Visa refusé à une famille syrienne: Belgique et défenseurs s’accusent d’avoir voulu faire disjoncter le système

Le Vif

L’Etat belge et les défenseurs d’une famille syrienne qui s’est vue refuser il y a deux ans et demi des visas humanitaires alors que sa ville d’Alep était sous les bombes se sont accusés mutuellement, mercredi devant la Cour européenne des droits de l’homme, d’avoir voulu faire « disjoncter » le système.

Ce couple avec leurs deux enfants alors âgés de 5 et 8 ans était parvenu à solliciter des visa de court séjour (moins de 90 jours) auprès de l’ambassade de Belgique à Beyrouth (Liban), dans le but avoué de demander l’asile en Belgique, où une famille amie en région namuroise pouvait leur offrir l’hébergement. L’Office des étrangers leur avait refusé ces visas, préconisant qu’ils sollicitent plutôt un visa pour séjour long vu que l’asile était le but poursuivi.

Mais les graves risques sécuritaires à Alep ont convaincu la juridiction administrative de recours, le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), d’enjoindre à l’Etat belge de délivrer un laissez-passer ou un visa de trois mois.

L’affaire, devenue emblématique de la politique du secrétaire d’Etat Theo Francken (N-VA), s’est éternisée dans les méandres procéduriers. Après plusieurs décisions favorables aux requérants que l’Etat s’est refusé d’appliquer dans l’attente d’un jugement au fond, le CCE puis la Cour d’appel ont finalement débouté la famille au motif que les refus de visas étaient entre-temps devenus définitifs.

L’affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de homme à Strasbourg, où pas moins de onze Etats se sont joints à la Belgique, craignant de se voir obligés d’octroyer des visas humanitaires sur base d’une demande introduite dans une ambassade à l’étranger. Devant les 17 juges de la Grande Chambre de la juridiction strasbourgeoise où le dossier a été attrait vu sa sensibilité, les avocats de l’Etat belge ont réfuté que les requérants tombaient sous la juridction de la Belgique « par le seul fait qu’ils ont franchi la porte de son ambassade au Liban. » « Cela ferait tomber tous les habitants de la planète sous juridiction belge au motif qu’une décision d’une juridiction belge les affecterait à l’étranger », a fait valoir Isabelle Niedlispacher, juriste au service public fédéral Justice. Elle a souligné les « conséquences désastreuses » qu’une telle situation entraînerait sur les postes diplomatiques.

De nombreux instruments internationaux seraient privés de toute utilité, a-t-elle ajouté, critiquant aussi une « atteinte à la souveraineté des Etats et au principe de non ingérence ». Conseillère pour l’Etat belge, Me Elisabeth Derriks a estimé que cette famille syrienne avait eu la possibilité de quitter sa situation précaire, voire qu’elle « n’y était pas vraiment confrontée », comme en témoignent à ses yeux plusieurs déplacements à l’étranger effectués par le père de famille à l’époque. « Est-il encore nécessaire de démontrer la situation humanitaire désastreuse à Alep à cette époque », s’est insurgée Me Loïca Lambert, pour les requérants. « La famille a vu son habitation détruite par les bombardements, ils ont dû fuir dans l’habitation d’un oncle qui a été ciblée par des tirs de roquettes, les enfants n’ont pas eu d’école pendant de nombreux mois, ils ont vécu sans eau ni électricité, dans la crainte permanente de mourir par balle ou par bombardement! »

Son collègue Olivier Stein a dénoncé les « multiples manoeuvres dilatoires » de l’Etat belge, qui est allé jusqu’à solliciter un changement de registre linguistique comme s’il ne maîtrisait pas une langue nationale. « En Belgique, même si des décisions de justice multiples sont prononcées en votre faveur, l’exécutif peut, s’il fait preuve de suffisamment d’acharnement, d’indécence et de déloyauté dans son rapport aux autres pouvoirs, priver les décisions judiciaires de toute effectivité », a-t-il dénoncé. A ses yeux, le gouvernement belge a utilisé les règles de procédure pour « faire disjoncter le système ». « Ce sont les requérants qui ont voulu faire disjoncter le système communautaire des visas, en dépit des indications claires de l’ambassade sur l’inadéquation de la procédure utilisée, et une offre de relocalisation au Liban », ont répliqué les représentants de l’Etat.

Mais pour les requérants, cette offre de relocalisation n’a jamais été concrète. Elle n’était d’ailleurs pas envisageable « au regard de la situation inhumaine des personnes réfugiées au Liban à l’époque ». Les juges devront déterminer, dans les mois à venir, si les requérants relevaient ou non de la juridiction de la Belgique, s’ils ont disposé d’un recours effectif ou encore si l’Etat avait une obligation de délivrer les visas pour éviter aux requérants un risque de torture ou de traitements inhumains et dégradants.

Plusieurs ONG, dont la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), le Mouvement ouvrier chrétien (MOC), le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et ATTAC ont créé un collectif pour apporter leur soutien à la famille. L’Ordre des barreaux francophone et germanophone de Belgique soutient lui aussi la famille syrienne.

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