un point d’entente. La tenue des élections est reportée sine die. Des gouvernements sont successivement mis en place pour essayer de sortir de la crise. La tâche, fort délicate, est confiée à Edem Kodjo, sans succès, puis aux évêques catholiques, jusqu’au 31 décembre 2016 où un accord de paix est finalement signé.

Kabila, longtemps silencieux, réservé, finit par faire savoir sa décision concernant sa nouvelle candidature éventuelle. Il désigne Emmanuel Ramazani Shadary, le secrétaire permanent de son parti politique, comme son dauphin. Les esprits politiques s’apaisent, ou se rassurent. Les élections sont organisées en décembre 2018. La commission électorale proclame Félix Tshisekedi Tshilombo vainqueur. Et Joseph Kabila lui cède le poste le 24 janvier 2019.

Quitter de bon coeur le pouvoir à la date échue est chose d’extrême rareté en Afrique. En Joseph Kabila, on souligne par conséquent la superbe volonté de passer le flambeau à un autre, à son successeur, pacifiquement, en dépit du fait qu’avec ses quarante-sept ans, il entrait justement dans la force de l’âge, qui permet de gouverner avec maturité et efficacité, et peut-être avec plus d’envie. Il accepte de partir, sans une résistance préjudiciable à la nation, au grand dam de ses thuriféraires, cyniques prédateurs des ressources financières publiques.

Chef d’état-major de l’armée quand il est porté à la tête de l’Etat, Kabila fils est parti de la présidence de la république près de vingt ans après, approchant le temps de règne de Mobutu. Mais il est désormais sénateur à vie. Et avec sa majorité dans les deux chambres du parlement, Kabila ne gouverne sans doute pas mais, assurément, il règne, ou surplombe la scène politique congolaise.

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