Conférence Le Premier ministre belge Gaston Eyskens et son épouse accueillent Joseph Kasa-Vubu pour la Table ronde belgo-congolaise le 19 janvier 1960. © BELGAIMAGE

Joseph Kasa-Vubu le dirigeant modèle

Premier président de la République démocratique du Congo, Joseph Kasa-Vubu est entré dans la vie politique avec une bonne maturité humaine, intellectuelle et morale. Il se situe en haut de la liste des personnalités les plus éminentes de l’histoire politique de ce pays.

Né en 1917 dans le Mayombe (Kongo Central), il fait ses études secondaires au petit séminaire de Mbata-Kiela, établissement d’élite qui prépare à la prêtrise pour le diocèse de Boma. Kasa-Vubu achève brillamment ses études dans ce milieu d’ascèse intellectuelle et morale rigoureuse. En 1936, il entre au grand séminaire de Kabwe, également dirigé par les Pères de Scheut1, dans la province du Kasaï. Mais après les trois années du philosophât, avant d’entrer en théologie, les responsables de cette maison de formation voient en Kasa-Vubu une  » tête critique dangereuse », repue d' »esprit d’indépendance », et potentiellement rebelle face à l’ordre colonial et religieux. Il est renvoyé du séminaire, mais avec son diplôme d’études supérieures en philosophie.

(1) Pères de Scheut Cette appellation vient de ce que la congrégation fut fondée à Scheut, un quartier d'Anderlecht (Région de Bruxelles-Capitale). Un Scheutiste, ou un Père de Scheut, est donc un membre de cette congrégation dite du Coeur Immaculé de Marie [CICM].
(1) Pères de Scheut Cette appellation vient de ce que la congrégation fut fondée à Scheut, un quartier d’Anderlecht (Région de Bruxelles-Capitale). Un Scheutiste, ou un Père de Scheut, est donc un membre de cette congrégation dite du Coeur Immaculé de Marie [CICM].© DR

Il retourne au Mayombe. Pour être jugé apte à enseigner, il est obligé de suivre des cours de pédagogie, et il obtient un diplôme d’instituteur en 1940. Il professe une année puis, à la suite de mauvais traitements dont il est victime et qu’il ne tolère point, il quitte et se fait embaucher dans une société agricole privée de la région. Il y reste peu de temps, puis se rend à Léopoldville (actuellement Kinshasa) où il venait de réussir à un concours de recrutement de commis. Il est affecté au service des finances du gouverneur général.

Parallèlement à sa fonction dans l’administration coloniale, et comme les autres évolués, il participe à de nombreuses activités culturelles. En 1946, il est élu secrétaire général de l’Association des Anciens Elèves des Pères de Scheut (Adapes) ; et dans l’Alliance des Bakongo (Abako), une association culturelle fondée en 1950, Kasa-Vubu, remarqué pour son engagement, sa perspicacité intellectuelle et sa sagesse, est unanimement élu président. Aussitôt, il imprime à l’association une orientation politique.

Dans les mouvements pour la libération qui agitent le monde et l’Afrique, les évolués, jeunes intellectuels actifs, expriment de plus en plus leurs frustrations et mécontentement face aux comportements racistes, discriminatoires et infériorisants que la politique coloniale leur fait subir. Les réformes administratives et sociales que le gouvernement colonial annonce ne satisfont pas. Et, Kasa-Vubu en tête, l’Abako intensifie les manifestations de masse, les actes de désobéissance civile ainsi que les conférences de revendications politiques.

En 1955, Jef Van Bilsen, un professeur belge, publie son Plan de 30 ans pour l’émancipation des « indigènes » du Congo belge. Les jeunes évolués réunis autour de l’abbé Malula y réfléchissent et, globalement, acquiescent le plan. Mais, sous la conduite de Joseph Kasa-Vubu, l’Abako répond par un contre-manifeste, le 23 août 1956. Contrairement au groupe de Conscience africaine, il réclame l’indépendance immédiate du Congo. Avec les élections urbaines de 1957, Kasa-Vubu est élu bourgmestre de la commune de Dendale (aujourd’hui Kasa-Vubu). Sa lutte anticoloniale ne faiblit pas et il ne s’en cache nullement. Il écope d’un avertissement sévère de la part de l’autorité administrative coloniale.

