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Vu de Flandre : « De Wever a son moment Onkelinx »

Muriel Lefevre

La bataille pour le 16 risque d’être féroce. Ils sont en effet nombreux à vouloir obtenir le poste de Premier ministre. Ce qui fait dire à de nombreux observateurs en Flandre que rien n’est encore joué.

Lachaert (Open VLD) et Rousseau (SP.A) sont donc les nouveaux préformateurs : « Après le statu quo, il faut enfin aller de l’avant ». Sauf que cette nomination n’est pas encore l’avancée tant attendue. « Si on n’a pas été capable de nommer vendredi un formateur, c’est parce que tout n’est pas encore réglé, loin de là », estime l’analyste politique Rik Van Cauwelaert. L’une des causes principales à l’absence d’un formateur serait l’antipathie qui existe entre Magnette et Bouchez, dit De Morgen. On a longtemps cru qu’on verrait un duo Magnette et Alexander De Croo ou Magnette et Lachaert. Mais Bouchez a mis le holà. « Traditionnellement, un formateur devient aussi chef du gouvernement. Il était inconcevable pour Bouchez de donner un tel cadeau ». Un point également mis en avant par le politologue Carl Devos (UGent) : « La bataille personnelle qui se déroule actuellement entre Georges-Louis Bouchez et Paul Magnette met beaucoup de pression. Il faut s’en débarrasser avant que les pourparlers puissent se poursuivre ». Et puis il y a aussi la question de l’avortement auquel on n’a pas encore trouvé de réponse, ou encore le nucléaire. Et surtout il y a le poste de premier ministre et comment on va payer toutes les nouvelles mesures ? Le gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, a ainsi déclaré plus tôt dans De Tijd que « les gens dépensent déjà de l’argent alors que nous n’en avons pas. La situation financière était déjà terrifiante avant la chute du gouvernement », dit-il encore.

Bref, les écueils sont encore nombreux. Et voici les plus importants repris par la presse flamande.

Le profond désespoir du CD&V et un Coens très contrarié

Avec le très joliment formulé « Avanti », le CD&V ne parvient pas à cacher un certain désespoir. Depuis la nuit des élections du dimanche 26 mai 2019, les démocrates-chrétiens avaient, en effet, lié leur sort à celui de la N-VA. Depuis que Joachim Coens a donné le signal qu’un gouvernement sans la N-VA est concevable, cela vacille au CD&V . Les alternatives – de nouvelles élections, ou une place dans l’opposition aux côtés de la N-VA et du VB – pourraient menacer gravement la viabilité du parti. Mais cela ne signifie pas que la participation du gouvernement sera une recette pour le succès. Si le parti s’en tient à sa ligne de conduite éthique et communautaire actuelle – et c’est ce qu’il semble pour l’instant – et qu’il arrive à former un gouvernement malgré tout, alors il semble que nous soyons repartis pour une coalition autodestructrice avec des conflit set de la méfiance. Pour le CD&V, il n’y a pas de bon côté: la partie se retrouve coincé entre le marteau et l’enclume, peut-on lire dans De Morgen.

Joachim Coens
Joachim Coens© Belga

Les bourgmestres du parti se rendent compte que pour redevenir populaire en Flandre, le CD&V doit devenir plus calme, plus conservateur et, bien sûr, plus à droite. Mais sur ce terrain il y a la N-VA. Ce n’est donc pas une coïncidence si, aujourd’hui encore, la résistance au sein du CD&V contre l’adhésion à un gouvernement sans N-VA est principalement menée par les bourgmestres, comme le montre une récente enquête de Het Laatste Nieuws. Si on pense souvent que le problème du CD&V est existentiel, il est en réalité économique dit encore De Morgen. Le parti voit tout simplement son marché se rétrécir et le marché des électeurs est hyperconcurrentiel. Il fonctionne selon le principe: ce que l’un gagne, l’autre le perd, car il ne peut jamais y avoir plus de 100 % des électeurs. C’est un marché sans croissance et largement occupé par la N-VA. Bien sûr, on peut prendre son courage à deux mains et affronter la concurrence, mais c’est diablement délicat comme l’a montré la question de l’avortement, par exemple. Le CD&V a fait (et continue de faire) de ce point, un point de rupture, mais c’est la N-VA qui a donné un visage politique à la résistance. Le parti l’a sans doute fait par conviction, mais aussi pour couvrir tous les coins du marché électoral conservateur.

