Nicolas De Decker

Yvan Mayeur, une certaine idée de la juste mesure

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

A l’échelle de son parti, Yvan Mayeur est un grand homme, presque un géant même. Il est socialiste. Peut-être est-il même de gauche. Beaucoup des choses dites et certaines des choses faites alors qu’il présidait le CPAS de Bruxelles peuvent en tout cas le laisser penser. L’inimitié que lui vouent des Elio Di Rupo et des Philippe Moureaux aussi bien, éventuellement.

Sur une échelle de dix-neuf communes, Yvan Mayeur est un grand homme. Il est bourgmestre d’une de ces communes. Cette commune est la capitale d’un pays et d’un continent. Les attentats qu’elle a subis en ont fait une des capitales du malheur du monde. A l’échelle du monde et des cinq continents, Yvan Mayeur est donc peut-être bien un grand homme aussi.

Comme Yvan Mayeur est un grand homme, et comme Yvan Mayeur le pense, il aime beaucoup le montrer.

Car il n’y a pas d’intérêt à être un grand homme si on ne l’est que pour soi tout seul dans son petit coin triste. Donc Yvan Mayeur s’expose. Il aime bien ça, en plus. Sa grandeur embrassait BX1 naguère, elle pétule sur CNN désormais.

Yvan Mayeur est, à l’échelle de la planète, un des Bruxellois les plus visibles. A l’échelle de son parti, il est le seul Bruxellois crédible : l’opinion envoie Laurette Onkelinx à Lasnes, Philippe Moureaux à la retraite, et Rudi Vervoort à Evere ou nulle part, ce qui est à peu près pareil.

Bref, Yvan Mayeur est un grand homme, c’est à tout le moins ce que lui renvoie son très conciliant surmoi.

Et Yvan Mayeur fait ce qu’il veut.

Mais que veut-il, ce grand homme, au fond ? Où veut-il en venir ? Où va-t-il arriver ? Quelqu’un le sait-il ? Lui, peut-être. Certainement pas son fort amitieux surmoi. Et nous encore moins.

Mais feu Paul Watzlawick pourrait peut-être aider à le savoir. Ses ultrasolutions, c’est-à-dire des réponses qui semblent bonnes, mais dont la logique est poussée si loin qu’elles « se débarrassent non seulement du problème, mais aussi de tout le reste », paraissent prisées par le grand homme de la capitale, et fort largement tolérées par son fort prévenant surmoi.

Une ultrasolution, dit Watzlawick, ne fait que des perdants en semblant flatter un vainqueur. Elle tient dans cette blague pour étudiants en médecine : opération réussie, patient décédé.

A cette échelle, Yvan Mayeur est un sacré carabin.

Ainsi Yvan Mayeur, devant le laid constat d’un boulevard devenu une lente autoroute, a une idée. Il le ferme aux automobiles. Il le rend, dit-il, à ses habitants. Les gagnants, ce seront eux. Tous n’en veulent pas, mais l’essentiel n’est pas là. Son piétonnier est plus agréable que le tunnel à ciel ouvert de naguère. Mais là n’est toujours pas l’essentiel. L’essentiel, c’est que ce boulevard sera vite repris aux habitants à qui on disait les rendre. Il sera donné à d’autres, enrubanné de soyeux argent public : aux multinationales du parking et du bâtiment, aux architectes globalisés, aux interchangeables grandes enseignes, aux touristes en pelisse. Certains y gagneront un peu d’argent. Mais Bruxelles y perdra un quartier. Opération réussie, patient décédé.

Ainsi Yvan Mayeur, face à l’horreur criminelle d’attentats djihadistes, pose un constat. « Le problème, c’est que les mosquées de Bruxelles sont aux mains des salafistes », dit-il. Un, que le salafisme soit un problème n’est pas fondamentalement idiot. Deux, que les mosquées qui prêchent cette lecture de l’Islam encouragent à l’action violente, en revanche, n’a jamais été établi : les apprentis djihadistes s’exaltent, justement, en dehors de ces circuits trop institutionnels pour leurs séditieuses pulsions. Trois, qu’elles soient toutes aux mains des salafistes relève de la plus scandaleuse mystification (le Comité R en a identifié une trentaine comme telles, sur quelque 320 mosquées que compte la Belgique). L’amalgame peut enchanter un certain électorat, celui des petits blancs déclassés. Mais ils n’y gagneront que de la rancoeur. Yvan Mayeur y gagnera tout au plus du ridicule. Les musulmans ordinaires, non salafistes dans leur immense majorité, y perdront encore et toujours leur honneur. Bruxelles, la Belgique, notre société, y perdent encore et toujours en dignité. Quatre, donc, opération réussie, patient décédé.

Ainsi Yvan Mayeur, contre la déferlante de hooligans descendue sur la Bourse dimanche, lance des paroles fortes. Personne ne le retient, et tout le monde l’entend. Il crie partout, dans tous les journaux, dans tous les JT et sur toutes les stations. « La lie de l’humanité », dit-il. Il y avait certes des supporters du Sporting de Charleroi dans le lot. Cela accréditerait la thèse auprès de tout supporter conséquent de l’Olympic de Charleroi. Mais il n’empêche. C’est un peu fort tout de même. Et méchant pour les supporters ordinaires, non hooligans dans leur immense majorité. « J’ai appris la veille qu’ils viendraient », dit-il. Le bourgmestre de Vilvoorde et le ministre de l’Intérieur ont certes une responsabilité dans l’affaire. Mais il n’empêche. Yvan Mayeur a menti. Il avait été prévenu deux jours avant, ont révélé nos confrères de la DH. C’est un peu fort tout de même. Et méchant pour les lecteurs, pour les téléspectateurs et pour les auditeurs, non bourgmestres de Vilvoorde et non ministres de l’Intérieur dans leur immense majorité. « C’est la Flandre qui est venue salir Bruxelles avec ses extrémistes », dit-il. Certes ils ont embarqué à Vilvoorde, et tous ne parlaient pas le latin le plus pur. Mais il n’empêche. Il y avait des francophones, et même des Bruxellois, dans l’équipée. C’est un peu fort tout de même. Et méchant pour les Flamands ordinaires, non hooligans et non extrémistes dans leur majorité. Ceux-ci n’y gagneront que du mépris pour Bruxelles. Et pour Yvan Mayeur, qui y perdra encore de la réputation médiatique et du capital politique. Opération réussie, patient décédé.

Tiens, au fait, le titre du livre où Watzlawick inventa les ultrasolutions, c’était ça :

« Comment réussir à échouer ? »

Pensez-y, grand homme.

Et mettez votre surmoi sur le coup.

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