Pourquoi ne pas accommoder à la sauce climatique l'arsenal qui a permis de faire face à la crise sanitaire? En rejouant, par exemple, le coup des Codeco. © BELGA IMAGE/GETTY IMAGES

Vers un modèle similaire à la gestion de crise « corona » pour le climat en Belgique?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

S’inspirer des acquis de la gestion de crise sous urgence sanitaire pour espérer faire avancer le schmilblick climatique en Belgique. Il n’est jamais interdit de rêver.

Chaud devant et sueurs froides. Tic-tac, tic-tac, toujours pas de mode d’emploi adéquat pour désamorcer la bombe climatique. Ce n’est pas faute de faire et refaire le tour de la question à longueur de séminaires, d’auditions au Sénat, d’articles académiques. On stagne, on tourne en rond. On rêve tout haut. D’une vision « interfédérale » du climat, d’une « stratégie cohérente et coordonnée » entre niveaux de pouvoir. Carrément d’une « unité de commandement ». A ce propos, pourquoi ne pas accommoder à la sauce climatique l’arsenal qui a permis de faire face à la crise sanitaire et même peut-être de la surmonter? En rejouant le coup des Codeco, ces comités de concertation où les représentants des six gouvernements du royaume s’accordent tant bien que mal sur un pied d’égalité pour ramer vers le même cap. En dupliquant dans la foulée le commissariat corona mis sur pied par l’échelon fédéral.

On a déjà beaucoup essayé pour fluidifier la coopération climatique mais on a fort peu récolté.

Certains croient déceler la tentation dans l’appel à « dépolitiser » le débat sur le climat lancé par voie de presse par Alexander De Croo (Open VLD), Premier ministre. Maigre indice.

Corona, climat: même branle-bas de combat. L’affaire de tous, on ne le dira jamais assez. « Tous, nous sommes ministres du Climat, de l’Environnement et du Développement durable », martèle depuis son maroquin fédéral Zakia Khattabi (Ecolo), qui n’est jamais que l’une des quatre ministres en charge de ce portefeuille et qui ne jure que par « un pilotage transversal, efficace et efficient de notre politique climatique ». Cette « avancée majeure » n’enlève rien, ou si peu, à la marque de fabrique de la gouvernance climatique sous nos latitudes: un modèle d’éclatement de compétences, de lenteur et d’enlisement, propice à l’irresponsabilité, et que tout le monde s’emploie à déplorer.

Baronnies et jalousies

L’effort climatique s’égare dans un processus décisionnel intrabelge qui brille par sa rigidité. Celle-ci le condamne à se hâter lentement au rythme d’accords de coopération facultatifs, obligatoirement conclus à l’unanimité et qui étalent leurs insuffisances. « Notre régionalisation a démontré au fil du temps qu’elle confortait surtout les baronnies et les jalousies de pré carré », pointe Delphine Misonne, spécialiste en droit de l’environnement (Saint-Louis Bruxelles), cogestionnaire en 2018 d’un cycle de quatre séminaires académiques riches en réflexions restées sans lendemain sur la gouvernance climatique. L’assemblage manque singulièrement d’union qui puisse faire la force. Sous un régime sans hiérarchie de pouvoir, rien ne lui manque pour aspirer l’enjeu du climat dans la spirale du conflit négatif. Il aura même échoué à produire l’effet d’émulation à la hausse entre entités que certains espéraient.

« Aujourd’hui, les axiomes du fédéralisme à la belge passent avant la lutte contre le changement climatique, à telle enseigne qu’il appartient à celle-ci de s’adapter au cadre fédéral plutôt que le contraire », ont pu écrire les constitutionnalistes de l’université Saint-Louis Bruxelles, Mathias El Berhoumi et Célia Nennen. Mais qu’attend-on pour inverser la logique? Autant tuer dans l’oeuf tout octroi d’une primauté à l’Etat fédéral, inenvisageable politiquement, à moins que la maison belge ne soit sur le point de brûler ou de prendre l’eau, et encore. Comme nous le confie une experte, « refédéraliser la politique climatique reviendrait tout bonnement à recréer un Etat unitaire puisque cela supposerait de refédéraliser la mobilité, l’énergie, d’autres matières encore ». La Belgique de papa au secours du climat, on oublie.

Pour une loi climat, la Belgique repassera

Tout l’art consiste donc à innover sans toucher au coeur du réacteur institutionnel pourtant sujet à des ratés répétés. On a déjà beaucoup essayé pour fluidifier la coopération climatique mais on a fort peu récolté. L’idée même de constitutionnaliser l’enjeu climatique pour, au moins, montrer qu’il est pris au sérieux a été au-dessus des forces du Parlement fédéral en 2019.

Et l’on passe son temps à fermer des portes, à enterrer des pistes sous le poids des objections juridiques, des obstacles techniques, des embûches politiques, dans la quête épuisante du Graal: mettre au point un « moteur » principal (pas unique) à bord d’une fusée qui peine à décoller. Suspense: à quel étage le loger? Au fédéral de préférence vu son rôle de représentation sur le plan international, pour peu que cet Etat fédéral soit « encore en mesure d’imposer des décisions aux entités fédérées alors qu’il ne dispose pas – plus – de l’expertise, des moyens et de l’administration pour le faire » (1). On a bien songé à la Commission nationale climat (CNC) créée en 2002 mais à propos de laquelle planent de gros doutes sur sa capacité à endosser un rôle de pilote.

Ce moteur pourrait être scientifique, prendre la forme d’un centre d’excellence climat interfédéral aux mains d’experts indépendants, nettement dissociés du politique. Une « Cour des comptes du climat » ou un « Bureau du plan du climat », en quelque sorte. Sauf que « la Belgique n’a pas cette culture de l’expert que l’on retrouve dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni. Chez nous, les experts sont très « particratisés »« , relève Dave Sinardet, politologue (VUB – université Saint-Louis). Ils ont pourtant su saisir leur chance et gagner leurs galons sur le front de la lutte contre la Covid-19. « Si la Belgique veut garder une influence dans le cadre de la nouvelle loi climat européenne, par le biais de son expertise scientifique à tout le moins, elle devrait se doter d’un haut conseil pour le climat« , estime Delphine Misonne. Et plus encore? « D’accord pour toute innovation qui soit cadrée par une législation adéquate car là aussi il s’agit d’atteintes aux droits fondamentaux. Ce n’est plus une question de savoir quelle case doit remonter ou descendre dans quelle escarcelle mais comment mieux gouverner ensemble en prenant au sérieux la lutte contre toutes les pollutions. Il faut sortir de ce marasme. »

Alors, cette variante corona mitonnée à la sauce climat? Il lui faudra réaliser l’exploit de tenir sur la durée. De gérer une urgence non plus extrême qui se déclinait en jours voire en heures, mais une urgence planifiée à l’échéance d’un (demi-) siècle. Alors que Jan Jambon (N-VA), lui, a des fourmis dans les jambes: « Le management de crise, c’est fini. A nous de jouer à présent! », lance un ministre-président flamand pressé de sortir d’un an et demi d’union sacrée face à l’irruption du coronavirus. Lui demander d’en reprendre pour dix, vingt ou cinquante ans pour les beaux yeux du climat…. Tic-tac fait l’horloge qui tourne.

(1)Le débat sur la hiérarchie fédérale en Belgique. Nécessaire en temps de crise et en temps ordinaire?, par les constitutionnalistes Céline Romainville (UCLouvain) et Karel Reybrouck (KULeuven), Leuven Blog for Public Law, juin 2021.

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