Mobutu Sese Seko à Paris Répondant aux journalistes au palais de l'Elysée à Paris en France, le 27 mars 1969. © GETTY IMAGES

Discours du président Mobutu Sese Seko

 » La domination et l’exploitation du Noir sur le sol de ses ancêtres par l’étranger blanc doit cesser « 

 » […] Tout le monde sait quelles ont été les circonstances d’accession de mon pays à l’indépendance. En 1960, le Zaïre, qui s’appelait alors le Congo, s’est effondré en une nuit comme un château de cartes. Plusieurs experts en matière de colonisation avaient non seulement conclu hâtivement à une sorte d’incapacité congénitale du peuple zaïrois, mais également démontraient par-là que l’indépendance des pays neufs était une mauvaise opération. Nous étions présumés et jugés incapables de nous gouverner sans l’aide des colonisateurs. Mais, à notre avis, cet accident du Zaïre était prévisible. Bien que, dans l’Acte de Berlin de 1885, le bassin du fleuve Zaïre eût été ouvert au monde entier, le Zaïre lui-même est resté isolé du monde, donc en marge des idées progressistes.

De plus, à l’accession du Zaïre à l’indépendance, mon pays, 80 fois plus grand que son ancienne métropole, comptait moins de 10 cadres nationaux ayant terminé leurs études universitaires et, dans l’administration, l’armée, le secteur privé, il n’y avait pas un seul cadre zaïrois. C’est pourquoi nous avons vécu de 1960 à 1965 une époque néfaste pour notre peuple, et nous sommes obligés de reconnaître que l’anarchie, le chaos, le désordre, l’inconscience et l’incapacité régnaient en maitres au Zaïre. […]

L’expérience zaïroise s’est forgée à partir d’une philosophie politique que nous appelons l’authenticité. Celle-ci est une prise de conscience du peuple zaïrois de recourir à ses propres sources, de chercher les valeurs de ses ancêtres afin d’en apprécier celles qui contribuent à son développement harmonieux et naturel. C’est le refus du peuple zaïrois d’épouser aveuglément les idéologies importées ; c’est l’affirmation de l’homme zaïrois ou de l’homme tout court, là où il est, tel qu’il est, avec ses structures mentales et sociales propres. Le recours à l’authenticité n’est pas un nationalisme étroit, un retour aveugle au passé, mais il est, au contraire, un instrument de paix entre les nations, une condition d’existence entre les peuples, une plate-forme pour la coopération entre les Etats. Car l’authenticité est non seulement une connaissance approfondie de sa propre culture, mais aussi un respect du patrimoine culturel d’autrui. […]

L’Afrique est un continent qui a subi les plus grandes humiliations de l’histoire. Depuis plusieurs siècles, la situation de l’homme noir en Afrique n’a fait qu’empirer. Sous prétexte qu’ils étaient venus en Afrique pour nous civiliser, les premiers Blancs, pionniers de cette civilisation, commencèrent par vider nos pays respectifs de leur substance fondamentale, notamment dans la pratique honteuse du commerce des esclaves. […] Nos ancêtres n’étaient pas considérés comme des hommes ni même comme des êtres doués d’intelligence et de sentiments, mais comme des amas de muscles à qui l’on demandait des efforts mécaniques comme on en demande au cheval, au buffle, à l’âne ou au boeuf. […]

En 1885, les grands négriers de l’époque se rencontrèrent à Berlin et dépecèrent, comme des vautours, le continent africain. Il n’y aura plus de razzia esclavagiste qui leur coûtait cher, il n’y aura plus d’occupation désordonnée, mais une occupation préméditée et organisée. L’exploitation des Noirs n’est plus sporadique, mais elle devient systématique, permanente et définitive par l’appropriation pure et simple des territoires d’Afrique par ces négriers. Le Noir n’a plus à échapper aux razzias, car il perd tout simplement ses droits, sa patrie et sa liberté. Le processus de déshumanisation commence. Le Noir doit abandonner sa personnalité, ses structures mentales et sociales, en un mot : son authenticité. […]

Malgré les gigantesques moyens mis en oeuvre pour asservir perpétuellement l’homme noir, les peuples blancs d’Europe n’ont pas pu éteindre la flamme de la liberté et de la dignité du Noir d’Afrique. C’est ainsi qu’autour des années 60 un sentiment irrésistible et irréversible de liberté s’empara de tous les peuples d’Afrique et provoqua la débandade dans les rangs des colonialistes qui n’y étaient pas préparés. L’homme noir brisa ses chaînes et dit non à son exploitation et à son aliénation par l’Occident. Un fruit ne tombe que quand il est mûr ; mais devant l’ouragan et la tempête de l’histoire, mûr ou pas mûr, il tombe quand même. […]

Au Zaïre, nous nous demandons ce qui signifie exactement le développement. Peut-on appeler pays développés des pays qui possèdent un nombre impressionnant de voitures, qui construisent des milliers de kilomètres d’autoroutes, qui polluent les eaux, les mers et l’air? Faut-il appeler pays sous-développés ceux dont les habitants sont pauvres, certes, mais équilibrés ? Où l’on compte moins de cas de suicides, où il y a moins de meurtres et moins de déséquilibrés et de sadiques ? Je vous avoue que je n’ai jamais considéré le Zaïre, mon pays, comme sous-développé, car mon peuple est discipliné, travailleur, digne et fier, alors que les pays qui se disent développés sont le théâtre de désordres sociaux, de grèves sauvages. C’est pourquoi nous préférons au terme de développement celui d’équipement. Nous reconnaissons volontiers que nous sommes sous-équipés par rapport à d’autres pays. […]

Le monde se divise en deux camps : les dominés et les dominateurs ; les exploités et les exploiteurs. Les pays pauvres ne le sont pas par incapacité congénitale ; ils le sont par suite de l’histoire qui a fait que certains pays ont dominé, exploité et pillé d’autres pays pour s’enrichir, Et c’est de la logique mathématique : quand le riche exploite le pauvre, le riche devient de plus en plus riche, et le pauvre de plus en plus pauvre. […]

Tant que les communications téléphoniques et les liaisons aériennes entre nos différents Etats transiteront par les anciennes métropoles, pour les enrichir davantage, nous ne pourrons pas parler d’un développement harmonieux. Tant que le commerce entre nos Etats restera désordonné par le fait que nous produisons les mêmes produits et que nous nous concurrençons sur les marchés des pays riches, nous jouerons toujours le jeu de ceux-ci, en nous asservissant nous-mêmes. Tant que les pays dits du « tiers monde » qui sont riches, notamment ceux qui sont producteurs de pétrole, tout en se plaignant de l’exploitation des pays industrialisés, feront moisir toutes leurs économies dans les banques de l’Occident, notre développement sera toujours compromis. […]

Nous ne pouvons plus accepter que partout au monde toutes les races soient libres, sauf la race noire d’Afrique. C’est pourquoi nous sommes déterminés à faire changer, par tous les moyens, cet état de choses ; la domination et l’exploitation du Noir sur le sol de ses ancêtres par l’étranger blanc doivent cesser. […]

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