Vu de Flandre :

Dans le domaine économique, il existe une alternative à la concurrence: la fusion, ou du moins la coopération dans une entreprise commune. Le CD&V et la N-VA connaissent cette voie. De 2004 à 2008, ils ont formé un cartel ensemble, bien que dans un rapport de force inverse. Si les démocrates-chrétiens maintiennent leur cap plus conservateur et plus à droite, la question des cartels reviendra tôt ou tard sur la table. Mais pour dépoussiérer à nouveau cette piste, les résultats des urnes, chez eux et chez la N-VA, doivent d’abord être un peu plus mauvais.

L’adhésion du CD&V au projet reste d’ailleurs chancelante. Pas plus tard que ce lundi 7 septembre, Joachim Coens a déclaré à la VRT qu’il était très « contrarié ». Il n’est toujours pas convaincu que la coalition Vivaldi puisse réussir. Le projet est sous pression « en ce moment », a-t-il déclaré en arrivant au bureau du parti au CD&V . La semaine dernière, nous avons conclu des accords clairs sur un certain nombre de questions que nous voulons voir résolues d’une certaine manière et je n’ai pas l’impression que ce soit le cas pour le moment. Je suis très contrarié par cette situation ». Ce dont le président du CD&V parlait exactement n’est pas clair, bien que l’éventuel assouplissement de la loi sur l’avortement est en tout cas une question sensible pour les démocrates-chrétiens. Le président du CD&V, Joachim Coens, semble donc à nouveau appuyer sur le frein.

Coens s’explique dans De Standaard

Dans une interview au Standaard Joachim Coens précise qu’il n’y a pas grand-chose à lui reprocher. « Nous ne sommes pas ici pour participer à une histoire olé-olé. Ils savent qu’il doit y avoir un consensus au sein du gouvernement sur les questions éthiques. Sans nous, rien n’est possible. Nous avons fait tout notre possible, pendant quatorze mois, pour mettre en place un gouvernement fédéral avec une majorité flamande. Mais au final, la tentative ultime de Paul Magnette (PS) et Bart De Wever (N-VA) cet été a échoué. « Alors, je ne peux rien y faire. Et à la question du manque de majorité flamande ? « Nous pensons toujours qu’une majorité flamande est importante, c’est maintenant ce que c’est. Il nous manque quelques sièges pour obtenir une majorité flamande, mais il s’agit d’un gouvernement fédéral belge. C’est exagéré de voir çà comme une trahison. Nous sommes un parti qui a de profondes racines en Flandre. Nous représentons également le monde entrepreneurial flamand, la tradition flamande. Si on est gouvernement, ces thèmes seront abordés. Ils devront nous prendre en compte, sinon nous ne participerons pas. De toute façon l’alternative était le chaos, ou un projet violet-vert, éthiquement progressiste à la sauce belge, ce qui n’était pas du tout intéressant pour nous. L’accent doit être mis sur la relance, le redressement de l’économie et le pouvoir d’achat des citoyens. Il dit aussi que la N-VA a tort de s’interroger sur le respect de l’accord de coalition flamand. » Chaque parti au pouvoir doit respecter les accords de coalition existants, un point c’est tout. Le gouvernement fédéral devra respecter les accords flamands, wallons et bruxellois et rechercher une bonne coopération. Celui qui empêche cela est celui qui sape le pays. Le niveau fédéral peut jouer un rôle de coordination plus important dans certains domaines, mais l’essentiel est de poursuivre la régionalisation. Il n’y a pas de retour en arrière. J’espère que la N-VA voudra y participer. »

De Wever a son moment Onkelinx

« Comment ont-ils osé ? » Ce sont les paroles indignées de la politicienne PS Laurette Onkelinx lorsque Charles Michel et le MR ont formé un gouvernement fédéral en 2014 sans le PS. À l’époque, en Flandre certainement, la déclaration va être perçue comme la frustration d’un parti de pouvoir qui ne peut tout simplement pas imaginer ne pas être au gouvernement. Le week-end dernier, Bart De Wever et la N-VA ont vécu leur moment Onkelinx selon Bart Eeckhout rédacteur en chef du De Morgen. Quand à Egbert Lachaert, président de l’Open-Vld, il est soudainement devenu le plus grand saboteur de l’histoire nationale récente. Pourtant, toujours selon Eeckhout, la plainte selon laquelle le gouvernement ne représente pas une majorité en Flandre semble un peu pathétique, après un règne où la Belgique francophone n’était représentée que par un seul parti valant un quart des voix francophones. Le fait que les votes des Flamands auraient plus de valeur parce qu’ils proviennent d’une région plus prospère du pays est un raisonnement qui laisse entendre quelque chose que nous, pour paraphraser Bart De Wever, ne pourrions plus appeler démocratie. Car si ce gouvernement voit le jour, il sera parfaitement légitime et démocratique, soutenu par une majorité parlementaire. Et la N-VA se retrouve dans l’opposition, c’est parce qu’elle a lancé une attaque trop téméraire et ouverte contre les libéraux. Une douloureuse erreur de calcul, qui peut expliquer pourquoi la frustration est maintenant grande.

