Pour Anne-Emmanuelle Bourgaux (ULB - UMons), " aucune leçon n'a été tirée du bug de 2014 ". © Thierry du Bois/reporters

Vote électronique : à la fin, c’est toujours PwC qui gagne

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Après le « bug » électoral de 2014, des ratés sans grande gravité ont été à déplorer dans certains bureaux de vote bruxellois durant ces élections communales. Le système reprendra donc du service aux scrutins de 2019. A quinze jours des communales, Jan Jambon (N-VA), ministre fédéral de l’Intérieur, y a veillé en désignant le géant de l’audit PwC unique dépositaire de la validation des logiciels électoraux.

Le nez sur le scrutin communal programmé ce dimanche, Jan Jambon avait bien choisi son moment pour glisser au Moniteur belge du 1er octobre un arrêté royal daté du 16 septembre dernier qui ajoute une pierre précieuse à l’édifice du vote électronique : l’identité de l’organisme chargé de certifier la bonne marche des systèmes et logiciels électoraux.

 » And the winner is… »  » PWC Enterprise Advisory SCRL « , heureuse élue pour assister le ministre dans sa délivrance de l’agrément aux fournisseurs de logiciels. Mission d’importance : comme le rappelle Jan Jambon dans son rapport au Roi justifiant sa démarche, confier à  » un organisme indépendant  » le soin de vérifier la conformité des matériels et logiciels de vote, c’est faire oeuvre  » d’ouverture et de transparence  » et c’est renforcer le contrôle démocratique du vote électronique dont certains déboires ont pu faire douter l’électeur.

C’est précisément pour dissiper tout soupçon que décision a été prise de nettoyer la liste des organismes d’avis agréés, en vigueur depuis 2002, et de repartir d’une page blanche avec l’espoir de susciter de nouvelles vocations. La sécurité du processus électoral n’a pas de prix et ne pourra que mieux s’en porter.

Concurrence muette

Ombre au tableau, que ne s’expliquent ni le SPF Intérieur ni la firme lauréate contactés par Le Vif/L’Express : Jan Jambon n’a pas eu l’embarras du choix dans sa quête d’expertise puisque PwC, candidat à sa succession, n’a eu qu’à paraître pour décrocher la timbale : seule firme à avoir répondu présent à l’appel à candidatures lancé le 1er décembre 2017, et seule firme à avoir passé l’épreuve avec succès. Aucun autre amateur ne s’est manifesté, y compris parmi les organismes jusqu’ici en lice. Un expert en la matière croit comprendre cette frilosité :  » Les professionnels de la certification préfèrent ne pas s’engager dans ce créneau visible et peu rentable qui les exposera en cas de dysfonctionnements.  » S’il s’agissait de redistribuer les cartes, l’effet d’annonce est loupé. Le contrôle du vote électronique passe même du stade de l’oligopole, soit un marché que se partageaient quatre sociétés, à celui d’un monopole de fait. Bonjour le progrès.

Voilà PwC (re)déclaré bon pour le service et désormais seul maître à bord pour attester de la fiabilité des systèmes et logiciels de vote électronique avec preuve papier ainsi que des logiciels électoraux de recensement des voix et de répartition des sièges, et ce pour toutes les élections organisées en Belgique. Rien qui puisse dépayser ce géant de l’audit, vieille connaissance du vote électronique, incontournable en matière de certification en dépit d’un CV pas exempt de tout reproche.

PwC au rapport après le scrutin communal bruxellois d’octobre 2012. Chargé de débriefer la prestation du vote automatisé, le collège d’experts s’étonne que certains problèmes potentiels liés au système de vote  » n’aient pas été soulevés par l’organisme d’avis  » et dit ignorer  » quelles sont finalement les sources qui ont été analysées par l’organisme d’avis « . Le certificateur aurait audité et validé des codes sources de qualité douteuse. Bon pour une fois ?

Bug électoral, PwC pris en défaut

PwC derechef au rapport lors des élections régionales/fédérales/européennes du 25 mai 2014 victimes d’un bug qui conduit au classement vertical de plus de 2 000 votes bruxellois et wallons. La société est alors égratignée pour ne pas avoir débusqué le logiciel de comptage des voix défaillant.  » Les auditeurs de PricewaterhouseCoopers sont complètement passés à côté du problème. Pendant plus de vingt ans, on a utilisé des programmes dont personne n’a jamais su s’ils fonctionnaient correctement. La seule garantie était celle donnée par PricewaterhouseCoopers dont on a compris toute l’inanité « , charge l’ingénieur informaticien Thierry Bingen au nom de l’association citoyenne  » pour une éthique du vote automatisé  » (PourEVA), auditionné au parlement bruxellois en octobre 2015. A la Chambre, le ministre Jambon admet une responsabilité du côté de la certification dans le couac informatique, sans aller jusqu’à donner de nom…

Et c’est avec une facilité déconcertante que le même Jan Jambon vient donc de confier le contrôle des prochains moments clés en démocratie représentative au savoir-faire de la seule PwC. Stupeur et regain d’indignation parmi celles et ceux qui s’alarment de l’abandon du processus électoral automatisé aux intérêts privés, s’épuisent à dénoncer son opacité absolue et se disent atterrés de voir la mécanique relancée de plus belle.

Sous le sceau de la confidentialité

Anne-Emmanuelle Bourgaux, professeure de droit public (ULB-UMons), dresse le réquisitoire :  » Ce nouvel arrêté royal démontre toute la mauvaise gouvernance de l’Etat. Aucune leçon n’a été tirée du bug de 2014 qui aurait dû ouvrir les yeux. Le rapport du collège des experts sur cet incident tout sauf anodin recommandait de réfléchir à réduire la dépendance de l’Etat à l’égard des firmes privées. C’est tout sauf cette voie-là qui est suivie « . Et la juriste de poursuivre :  » Non content de maintenir sa dépendance totale à l’égard du secteur privé dans le contrôle du vote électronique, l’Etat réengage comme seul organisme certificateur la firme qui s’est révélée un piètre contrôleur. Le fournisseur contrôlé continuera à payer ce contrôleur pour sa prestation, ce qui rend illusoire un contrôle impartial et indépendant. Enfin, l’appel à candidatures remporté par PwC stipule que l’Etat s’engage toujours à ne pas rendre publics le contrat conclu entre le fournisseur et l’organisme contrôleur ainsi que les documents établis durant la procédure d’avis. Cette confidentialité pose un vrai problème de déficit démocratique. Le collège des experts s’en était déjà plaint et en 2005, le ministre de l’Intérieur Patrick Dewael (VLD) disait partager totalement cette opinion « . En substance, déclarait alors le ministre au Sénat,  » ces clauses de confidentialité doivent à mon sens être réputées non avenues […]. Il faut revoir les relations entre l’organisme d’avis et les fournisseurs de systèmes de vote automatisé afin de renforcer l’indépendance de cet organisme « .

Cause toujours. Confiance est maintenue à une firme privée qui seule obtient les clés pour décréter le vote électronique au-dessus de tout soupçon.  » Il n’y a pas que les centrales nucléaires qui se fissurent en Belgique, la démocratie aussi se lézarde. A côté d’un black-out électrique, à quand le black-out électoral… », s’interroge Anne-Emmanuelle Bourgaux.

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