Le 4 janvier 1959, l’Abako convoque un meeting politique. En dernière minute, l’administration coloniale hésite à l’autoriser, et l’annule. Mais la foule était déjà au rendez-vous. Joseph Kasa-Vubu n’aura parlé que pendant une dizaine de minutes, juste pour fixer une nouvelle date, laissant sur leur soif les militants abakistes venus par milliers écouter leur dirigeant. Et, pour la première fois dans cet « empire du silence », une révolte d’une ampleur sans pareille éclate. Kasa-Vubu est arrêté. Deux mois après, il est libéré. Mais les événements sanglants du 4 janvier 1959 contraignent le pouvoir colonial à accorder l’indépendance au Congo. En décembre 1959, et en préparation de la Table ronde, Kasa-Vubu préside, à Kisantu, le Congrès du Cartel des fédéralistes, lequel revendique, comme l’Abako, « l’indépendance immédiate et totale pour un Congo uni et fédéral ».

Moise Tshombe (à dr.) et Joseph Kasa-Vubu de retour d'une conférence des leaders congolais.
Moise Tshombe (à dr.) et Joseph Kasa-Vubu de retour d’une conférence des leaders congolais.© GETTY IMAGES

A Bruxelles, lors de la Table ronde, Joseph Kasa-Vubu joue un rôle important. Au retour au pays, les élections sont organisées, Kasa-Vubu est élu député national dans la ville de Léopoldville. Puis, il est élu, le 24 juin 1960, président de la République par le Parlement. Il prend les fonctions le jour de l’indépendance, le jeudi 30 juin 1960.

Mais dès le 5 juillet, l’immaturité intellectuelle, professionnelle et politique des jeunes nouveaux dirigeants conduit à des désordres politiques indicibles : mutinerie de l’armée, (premier) coup d’Etat de Mobutu, sécessions des provinces du Katanga (avec Tshombe) et du Kasaï (avec Kalonji), assassinat de Lumumba, rébellions mulélistes.

Au moment où, en 1965, une petite accalmie s’installe dans le pays, après la promulgation de la nouvelle Constitution, et que Kasa-Vubu s’apprête à entamer enfin la réorganisation des institutions et la construction de la nation, Joseph Mobutu réapparaît. Il perpètre son second putsch. Le président Kasa-Vubu est écarté du pouvoir. Définitivement. Les quatre années qu’il y aura passées auront été marquées par une longue et profonde crise politique.

Relégué dans sa province natale, Kasa-Vubu ne prête point attention à quelques fidèles, peut-être des mouchards, qui lui chuchotent à l’oreille de résister à ce sergent qu’il aura fait monter au grade de colonel et aux commandes de l’armée nationale congolaise. Rigoureusement assigné à résidence, dans la ville de Boma, l’ancien président de la République, très souffrant, se voit refuser de se rendre à l’étranger, ni même à Léopoldville, pour des soins appropriés. Abandonné, il meurt le 24 mars 1969.

Le peuple congolais a de Joseph Kasa-Vubu l’image d’une personnalité politique dotée de grandes qualités. Déterminé, réfléchi, et parfaitement intègre, il faisait preuve de sagesse et d’une conduite sans reproche dans la gestion des affaires publiques. Il est cité comme le modèle parfait de l’acteur politique qu’il faut au Congo, assumant les fonctions d’homme d’Etat avec responsabilité et oeuvrant, dans chacune de ses actions et décisions, selon les normes rigoureuses de la légalité et de l’éthique.

Quoiqu’opposé au président de la République, mais travaillant étroitement avec lui pour maintenir l’unité du Congo embrasé par des troubles sécessionnistes, Patrice Lumumba est même l’un des premiers à reconnaître en Kasa-Vubu un « homme intègre, un homme honnête, qui voit les intérêts du pays « . A la mort de l’ancien chef de l’Etat, le cardinal Malula, son condisciple au petit et au grand séminaires, loue le jeune étudiant travailleur qu’il fut, et glorifie la grandeur d’homme d’Etat qu’il a été durant son trop bref passage à la tête du pays. Des acteurs de la société civile voient en Kasa-Vubu la « référence de la bonne gouvernance », promouvant la transparence, s’abstenant de tout détournement des deniers publics, développant une forte compassion pour ses compatriotes, « restituant le reste de ses frais de missions au Trésor public « .

Discours de Joseph Kasa-Vubu à Kisantu, vers 1960.
Discours de Joseph Kasa-Vubu à Kisantu, vers 1960.© GETTY IMAGES

Contrairement aux idées reçues, le peuple informé sait que Kasa-Vubu a été le premier leader politique à exiger l’indépendance et, plus que quiconque, il a fait preuve de grande honnêteté dans la gestion politique. Le peuple congolais lui reconnaît les hautes qualités intellectuelles, civiques et morales qui constituent la base solide de la construction d’une république forte, prospère et capable de faire le bonheur de chacun des compatriotes. S’il avait eu un peu plus de temps à la tête de l’Etat et des circonstances de paix favorables, Kasa-Vubu aurait à coup sûr mis le Congo sur les rails de la bonne gouvernance, du progrès, du recul de la misère. L’indépendance eût été à l’avantage de tous les citoyens.

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