Et Bart De Wever est très en colère et a beaucoup de mal à le cacher. À l’automne, les membres de la N-VA éliront un nouveau président. Bart De Wever, qui dirige le parti depuis 2004, n’a du coup pas exclu la possibilité de rester président. « L’option que je reste en place existe. Je suis en colère et je n’ai pas envie d’abandonner maintenant ». Il est particulièrement remonté contre les libéraux flamands : « Lachaert m’a saboté dès le premier jour ». Dans l’émission le septième jour, il ira même jusqu’à le traiter de petit chien-chien à Bouchez. Il n’est pas plus tendre pour le CD&V. « Ils vont être très déçus. Vont-ils vraiment recommencer à marchander sur l’avortement ? Et aussi : « Je serais très surpris si ce club devait négocier une réforme de l’État ». Heureusement, toujours selon De Wever, « l’accord de coalition flamand est très précis. Nous verrons bien ce qu’il leur reste de loyauté politique. »

Bataille rangée autour du 16

Qui aura les clés des Seize ? Ce n’est clairement un détail pour personne. La question est même ultra sensible parmi les sept partis Vivaldi (CD&V, Ecolo, Groen, MR, Open Vld, PS et sp.a). « Cette question a pesé sur les négociations comme une épée de Damoclès », déclare le politologue Carl Devos (UGent). Le gouvernement Avanti tel qu’il s’annonce aura une minorité une flandre de quoi rendre la question du Premier ministre encore plus sensible du côté néerlandophone. Car c’est une évidence pour de nombreux analystes : le prochain premier ministre doit être flamand. « Si, en plus de cette minorité flamande, un Premier ministre francophone arrive, alors les cartouches sont prêtes au Mouvement flamand », dit ainsi le politologue Devos. « A mon avis, il ne fait donc guère de doute que le Premier ministre sera un Flamand », déclare le politologue Pascal Delwit (ULB) dans De Morgen. Et plus précisément cela devrait se jouer entre les libéraux et les démocrates-chrétiens flamands. D’un côté les libéraux ont obtenu plus de voix et sont à l’origine de la note, mais de l’autre on peut se demander ce que le CD&V a demandé pour faire le grand saut et lâcher la N-VA.

Vu de Flandre :

Chose surprenante, du côté flamand, et contrairement au MR et au PS qui ont réclamé le poste de Premier ministre, on reste plutôt silencieux sur le sujet. Cela ne veut pas dire que personne n’est intéressé. Au point que bien que les partis francophones fassent le plus de bruit, ce sont les Flamands semblent être en pole position dit encore De Morgen. C’est, par exemple, un secret de polichinelle que De Croo convoite ce post. Et au CD&V le nom de Koen Geens revient régulièrement et on argue que cela permettrait d’effacer un peu l’impression de n’être qu’une pièce rajoutée à l’axe violet-vert. Mais ce ne sont là que des pistes tant poste de premier n’est qu’une des cartes d’un jeu plus large. Les roulements de mécaniques qu’on a pu voir ce week-end « sert un autre objectif », déclare pour sa part Devos. « Celui qui renonce à la première place, peut, plus tard, demander quelque chose en retour. Quel parti, par exemple, ne voudrait pas obtenir le ministère des Affaires sociales ou de la Santé des postes qu’un gros budget peut se permettre » ?

Quoi qu’il en soit Conner Rousseau, président du SPA a été limpide ce week-end, on doit savoir pour vendredi qui sera formateur et donc le prochain premier ministre probable. De quoi lancer un jeu de poker menteur qui risque d’encore créer quelques remous. Tous s’accordent donc à dire que rien n’est gagné et que la traversée de la semaine risque d’être mouvementée pour cette barge surchargée de rouge, de bleu, d’orange et de vert.

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